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Lettre à Henri Polier, [s.l.], 29 avril [1785]
Le 29e avril
avec quel plaisir j'ai lû votre excellente lettre du 7e mars! Elle m'a tout
à la fois, transporté, touché, déchiré. Il est si râre d'avoir des amis
et il est si doux d'être aimé, que l'on doit sans contredit mettre au nombre
des plus heureux momens de la vie, ceux ou l'on reçoit des preuves incontesta=
bles qu'on les2 caractères biffure a des amis et qu'ils nous aiment. J'ai trainé depuis 8 mois la
Vie la plus triste: tous les objets rembrunis fortement ne retracoient
plus à mon Esprit que des Idées lugubres, et ne connaissant n'ayant gouté pendant
tout ce tems ni récréations, ni Plaisirs mon ame étoit devenuë presque
incapable de les gouter; en un mot ma Situation etoit critique
et il ne me restoit plus que le moyen désespéré de la retraite pour
en changer. cependant je ne crois pas avoir trop souffert, et je me
félicite même de ces Epreuves terribles, puisque j'en ai été dédomagé
par le plus grand de tous les biens, par les Témoignages d'amitié et
de dévouement de mes amis. Ah! mon cher Polier! vous Vous feriés
une Idée de tout celà, si pour une demi heure seulement vous pou=
viés vous trouver à ma place, voir ce que j'ai vû, éprouver ce que j'ai
éprouvé, et sentir ce que j'ai senti. Grâces au ciel enfin vous
savés maintenant que mes Circonstances sont été devenues meïlleures
mais avant que de vous expliquer en quoi, je veux répondre à quelques
unes des réflexions sages et fondées que vous me faisiés dans votre lettre,
3 mots biffure et qui seroient décisives pour dans tout autre latitude.
que celle ou je me trouve 1° donc je puis vous assurer en conscience qu'il
n'y avoit dans mon fait aucune mauvaise humeur de comande. de même
avec Tout se bornoit à me plaindre de l'Inéxécution du contract verbal
en vertu duquel on m'avoit engagé, et encore ne m'en suis je plaint que
2 fois. J'ai renfermé au dedans de moi tous les sujets de mécontentement
qu'on m'avoit donné, et s'ils ont parû au dehors, c'est que les Rides de mon
visâge, c'est que mes cheveux et ma barbe blanchis attestoient suffisament
quelque révolution dans ma personne. J'ai continué à remplir mes
devoirs avec lae même scrupule, et avec le même zêle, et n'ai jamais
témoigné de la mauvaise humeur à personne 1 mot biffure mon cher Polier ;
Si mon zèle et mes travaux n'avoient 1 mot biffure été purement proportionnés au
traitement qui m'étoit fait, qu'ils auroient été chetif et méprisâbles!
<1v> Il n'est pas donné à l'home d'être éxemt de peines, et moins encore à l'Home
fier et sensible de ne pas les sentir, mais la Philosophie doit lui enseigner à ne
pas s'ene laisser abattre, et à maintenir son ame inébranlable
au milieu lors même que son Corps s'ene ressent des Secousses qu'il éprouve;
or je crois lavoir 1 mot biffure pratiqué: En voyant mes Elèves j'oubliois aussitôt tout ce
qui leur étoit étranger, et dans le même tems ou je priverois dcroiois me trouver
au 1er jour dans la necessité de les quiter, je me conduisois cependant avec eux come
si j'eûsse dû ne les quiter de ma vie; cependant mon bon ami!
