Transcription

Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Le Bignon, 24 octobre 1781

du bignon le 24 8bre 1781

votre silence m'avoit inquiété mon bon et digne amy, votre cachet
noir m'a effrayé et votre lettre m'a touché jusques aux larmes. ouy sans
doute ce ne sont pas ceux qui payent le tribut à la nature qui sont
à plaindre, puisque s'ils ont mérité d'etre chéris, ils ont rempli leur tâche
et quil rentrent dans le sein de la grande et haute volonté paternelle
dont ils sont sortis; mais les justes regrets quils nous causent et les larmes
quils nous arrachent sont aussy dans l'ordre de nos devoirs. j'ay dit
des longtemps que dans ce monde il falloit se résoudre à l'alternative
de tout perdre ou de tout quitter. la nature nous aide beaucoup au
dernier de ces deux points en émoussant la pointe et la saveur des illu=
sions en nous. tout quitter bon dieu ne seroit pas le difficile, à moins
qu'on ne se sente nécessaire à la conservation et à lexistence de ce qui
nous est cher, mais les pertes qui nous raprochent du malheur à l'homme
solitaire et seul
, lhabitude seule de s'attacher fortement et sans cesse
à ma grande patrone, la providence de recourir à elle avec confiance, et de se résigner
à ce qu'elle ordonne comme motrice du grand cercle dont notre volonté
tout entiere ne scauroit détacher un seul point, cette disposition dis je
qui nous désaproprie de nous même peut seule nous secourir à l'aproche
des angoisses de l'isolement. vous avés raison de dire mon cher amy
que dieu m'a épargné des peines aussy cassantes que celle que vous
ressentés de la perte de votre aimable estimable et chère soeur: j'en
ay éprouvé néanmoins, j'ay perdu plusieurs enfants foibles et innocents,
ma belle soeur qui m'etoit tendrement et escentiellement attachée pour
la vie, et si la nature ma adouci celle de ma vénérable mère en la
faisant se survivre à elle même, possesseur de ses mânes pour ainsy
dire, je n'en ay que plus justement savouré pour ainsy dire la privation et
<1v> la dissolution. j'ay dailleurs beaucoup senti les pertes qu'ont fait
mes amis, et celle que vous éprouvés aujourdhuy m'est d'autant plus
sensible que je vous voulois heureux pour vous et pour moy. mais je
conte sur votre fermeté et sur ce caractère malléable et bienfaisant
pour touts et par conséquent pour soy même. relevés vous mon digne
amy, songés que vous etes le centre et le point de reunion d'une famille
qui mérite touts vos soins et votre tendresse; songés que votre Respec=
table soeur, dont le caractère noble et digne avoit beaucoup dénergie et
de fermeté, doit être regrettée comme elle voulut etre aimée, escentielle=
ment, constamment et sans foiblesse. consolés vous avec ce qui vous reste
et pour vos aimables et estimables enfants: faites recevoir mes homages
mon compliment et mon Respect à toute votre maison, recevés ceux
de ma famille; notre amie qui est à paris sera bien touchée quand elle
aprendra cette nouvelle, car elle aimoit et honoroit fort Me de vatteville
je donne les plus vifs et les plus Respectueux regrets à sa mémoire et vous
embrasse mon cher amy de tout mon coeur.

Mirabeau


Enveloppe

à Monsieur

Monsieur de saconay, en
son chateau de bursinel
à genève


Etendue
intégrale
Citer comme
Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Le Bignon, 24 octobre 1781, Collection privée. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: https://lumieres.unil.ch/fiches/trans/689/, version du 04.11.2024.
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