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Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 05 mai 1781
de paris le 5e may 1781
vous dites mon cher amy une vérité très sage les affaires vont
comme on les mène mais quand vous dites après, que mes amis
aprennent de moy à se consoler sur ce qu'ils nont ny imprudence
ny gaucherie à se reprocher, vous ne le croyés pas sans doute et si
j'etois d'age à être refondu je penserois que cest un avertissement
indirect que vous me donnés. je suis sans contredit le père aux impru=
dences et ce qui m'en console cest que je les ay toutes faites à bon escient.
par exemple, quand cette femme partit de chex moy, elle laissa toutes
mes lettres à elle dans un portefeuille; quand ensuitte elle me rede=
manda ses hardes &c j'eus le projet de revoir ces lettres avant de les
luy renvoyer: bientost ennuyé je céday au sentiment qui me dit
que c'etoit un départ de confiance, et depuis et aujourd'huy encor on
fait lire à l'audiance de mes lettres qui ont 38 ans d'ancienneté. toute
ma vie ne seroit à cet égard qu'un tissu de reproches et quand à la
gaucherie vous scavés bien que si jamais on en fait une confrairie
j'auray ma légende comme en étant le patron célébré.
quoyqu'il en soit on me braille actuellement à l'audiance et cela sans
les repliques depuis 15 jours; comme on voudroit nous faire perdre patience
vous sentés les injures et le tolle universel; ils voudroient bien me pendre
mais ils sont au pied de la loy; je nay rien à démesler avec elle, mais
seulement avec les opinions qui chaque jour s'exercent et s'essayent
contre tout autre ordre et toute authorité; scavoir sils sauteront le
baton à mon époque, ils en ont bien envie.
votre vin est arrivé à fort bon port, je n'en ay pas gouté et je le
laisseray viellir, voyant combien cela luy prospère; puissiés vous n'avoir
pas la terrible sécheresse qui nous écrase et qui doit vous etre moins con=
traire chex vous où vos principales récoltes ne sont pas comme icy en
fourages et menus grains.
<1v> vous faites très bien mon cher amy les affaires de vos enfants et je n'en
étois pas en peine; cet expédient de se faire préter par le souverain est
aussy loin de nous que le seroit ma playdoyerie de vos moeurs. je demande
à touts de recevoir ma demission de la femme et du bien, mais d'assurer
son propre sort contre ses déprédations et celuy des enfants; et cela est
extrajudiciaire, on prendroit le 1er point de mes conclusions et l'on
laisseroit l'autre; chacun est libre de manger son bien, et la déprédation
même insensée de l'un est le profit de l'autre.
voila que vous avés laissé partir butré et qu'avec toutes les dispositions
et les lumieres nécessaires pour saisir son secret vous l'avés laissé aller.
vous ne vous etes pas souvenu de mon axiome; nul besoin ne se
fait moins sentir que celuy de ce qu'on ignore.
notre amie ne peut dit elle emporter dans sa valise l'indécision de
mon sort, et avec cela sa tête ne tient pas, à demeurer sur le nez de
l'enfant et au milieu des agitations inutiles; elle est maintenant à
la campagne, elle ne partira qu'en juin. adieu mon cher amy mille
et mille Respects à vos dames, je fais copier icy l'article qui vous
concerne de la lettre de butré.
Depuis mon arrivée j'ai vu deux fois M. de
Saconai, nous avons beaucoup parlé de vous et
d'autre chose, mais point du tout du relevé de
culture dont il restera comme je l'ai trouvé.
Je n'ai seulement pas pû lui faire voir mon
travail sur son pays et en raisonner avec lui
et je parts sans qu'il en ait pris connoissance,
il sait seulement la peine que je me suis donnée
pour cela, et c'est tout, avec le meilleur coeur
<2r> et la plus digne ame que je connoisse et toutes
les qualités d'un veritable patricien.
à monsieur
Monsieur de Saconai à
Berne en Suisse
Par PontarlierBursinel