j'étois dans la misère alors 3 mots biffure 2° Si je m'en étois rapporté
aux 1eres Représentations que je fis il y à 6 mois, jamais mon Sort n'eut
été amélioré n'auroit changé: peut être m'auroit-on accordé annuel=
lement quelques centaines de Roubles come des gratifications dont il au rest et il
auroit fallû en témoigner sa reconnoissance, lors même qu'elles auroient
à peine suffi pour liquider mes les dettes les plus pressantes; 2 mots biffure
1 mot biffure au bout d'une ou deux années d'attente, mes prétentions auroient naturellement
paru des contes dont on se seroit moqué d'autant plus surementmoins soucié
qu'incomodé de Dettes, il m'auroit bien fallû 1 mot biffure prendre patience
et faire de nécessité vertu: ainsi se seroient écoulés mes jours,
dans l'Esclavâge et dans la misère. je ne vous dis rien de trop. 1 mot biffure
depuis le début de la ligne biffure 3° Vous
m'éxhortiés à ne pas m'effrayer tant des Dettes, et vous me dites
qu'il étoit impossible que 2 mots biffure je ne parvinsse pas à m'en
débarasser une fois en étant mieux connû... Mon bon ami! vous
jugés sur les bords du lac de Genève, et vous raisonnés juste pour tous et vous
depuis le début de la ligne biffure
raisonnés juste, mais... Je vous prie au contraire d'etre
persuadé qu'il ne faut compter que sur ce qu'on tient, qu'il est
insensé pour le moins de compter sur le lendemain, et que malheur
à celui qui fonde son Existence future sur des futurs contingens, ne
fut ce que pour un seul mois, une semaine, un seul jour. On est
satisfait de moi je le sais, mais qui me répond qu'on le sera encore
demain, après demain, dans une année dans 2 &c.? personne
<2r> sans doute ne peut m'en répondre sans témérité. Ne peux je pas être
envié, jalousé, noirci, malgré mon zêle, malgré mes travaux, mal=
gré mes Succès? Si vous croyés mon cher Polier qu'en vous promena
étalant tous ces peut-être, je vous promêne dans le païs des
chiméres, vous vous trompés. jusqu'à la fin de la ligne biffure Ce n'est pas l'Intrigue ouverte qui est à craindre
1 ligne biffure
depuis le début de la ligne biffure
c'est celle qui marche dans les ténêbres: on peut se deffendre contre le
Voleur de gd chemin, mais on succombe sous les coups de celui qui frape
dans le someïl. Je ne crains pas les combats à force ouverte; quelque
puissant que soit l'adversaire, grâces au ciel, j'e l'ait appris cette Espêce de combat à mes Dépends
dans ma patrie, mais coment puis je espérer d'être toujours à l'abri
de la Calomnie, des faux rapports et des fausses interprétations? coment
puis je espérer que ma conduite paroitra plaise toujours de même? pardonera
t-on à mon Zèle et à mes Efforts, la franchise de mes procédés 1 mot biffure
actions et se rappellera t-on toujours qu'un Republicain à des
droits qu'aucun autre ne peut avoir? Encore si noirci et calomnié
de la manière la plus adroite, il étoit si facile de se justifier! si
l'on en fournissoit les occasions, et si la Justification nétoit souvent
pas plus dangereuse pr l'innocent que les Crimes qu'on lui impute!
Mon ami les Gds de la terre sont entourrés de 100 Doubles de filets tous
plus forts et plus serrés à mesure qu'on en approche: c'est en vain
qu'ilseux mêmes tentent de les rompre; Si les 1ers plus voisins cédent a à leurs 1ers Efforts,
à peine sont-ils arrivés à l'Enceinte du milieu, qu'extenués, et décou=
ragés, ils renoncent à l'espoir de leur délivrance, et le mal est pire
qu'auparavant; or si celui qui est au centre à tant de peines pour
ne venir à bout de rien, que fera un petit individu qui travaïlle
du dehors? Ce n'est pas tout mon cher Polier. Supposons, ce
qui seroit sans éxemple, que je ne fusse jamais réduit à la nécessi=
té humiliante de me deffendre de l'Envie, combien d'Empêchemens
ne peut-on pas mettre à la réalisation de mes Espérances? Ne peut-on
pas altérer mes plans, les détruire, leur en substituer d'autres:
<2v> ne peut-on pas, pour m'indisposer, me piquer, m'irriter, me
dégouter, proposer des plans 1 mot biffure incompatibles avec mes
Sentimens? 2 mots biffure ne peux je pas perdre mon chef home aussi honête que poli et le voir remplacé par quelqu'autre? ne peux je pas être contredit, géné, et
blâmé dans leur'Exécution de mes Plans? Je sçais bien ce que vous me dirés: Laissés
causer le monde et allés votre train, et c'est bien aussi ce que je ferois,
