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Lettre à Frédéric de Sacconay, Le Bignon, 10 août 1781
du bignon le 10 aoust 1781
je vous suis fort obligé mon digne amy de ne m'avoir pas parlé
de l'accident de Me de watteville dans le temps où il vous donnoit
de justes craintes. mon tendre et Respectueux attachement pour
elle la voit toujours comme je la vis autre fois. je ne suis pas
surpris de sa constance et de son equanimité dans cette occasion
majeure: elle tint toujours beaucoup du caractère élevé et héroique
de feu son Respectable père et elle est aussy noble dans le sérieux
qu'aimable dans le badinage et les détails. le tout est de soumettre
et de gouverner ses propres habitudes, et cest ce qu'elle seule peut obte=
nir d'elle même, car elle n'aimoit pas à être contrariée; or on la
dit gourmande, et comme dit tranquillement le sr garçon que vous
me connoissés, cela revient deux fois par jour. or il est de fait
qu'avec le temps il faut diminuer de la nourriture, et quoyque je
ne sois pas dévot au bon homme louis cornaro que j'estime fort
néanmoins, et qui assure que les petits tempéremments doivent
vivre 100 ans, comme il les vivra, etant né foible, et les forts 120 ans
au moyen du soin nécessaire de diminuer son régime avec l'âge, vous
seriés surpris de voir de combien j'ay baissé à cet égard, et je m'en
trouve fort bien. ce n'est pas qu'il importe que je vive, si ce n'est pour
ma maison qui seroit détruite si je manquois aprésent, et au métier
que je fais, ce n'est pas la peine du tout; mais pour Me de vatteville
qui est heureuse et qui fait le bonheur des siens et de ses amis, elle doit
se conserver sur toute chose, et les vapeurs disparoitront en digérant
peu et bien. baisés luy les mains de ma part en luy faisant cette
recomandation, comme venant d'un homme qui luy est attaché
par le plus tendre Respect.
<1v> je ne suis pas étoné des tendres soins et de l'assiduité de Mes vos
filles; le bon coeur est dans votre sang et vous êtes touts de la race
d'abel. je vous plains néanmoins mon cher amy dans ces circonstan=
ces; que veut l'homme tendre et soigneur, cest au fonds que toutes
choses demeurent comme elles furent: nous voulons cela, nous le
devons vouloir, et cepandant le grand ordre veut autre chose; la
grande prière qui commence par que votre volonté soit faite
nous a telle mal à propos été recomandée comme un utile et indis=
pensable journalier.
nous avons eu icy ma petite fille du saillant, grande comme sa mère
fille formée et le meilleur sujet possible comme le plus honnête, aim=
able et mesuré, grièvement malade d'une fièvre putride vermineuse dep=
uis le jour même de leur arrivée, les fins de juin; elle etoit en conva=
lescence, elle vient de retomber, et quoyque sans danger, cela s'aproche
bien de lautomne et de la mauvaise saison pour de tels manteaux. en
général, la saison et les saisons ont été si tranchantes et prématurées
et les fruits si abondants, que les maladies sont fort communes.
Me de pailly lasse d'attendre son compagnon de voyage, repart pour
paris, pour changer son plan et sa garderobe de voyage, elle se déter=
mine à ne partir qu'en 7bre et à passer son hyver en dela du jura.
j'aurois presque cru sur ce que vous me dites, comme à l'oreille que son
mary qui a passé les 80 ans étoit devenu nul; dans l'incertitude ou
seulement l'idée je n'ay point voulu sur cela luy faire de commentaire
elle vous verra surement ces vandanges, et mon pauvre coeur sera
avec vous. adieu mon cher amy je vous embrasse bien tendrement
et offre mes Respects chex vous
Mirabeau
ecrivés moy directement au chateau du bignon et en bas à égreville
à monsieur
Monsieur de Saconai en son
chateau de Bursinel près Role
en Suisse
Par Pontarlier