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Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 14 juillet 1785-22 [juillet] [1785]
de paris le 14 juillet 1785
l'univers mon bon et digne ami est bien plus grand par raport à
ce que peut embrasser lécorce d'un grain de bled que relativement à
ce que le génie de l'homme peut étreindre: brulés néanmoins tout ce
qu'il y a 1 mot biffure de froment sur la terre, et n'en réservés qu'un
seul grain, bientost toute la terre frugifère en sera couverte, si
quelque malefaçon humaine ou quelque danrée plus utile ne s'y
oposent. l'origine du genre humain entier est la même, les besoins sont les
mêmes, les interèts les mêmes, pourquoy lespèce entière ne seroit elle pas
susceptible de la même instruction qui ne consiste que dans la connois=
sance des loix données à la mère commune et législatrice de touts.
notre espèce n'a prévalu sur les autres, que par le don de l'intelligence
apliquée à lexamen et à la pratique 1 mot biffure des résultats, les
principes sont devant nos yeux, pourquoy les en détourner et les
laisser fasciner par nos propres règles. notre espèce ne sest multipliée
que par la cultivation, ne s'est vrayment associée, arrêtée, assujettie, perfectionée,
décorée, élevée, évertuée, affiliée au ciel, assujetti la terre, que par la cul=
tivation. touts les suppléments forfaits, que se procurent les peuplades
errantes ou fugitives, aux lieux où les secours de la culture furent refusés
ou dédaignés, le pdépaitre errant, la chasse, la pèche, les fruits spontanés
ne fournissent qu'une subsistance précaire et laissent l'homme pauvre
eparsfarouche, et dans létat de fauve à peu près, selon le plus ou le moins déloig=
nement que lhabitude l'ignorance, les préjugés, ou l'apreté du climat
luy donnent de la culture; et de l'état de cannibale, à celuy du sage le
plus utile entre les bienfaicteurs de l'humanité, le plus digne des regards
du ciel, et le plus modeste sur la terre, suivés la marche et les progrès de
l'agriculture, vous trouverés la cause et les effets, vous suivrés la marche et
les progrès de notre perfectibilité.
toute l'histoire, toutes les annales étudiées soux leur véritable point de vue
nous démontrent cette vérité, nous en avons seulement averti l'huma
les humains. toutes les nations furent fondées sur cette base, mais bientost
les p mobiles de notre travail et de nos espérances, séchapèrent et s'en=
travasèrent avec nos idées échapées aux langes de la nécessité, la prés=
omption l'orgueuil et la folie s'en emparèrent et en firent des passions
et ces passions on les supose invincibles, et l'on apèle leurs inversions des
<1v> circonstances, comme la démolition successive et par parties est la
circonstance d'un batiment qu'on n'entretient point. cest ainsy que les
sociétés se détruisent, et qu'elles entrainent après elles jusques à leur
propre territoire; aet leur séjour... le 22.
j'ay reçu hyer une lettre du bon abé en datte du 18, qui me dit
les propositions faites au père, et où ils veulent l'amener. comme
il me marque en même temps que le cte vous écrit, j'attendray
votre lettre pour faire à l'abé ma ré
pardon ami cher, mais ma lettre ayant été interrompue, 1 mot biffure
par des affaires majeures, et pour bien du temps, comme vous le
voyés par la différence des dattes, j'ay par méprise entamé l'adjonction
que je voulois faire à une autre, sur cette feuille cy. le métier que je
fais sans relache, demanderoit une tête plus jeune que la mienne.
mon propos interrompu et excité par lexposition raisonable et
sensible que renferme votre lettre, tendoit je crois à dire, que nos
loix, nos constitutions de sociétés, nos méthodes d'administration, d'où
dérivent nos habitudes, nos usages et finalement nos opinions actives
(car je conte pour rien celles de pure spéculation) ont pris le rebours et
loposé des loix de la nature, notre mère tutrice et unique conservatrice.
elle veut que nos travaux 1 mot biffure suivent la direction graduelle de nos besoins
cest à dire que les plus pressants et les plus voisins de la nécessité marchent
les premiers et ainsy successivement des autres; elle veut que tout l'ordre social
qui n'a d'objet que le succès et l'avancement de nos travaux, dépende
des mêmes règles; que le commandement par conséquent parte de la charue
et que de là l'obeissance plus ou moins directe en raison du raprochement
où chaque partie est dude ce point central et primitif; s'étende de la jusques
au sceptre et aux autels. voila ce que veut la nature et à quelle condition
irréfragable elle offre aux sociétés la sureté et la perpétuité; avisés main=
tenant aux moyens de faire subir cette loy à l'imagination humaine
qui à peine éclose ambitiona la science du bien et du mal, perdit l'un et
acquit l'autre et s'est promis de la perpétuer. voyés en effet s'il est possible
de persuader aux rois et à leurs ministres, aux sénateurs et a leurs
grands et petits conseils, aux citadins et à leur petite péritie improbation
aux scavants et à leurs recoeuils de charlatanerie, aux provinciaux
des servants naturels de paresse et gourmandise, 1 mot biffure aux ruraux
enfin à la queue de laleurs charue, que c'est à eux à commander et ordonner.