mais laisser causer le monde suppose toujours qu'on à pleine liberté
de suivre ses Idées 5 mots biffure sur l'Exécution or j'en=
tends précisément parler du Cas ou cette Liberté n'éxisteroit pas, et
où je ne serois réduit à n'être plus qu'un Instrument sans volonté propre 1 mot biffure
que faire dans un pareïl Cas?... que faire?... mon bon ami! la
route de l'Honneur n'est qu'une, et il n'est plus question d'hésiter
pour celui qui y à marché toute sa vie. Dès que je me suis
engagé, j'ai prévû tous les Inconveniens attachés à ma place, je les
ai énuméré, j'ai recherché tous les cas possibles, et j'ai 2 mots biffure à diremon
Systéme de conduite qui leu et j'ai arrêté 3 caractères biffure les Points principaux
du Système de ma conduite future de manière à être prêt à
tout événement. C'est une affaire de tact que de savoir jusques
où la patience peut aller, et il y a un milieu entre la Roideur
qui détruit tout et qui est le Défaut d'une Tête qui n'est que chaude, et
cette Patience qui fait suivre aveuglément toutes les volontés d'au=
trui et entraine des suites encore plus fâcheuses. Ce milieu ne
peut se déterminer puisqu'il dépend entièrement des Circonstances,
mais je tiens en général que tout home animé du Desir d'être utile
à l'humanité doit supporter les contradictions Traverses, essuyer patiement
les contradictions, et ne point se rebuter aussi longtems que sa
Patience et sa Condescendance sont compatibles avec ses Devoirs
et avec la répondance qui est à sa charge, mais qu'aussitôt
qu'on èxigeroit de lui de se prêter à des choses contraires à ses Sentimens
à ses Principes, et à ce qu'il croit être l'essentiel de ses devoirs et de
sa vocation, il il ne lui reste plus que le seul parti de la retraite.
Ces principes vous le savés mon cher Polier, sont ceux que vous m'avés
toujours connû, ils ne sont pas d'aujourd'hui jusqu'à la fin de la ligne biffure
<3r> ils dattent de ces 1eres années de ma vie méditative, de ces tems heureux
et trop vite écoulés, ou ne connoissant presque que les Homes des
Siécles passés j'imaginois faire fortune de pouvoir marcher un jour
sur leurs trâces. Ils ne sont plus ces tems fortunés, et la connoissance
du monde m'a corrigé de bien des 1 mot biffure préjugés, mais elle
a pourtant laissé intactes dans mon Coeur les principes que j'avois
adopté pr régle imuâble de ma conduite. D'après tout ceci jugés
donc mon cher Polier! si j'étois home à me tranquilliser sur des
peut être qui pouvoient d'un jour à l'autre me mettre dans le cas de
choisir entre mon devoir et la foiblesse? Si j'avois contracté des
Dettes (et à celà il n'y avoit pas de doute) ma liberté eut été perduë: coment
aurois je pû, chargé peut être de quelquesendetté peut être pour quelques milles Roubles de Dettes, prendre une
résolution digne d'un home honnête 1 mot biffure si le cas s'étoit présenté de le
faire? J'aurois donc foîbli! or quest ce qu'un home capâble de
foiblir contre le sentiment de sa Conscience?1 mot biffure? n'est-il pas avili? et
et ce 1er avilissement ne sera t-il pas suivi de plusieurs autres 1 mot biffure
et où s'arrêtera la suite de ces avilissemens successifs? Le mal n'aurois
guères été moindre si la résistance eût opéré ma retraite. Victime de
mes Créanciers, l'honneur ne m'auroit pas permis de quiter sans les satis=
faire, et eux mêmes ne me l'auroient pas permis. Je l'avouerai,
jamais je n'avois imaginé de pouvoir perdre absolument ma liberté en
faisant des Dettes, il a fallû me trouver dans le cas 2 mots biffure pour me
convaincre de la Réalité de la chose, et quoique vous n'en croyés surement
rien parce que je ne peux vous convaincre depuis dès ici, j'étois en bon
train de courir les risques dont je vous ai fait part. C'est la vuë du
danger qui m'a forcé pour ainsi dire à tenter une dernière démarche;
j'ai écrit à mon chef une lettre respectueuse mais ferme 1 mot biffure
depuis le début de la ligne biffure dans laquelle
j'ai fait mon histoire, sans oublier l'anecdote du 5e Janvier qui
ne sortira jamais de ma mémoire, je m'y suis borné à rapeller ce qu'on
m'avoit promis, je n'ai rien demandé et la seule faveur, que j'aye demandé
a été une Réponse afin de savoir une fois à quoi m'en tenir; mais je me
suis bien gardé de mettre de faire des insinuations qui auroient témoigné
<3v> peu de 1 mot biffure prudence et n'étéauroient été ni respectueuses, ni convenâbles.
Mon chef trouva ma lettre en place,. et muni de cette pièce il se chargea
de mon affaire, et c'est à cet honête home que la réussite en est duë.
Le 24e du mois de Mars il est sorti un ordre par lequel mes Appointemens
doivent être portés à 100 Roubles de plus par mois, mais l'ordre ne concernant
que l'avenir, j'ai tout au moins perdû la 1ere année.
Vous me demanderés ce que j'aurois fait si ma Lettre fut demeurée sans
réponse. J'aurois pris patience, j'aurois vécu d'abstinence, j'aurois
mis bas Equipage quoiqu'il n'y ait pas un gredin ici qui n'ait le sien
et qu'on ne puisse pas plus s'en passer que de diner, j'aurois vendû
mes Habits, puis mes Livres les moins nécessaires, puis j'aurois employé
la Lettre de Crédit que Guiguer de Prangins m'avoit envoyée le plus
généreusement du monde depuis Paris afin de m'épargner les maux
auxquels il sçait que j'aurois pû être expôsé; enfin j'aurois 1 mot biffure secoué
la poussiére de mes pieds et me serois arraché d'ici, certain d'avoir
perdu pour longtems mon repos, mais assurré aussi d'avoir que j'aurois perdu
ma liberté et peutêtre plus en demeurant dans cet état. Ne
croyés pas cependt mon cher ami! que la considération de mes parens fut d'un
poids leger dans cette affaire. Je sentois, et bien vivement, tout ce que vous dites.
Sur cet objet, peut être même dois je à cette Considération la modération que
j'ai conservée au milieu de mes traverses, mais après avoir supporté tout ce
qu'on pouvoit attendre de moi, ils m'auroient je pense pardonné une parti Résolution que des
Sentimens inspirés par eux mêmes m'auroient seul dictée. Une autre Considéra=
tion également faitte pr déchirer mon coeur, étoit lae peine Regret mor=
tel d'abandonner une oeuvre méritoire, heureusement comencée, et
faitte pour me séduire. Je suis convaincû que cet Evénement auroit
porté pour toujours le trouble dans mon ame. Insensiblement j'aurois
oublié tous mes Griefs. Ce qui me paroissoit très probâble, et puisque
certain, ne m'auroit pas même plus parû possible, j'aurois revoqué en
doute jusques à ce qui m'est arrivé et dans quelques années j'aurois pensé
que l'Evénement du 5e Janvier n'étoit qu'un Rêve. Ainsi ce seroient
évanouïs les motifs qui m'auroient déterminé, ma Résolution tandis
mon Imagination venant à se monter, m'auroit représenté toute
<4r> ma besogne sous un point de vuë si séduisant, que j'aurois regretté et tout de bon d'avoir perdu
regretté amérementl'une occasion unique que
j'aurois de me rendre vraiment utile. Il me seroit arrivé précisément çe
qui vous arrive à vous autres habitans des bords du lac de Genève, qui pensés
bonement que je suis placé de manière à faire le bien que je voudrois
et pourrois 2-3 mots biffure faire... Rabattés en mon cher Ami! rabattés
en beaucoup... Qu'elle influence pourroit avoir un Major qui se
trouve le dernier de tous ceux qui sont employés avec lui, 2-3 mots biffure là
où la Distinction des rangs est la mesure exacte de tout? Il est si vrai
que je suis le dernier en rang de tous les officiers employés, que 2 d'entr'eux
qui se trouvoient au dessous de moi, viennent tout récement de me passer sur le corps au moïen
du rang de Lt Colonel, et m'ont laissé absolument le dernier de tous. Je
ne vous cite au reste celà par aucun Sentiment d'envie, car j'ai trouvé
le 1er que cet avancement leur ayant été promis depuis longtems, 1 mot biffure il
étoit juste qu'ils l'obtinssent,. jusqu'à la fin de la ligne biffure
2 lignes biffure
Dans le fonds je fais les fonctions de Précepteur, car je suis chargé de
tout ce qui s'appelle Philosophie et Histoire, et en un mot de toutes
Çes parties de L'Institution qui forment le Coeur et l'Esprit, et distinguent
le Précepteur des autres maîtres; mais je n'en ai point le titre et
je n'ai nulle Inspection sur les leçons des maitres particuliers, et hors
des leçons je n'ai plus aucune Répondance et ne suis plus tenû à rien.