<2r> ils seroient touts les premiers à vous dire
connoissés vous guillot pour luy parler ainsy?
cest cela pourtant, cest chose de necessité indispensable, et cela ne se peut
qu'en les instruisant touts du premier des principes et qui nous est le plus
fréquemment et diversement notifié, à scavoir qu'il faut connoitre les
loix de la nature relatives au maintien de notre espèce, les respecter
religieusement et leur obeir exactement; que tout part de là que tout
doit y tendre et que toute la politique du monde ne doit être que cela. c'est
là l'instruction que nous avons voulu rendre générale, oecuménique
perpétuelle, et dont nous faisons dependre le bonheur et la durée des
sociétés. oh de croire que dès les premières années une semblable
mission puisse être connue, avouée et secondée partout ce seroit une
coupable folie; quand nous voyons que la religion du christ, cet homme
dieu qui vint sur la terre ténebreuse et ombragée des rameaux compli=
qués de la science du mal, nous montrer tout à coup l'arbre de vie
la science du bien, nous la présenter simple, douce, sociale, angélique,
saine dans ses habitudes, sainte dans ses méthodes, tendre dans ses
résultats, consolante pour les foibles (et qui ne lest pas dans la vie
ne fut ce que contre les efforts du temps) corroborative par la résignation
encourageante par lespérance, sociale surtout et toujours sociale, au
présent, au futur et dans l'éternité; quand nous voyons dis je cette religion
non seulement persécutée dans ses commencements quand elle attaquoit
les idoles du temps, mais attaquée encore aujourdhuy par les enfants de
ceux dont elle rompit les chaînes et dompta la barbarie, qui serions nous
si nous nous étonions d'etre mal entendus par le plus grand nombre, et mal
interprétés par les prêtres de baal et par les idolâtres du veau d'or. cela
ne doit pas plus nous empècher d'embrasser l'humanité entiere dans
nos spéculations, si uniformes si simples et si générales, que l'aspect de
1500 lieues de routes pavées qui sont ou dans la ville ou aux environs
n'empèche le paveur de mettre un pavé après l'autre, et tout se fait un
jour, sauf l'entretien.
quand à ce qui est de la manière, diverse entre nous de juger de lhomme
bruyant qui nous amena sur ce chapitre; prenés garde mon digne
ami, que tant qu'il a administré j'ay pensé tout comme vous. je scavois
bien que c'etoit un des principaux fondeurs du veau d'or: je scavois de
plus qu'il étoit arrivé par mauvais moyens; je n'entends point en cecy
les moyens d'intrigue et même de vénalité, nul n'arrive que par là; mais
jentendois son éloge de colbert, son playdoyer pour la compagnie des indes,
je ne croyois aucun de ces étalages sincères, et je les voyois simplement
faits pour acaparer les parasites de la capitale par les beaux arts &c
et les candidats de l'administration poursuivants d'avoir des bareux et
autres: mais surtout son galimathias sur la liberté des comestibles
et les circonstances dans lesquelles il parut, l'eussent fait bannir bien
<2v> exactement du royaume s'il avoit eu affaire à moy. toutefois de voir
un banquier devenu bel esprit, et ensuitte ministre, et débutant en
philosophe, en sage ostensivement desinteressé, me fit croire quen ce
siècle de charlatannerie, il pourroit pousser jusques au bout les métam=
orphoses, et comme il nous avoit beaucoup étudiés quoyque avec son
esprit gauche et plagiaire pour tout ce qui n'est point calcul, jespéray
qu'il nous voleroit la pratique. jattribuay tout ce qu'il fit de contraire
et de hydeux relativement aux moeurs et aux conséquences sociales aux
nécessités du temps et d'une guerre exagérée. quand étant en place
on le vit imprimer on le jugea perdu, par son peu de tete, et enfin malgré
touts pièges, si son pauvre orgueuil ne l'eut fait manquer à luy même
il seroit aujourd'huy tout puissant. je fus néanmoins fort faché de
le voir partir; mais quand la fureur de rentrer; et la crédulité aux
effets d'une intrigue de bannis, jointes à la vanité domestique toujours
de chambrée auprès d'un riche quelconque, l'ont déterminé à donner
ce fatras de détails, où il dit le vray secret de léglise aux yeux de tout
homme sensé, à scavoir que les ministres et autres préposés aux signa=
tures entrent en place, y demeurent et en sortent, comme les rois,
c'est à dire sans scavoir jamais un mot de tout ce qui s'opère soux
leur nom, et en aparence soux leurs ordres; où il empoisonne le
vulgaire de leurope entiere, le farcit de faux calculs, de faits controu=
vés, d'erreurs imposantes, enluminées de moralites ramassées et recousues
et fait tourner le cul à la mangeoire à touts ceux qu'ils prennent pour
un docteur; quand je l'ay vu se déclarant impudemment le coryphée de
l'agio, et faire effet, comme tout homme qui pousse dans le précipice celuy
qu'il voit tout sur le bord, je n'ay pu m'empècher de le trouver très nuisi=
ble, et de les peindre luy et son oeuvre comme très méprisables.
j'ay fait à l'abé baudeau vos compliments, et bien il vous en remercie
toujours le même, toujours riant, jouissant, et habile; un hazard et
son talent l'ont mis chef du conseil du duc de chartres, et par conséquent
régnant sur lisle des fols; vous avés sans doute ouy parler de ce quest
devenu le palais royal; cest Neker réduit en architecture.
Me de pailly me charge de vous dire bien des choses à touts, et moy
j'offre les plus tendres Respects à touts les votres, et vous embrasse mon
digne ami, de tout mon coeur
Mirabeau
il y a longtemps que l'abé longo m'a marqué que le paquet que
vous aviés bien voulu luy adresser pour moy ou de ma part, luy étoit
arrivé à bon port.