Ce n'est pas même moi qui rends compte Je ne rends compte qu'à mon
chef, et du reste je ne parois point,. Mais come je suis le seul
de tous les Cavaliers (sauf l'un qui est chargé d'enseigner l'allemand par l'usage
et l'un autre 2 mots biffure chargé d'enseigner le grec) qui ait une vocation directe pour
m'occuper des Etudes, et le seul qui m'en mêle, je passe pour le
précepteur et pourrois peut être même prendre ce titre dont personne ne se soucie
vû le préjugé qui accorde peu d'estime dont jouissent les aux Sciences et à leurs Suppôts. 2 mots biffure
Puisque donc malgré l'Etendüe de mes Devoirs et ce qu'ils suppôsent
je n'ai que l'honeur d'être le dernier de tous, vous pourrés en conclure
mon cher Polier que ce n'est pas là ce que vous avés crû
<4v> et ce n'est pas là aussi ce que j'avois crû, mais l'ignorance des
moeurs et des Usâges, et probâblement aussi l'amour propre aidèrent
à me séduire. J'ignorois qu'il fallût avoir un rang pour être home de
mérite et en conséquence je ne daignai pas m'en inquiéter; aujourd'hui
même je ne m'en inquiète pas parce que, mais si j'avois jamais
eû le deissein de revêtir quelque emploi après avoir compté achevé
mon ouvrâge, il me faudroit déjà ou y songer tout de bon et y renoncer tout à fait à cette idée, puisqu'à moins
de grâces extraordinaires, il est impossible me seroit impossible de faire
assez de pas pour arriver à un rang correspondant à un Emploi au dessus
du Subalterne; car vous pensés bien quand jaurois cette espèce d'Ambition que je ne serois ni assez fou, ni
assez bête pour vouloir être Subalterne. au surplus je ne vous
cite tout ceci que come des Exemples,. car Je suis bien éloigné
de porter mes vuës si loin, et mon ambition est trop grande pour
que je la ravâle jamais jusques aux Distinctions de Rangs. Quoique simple major
je jouïs pourtant d'une Considération personnelle qui me flatte, réelle
qui tient ou à mes qualités, ou à la nature de mes occupations, et
cette Considération me met de niveau avec ceux dont le Rang est
Supérieur au mien. on a des égards pour moi, et de bons procédés aux=
quels je suis sensible. on me témoigne de la confiance, et j'ai lieu
d'être content de la maniére dont on me traite et dont on en
use à mon égard. Mon Supérieur dont l'honnêteté et la Politesse
sont vraiment précieuses, m'honore de sa bienveïllance, et jusques
à présent mes Camarades ont bien vécû avec moi: ils ne
paroissent pas se défier d'un home 1 mot biffure simple dans ses manières
franc dans ses réponses, et un peu vif mais ouvert dans ses procédés, et je peux
même compter sur les sentimens de plusieurs d'entr'eux. De mon
côté je cherche à bien vivre avec chacun, et ne regarde ni aux
1ers pas, ni aux 1ères Démarches. Nos fonctions n'ont daïlleurs rien
de comun et come ami de l'ordre je ne fais aucune Infraction
aux Droits d'autrui, mais aussi je ne verrois pas de bon oeïl qu'on
vint se mêler sans nécessité de mes affaires quand je m'en occupe.
<5r> Depuis que les Causes de mon mécontentement ont cessé, mes Efforts ont redoublé
auprès de mes Elêves. Vous ne scauriés croire combien je les aime et combien
leur compagnie m'est devenuë nécessaire. De leur côté ils paroissent m'aimer
et avoir de la considération pour moi, et ce qui m'en fait plaisir c'est que
je ne dois ces 1 mot biffure Démonstrations, ni à la flaterie, ni à des complaisances
coupâbles. Je ne leur permets pas de penser un instant qu'ils ne soyent pas mes
inférieurs. Avant toutes choses, j'éxige d'eux l'obéïssance, et come je ne leur
promets ou n'interdis jamais rien en vain, ils savent déja que le seul parti à
prendre est d'éxécuter ce que je desire et que toute résistance seroit vaine; c'est
surtout avec eux que ma parole est sacrée et que je compte mes mots. L'ainé parle
déjà le françois d'une manière intelligible, et écrit le son des mots avec toute la correction
qu'on est en droit d'attendre de son âge: le cadet est plus retardé, mais peut cepen=
dant déja s'énoncer. Si 1 mot biffure vous 1 mot biffure pensés que je suis le seul qui leur parle
françois, vous trouverés peut être que ce n'est pas avoir trop mal employé
mon tems que de les avoir mis en état de profiter de recevoir des Instructions
au milieu des Distractions attachées à leur rang et à leur âge. Vous seriés éton=
né j'en suis sur de la liberté avec laquelle je m'énonce et des choses que je leur
dis. Je m'attache surtout à leur faire sentir qu'ils n'ont en eux rien de
distinctif et de particulier, et je les compâre souvent souvent au Paysan
qui bêche la terre afin qu'ile devenus plus grands ils n'oublient jamais
que c'est au hazard auquel qu'ils sont redevâbles de leur fortune, et que ce n'est
que par leurs qualités seules qu'ils peuvent s'en rendre dignes. A dieu ne
plaise que j'ôsasse désavouer mes principes dans l'occasion! non mon
cher Polier je renoncerois pl plutôt à tout que de me souïller par une
telle lâcheté! 1 mot biffure L'Eclat du plus haut rang ne m'en impôse pas, et je me
permets sans scrupule de mesurer 2 mots biffure ces Colosses devant lesquels
le stupide vulgaire se prosterne servilement.
J'ai beaucoup travaïllé pendt l'hyver pr faire des Extraits rélatifs aux
diverses matiéres que je me propose d'enseigner successivement. Cet ouvrâge
n'étoit pas fort amusant, et c'est aussi la raison pour laquelle je l'ai
pressé afin de n'en avoir pas à deux fois, et d'être délivré de ce fardeau
lorsque le tems sera arrivé d'enseigner un peu plus sérieusement.
<5v> 3 mots biffure
Encore un mot sur mes Intérets. J'ai actuellement 2669 Roubles
par an; ou du moins je les aurai à compter du 24e Mars passé, Some très
suffisante pour vivre sagement. Suivant toutes les apparences je pourrai
épargner annuellement 4 ou 500 Roubles et certainement je n'y
manquerai pas. J'enverrai ces Epargnes à mes Parens avec plein pouvoir
d'en disposer, et je serai heureux en pensant que j'augmente leurs
jouïssances; je l'ai désiré depuis si longtems! 3-4 mots biffure Suppôsons
maintenant (ce qui ne sera pas probâble mais cependt possible) que pendt les
9 ou 10 ans qui me restent à faire, les je demeure toujours dans mon grâde,
en épargnant annuellement 500 Roubles, j'aurai augmenté d'autant
le bien de mon père, et je pourrai en aller jouïr avec lui et avec mes
amis, libre 1 mot biffure de soucis et d'inquiétudes, et satisfait d'avoir fait ma rempli
en home d'honneur ma tache d'home public. Je n'attends et n'espêre
aucuns Présens et aucunes gratifications, et come l'on ne s'est point enga=
gé à me faire une pension viagére après l'Education terminée, je
n'en demanderai certainement pas une, et ne resterai pas une minute
de de plus afin de la solliciter. D'après ce je vous dis dans ce moment
vous devés sentir mon cher Polier combien il m'importoit d'arriver à
une Situation indépendante des peut-être et d'une Reconnoissance 1 mot biffure
toujours douteuse, or cette Indépendance j'en vai jouïr, et elle me suffit.,
le Sentimens de mes Devoirs 3 mots biffure tout ce qu'on pourroit y ajouter
de plus ne rendroit pas le Sentiment de mes Devoirs plus vif, et n'aug=
menteroit pas mon zêle audelà de ce qu'il est. Cependant je vous
l'avouerai les Balottemens que j'ai éprouvé si longtems, ne me permet=
tent pas encore de croire trop à ces 1 mot biffure annonces de bonheur; je suis devenu
si sceptique 2 mots biffure sur cet article que je ne serois point étonné,
point affligé même, si j'étois obligé de rabattre des Espérances dont je
viens de vous faire part; ma seule Inquiétude seroit produitte par la
crainte d'en causer à mes parens. Avec une façon de penser pareïlle,
et avec un Ame préparée à supporter également l'une et l'autre
fortune, vous pouvés être rassurés mon cher Polier sur l'Espéce d'ambition
qu'on pourroit m'imputer dans la place ou je suis. J'ai de l'ambition il est
vrai; mais les Grands et la faveur ne peuvent rien pour elle.
<6r> Je suis très fâché que Vous ayés manqué Mr de Sin... qui a manqué
de cette maniére toutes les personnes auxquelles il avoit adressé en Suisse: j'aurois été
bien aise qu'il vous eut parlé de moi, et de la maniére dont je suis ici.
Les Détaïls que vous me donnés sur Lausanne m'ont causé de bien vifs regrèts et
me rapellent les Journées agréâbles et instructives que j'y ai passées. Ainsi s'écou=
lent nos beaux Jours! et pour ne plus revenir! Je suis souvent dans le
doute de savoir si les gens sensibles ne sont pas la plus malheureuse espéce
d'entre les mortels, et tout de suite j'ai 100 raisons pour le prouver, mais j'en
trouve un nombre encore supérieur pour l'avis contraire. 3 mots biffure Quant à moi je
jouïs plus d'une heure de bonheur à ma façon que je n'ai souffert dans
100 heures consécutives, et à quelques tourmens que mon coeur m'ait expôsé
je ne voudrois pourtant pas en changer lorsque j'y pense de sang froid. On
s'use il est vrai en faisant tout avec passion, mais est-il dit
qu'on doive devenir aussi vieux qu'un Patriarche? et la nature qui forma
les homes sensibles pr s'en servir n'at-elle pas donné à ces instrumens
les proportions qu'ils doivent avoir? Enfin si j'ai senti et agi dans
24 heures 10 fois plus qu'un autre, est-il besoin que je dure aussi
longtems que lui?
Je vous enverrai la Carte de l'Académie par la 1ere occasion, mais pas
par celles que vous m'indiqués. Quant aux autres Cartes il ne m'est pas possible
de vous les envoyer: peut-être les trouveriés vous à Göttingue ou à
Leipzig.
Je n'ai rien encore pr Mr Bergier, cependt j'ai intéressé plusieurs person=
nes. Je vous le répéte, il me paroit que les Indes seroient infiniment préfé=
râbles, car je ne crois pas que Mr Bergier pût faire trouver une Place
assez bonne pr lui donner l'espérance de se retirer en Suisse une fois
avec quelques épargnes. 5-6 mots biffure. Vous trouverés
ci contre une annonce des Propositions qui m'ont été remises de la part
d'un Gd Seigneur dont les procédés sont loyaux et nobles et avec lequel il
n'y a pas à craindre (dit-on) ce qu'on a à craindre ordinairement . Si vous
trouviès par vous même, ou par Monod, quelqu'un à qui ces propositions
telles qu'elles sont pussent convenir, et qui convint aussi lui même à la
place, vous me feriés plaisir de m'en faire part. d'après ce que vous
m'avés marqué je doute que ce fut l'affaire de Mr Bergier. Il faut
un home instruit et sur jusqu'à la fin de la ligne biffure
1 mot biffure dont je puisse répondre. Si vous n'en trouvés point marqués le moi.
<6v> Si vous trouviés quelqu'un dites lui bien que le papier ci contre contient tout, et
qu'il doit se décider uniquement d'après. avés vous recû une Notte que je
vous ai envoyée par mes parens et qui contenoit une Comission du Comte Stro=
ganof? Je désirerois beaucoup de pouvoir lui rendre ce Service,et je suis persua=
dé que Mr de Saussure auquel je vous prie de faire beaucoup de compli=
mens, voudra bien s'y employer. Dès que vous aurés trouvé ce qu'il faut
faites m'en part au plutôt, car le Comte voudroit que son fils profitta
de la belle Saison pr se rendre à Lausanne avec son Gouverneur. Enfin
mon cher à ces Comissions multipliées je dois ajouter encore celle ci: Faites
moi le plaisir de prier Mr La Combe de prendre patience pr quelques mois
(2 ou 3) au sujet des livres que je lui dois: jusques à présent j'ai été dans
l'honteuse impossibilité de m'acquiter envers lui, et il faut pr le
faire que j'attende le Payement de mes appointemens. Il a écrit
à mon père 1 mot biffure pr demander (come juste) à être payé, et je suis convaincû
que mon père aura eû les plus étranges idées sur mon compte en recevant
cette lettre: j'aime mieux lui payer le ¼ en Sus que pourvû qu'il laisse
mes parens tranquilles je l'en ai prié, mais ajoutés vôtre mot en atten=
dant que je rende la chose parfaitte avec du Numéraire.
Présentés mes obeissances à Mr et à Me Kaschalof: je vois souvent
le frère de madame.
Lorsque vous verrés les jeunes Lanskoÿ je vous les recomande. Le Colonel
Basile m'a écrit depuis peu et me charge de vous dire mille choses, il est
à Soumi dans l'Ukraine environ à 400 Lieues d'ici ce qui est une
bagatelle. Dites à notre ami Samuel que je suis bien charmé que
les Ciseaux fatales n'ayent pas fait râfle chez lui: avés vous oublié son
désespoir lorsque l'on touchoit cette corde? dites lui mille et mille choses. Extrêmement
sensible au Souvenirs de Me votre Epouse et, de Mes vos Soeurs et de toute votre
famille, je vous prie de leur en témoigner à tous ma vive reconnoissance.
beaucoup de Complimens à la Mothe, Deyverdun, et à toutes les autres persones
qui se rappelleront que j'éxiste.
Si vous saviés combien au milieu de la plus grande Dépravation, ce que vous me
proposiés est peu faisâble, vous en seriés étonné. C'est un stérile bonheur que celui de
lorgner tous les 15 Jours, et c'est cependt là la plus claire de mes jouïssances. Il semble
qu'on s'intéresse à moi, mais encore que veut dire ce mot intéresser? Je ne dis rien qui puisse amener
une Explication 4-5 mots biffure et j'évite toutes les occasions d'etre seul. Imaginés
ma détresse puisque je fais souvent des voeux pour qu'elle passe ds les bras d'un autre? Vous ne
me ferés pas j'espère le tort de penser que le désir de la séduire y entre pr quelque chose.
Nous partons dans 2 ou 3 jours pr la campagne, mais si nous avons les feuïlles dans
un moins nous devons nous croire fort heureux. Adieu mon bon ami je vous embrasse
de toute mon âme. pensés à moi et soyés toujours mon ami.
A Monsieur
Monsieur De Polier De Bottens
ci devant officier au Régiment Suisse d Erlach
A Lausanne
En Suisse