Transcription

Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Le Bignon, 06 novembre 1780

du bignon le 6e 9bre 1780

on ne peut penser et dire plus sagement que vous ne faites mon digne
amy, sur l'article qui me tient, comme de droit, en cervelle depuis qu'on
y pense sérieusement, cest a dire sur l'article de mon fils; mon frère s'est
parfaitement mis de coté mais il desire; la femme repoussée dans ses 2emes
démarches, nonchalante, indécise, combatue par son père, et sans doute par
bien des conseils qui n'ont pas tort, se tient dans sa coque et sans doute a
peur. il s'aide luy depuis qu'il peut écrire a sa soeur, et comme il a de lesprit
fou comme touts les millions de diables, et de l'audace innée a un point qui
eut peu dexemple il se retourne en 100 manières pour empiéter, toujours
néanmoins enchérissant sur son repentir et surpoids d'iceluy comme filial, car
pour tout le reste qu'oyquil s'y prenne de son mieux pour faire le mort, on
voit qu'il s'en bat loeil et qu'il sent fort bien qu'il n'auroit qu'a paroitre pour
faire tout revirer. oh quand a son talent pour l'audace l'intrigue la turbu=
lence 1 mot biffure et les ressorts actifs pour venir a bout de ce qu'il s'est une
fois mis en tète il n'a certainement pas de pareil. mon frère fera abso=
lument ce que je voudray, sa femme, luy une fois libre, se laissera prendre
comme une poule que le coq tient par le toupet; il sen sera de mème de
la ville et de la cour, car la ville est si corrompue et si battue de mauvais
sujets authentiques qu'il y en a plus que de pavés; a l'égard de la cour je
me rapèle toujours ce que la Mise de durfort mon amie maintenant la
duchesse de Civrac, la femme la plus habile de la cour, a qui je l'avois envoyé
lors de la courte apparition qu'il fit a paris en 1771 me dit, mon amy, si
d'icy a dix ans cet homme ne devient fol ou ne se fait pendre souvenés vous
qu'il viendra icy nous marcher sur le dos a touts.
il ne scauroit ètre question
de rien de tout cela, mais vous connoissés bien le monde et le siècle et les hom=
mes et vous avés de bonne heure réfléchy sur tout cela. et quoyque vous
ayiés vécu aux antipodes du paÿs fol, vous avés suivy de loeil les progrès de
<1v> l'impudence, oh l'on ne scauroit mettre en doute son humiliante supériorité. oh
si je vous contois des traits naturels de cet homme; qu'en son enfance, presque nud en
écolier le plus lait et gauche et malpropre qui eut jamais été, a la fète et jour de
st cloud, son gouverneur l'ayant absolument et tout a coup perdu dans la foule
et le cherchant avec effroy, voit des hallebardes et suisses qui faisoient faire place
a un groupe, cétoit le duc de chartres enfant qu'on promenoit in fioqui et poisson
aperçoit son marsouin en viel habit rouge, taché et déchiré, qui au milieu de
ce groupe avoit joint le duc et le séparoit en dialogue. en corse ou après 100
folies, je l'avois envoyé faire la campagne bien recomandé et amené, mais dans les
chasseurs et volontaires de la légion de lorraine a pied et de moitié d'une canon=
ière, soux un autre nom que le mien, et suplié Mr de vaux de ne le pas connoitre.
et bien, au quartier gal décidant toujours a table a coté du géneral, honny pour
impudence, mais étonant les auditeurs de son prétendu génie pour la guerre, et
quand je fus le présenter au Mal de broglie un matin, Mr de vaux et son etat
major y arrivent et je fus étoné mais fort, de l'air de considération avec lequel
ils reçurent ses révérences. cette mème année pour la revue du roy Mr de Nivernois
luy prète un cheval, comme je luy fis avoir un brevet de capne de dragons, il s'etoit
faire un uniforme du régiment colonel gal, il arrive, décide prédit que dans telle
manoeuvre le centre trop serré crèvera; enfin tout naturellement il se trouve luy
cinquieme sur le 1er rang avec le roy. et le duc de luynes quil endoctrinoit
depuis une heure voyant les boutons de son propre régiment sur l'habit du doc=
teur se hazarde enfin a luy demander dans quel régiment il seroit dans le
votre Mr le duc si j'en avois connu un meilleur je laurois choisy de préférence.

enfin toujours dans ce court passage Me de pailly l'a vu (car il ne faisoit pas
de ces choses devant moy) tout en parlant à Mr de maurepas le prendre et tenir
par un bouton de son habit, et ce ministre qui en commença les fonctions en 1724
que j'ay toujours respecté, et que peu de gens en effet ont pris a la boutonnière
puis comme un rat suivoit, de son moins mal, l'impression intercadente du fougueux
harangueur tandis que notre amie étoit sur les charbons. en voila bien long mon
bon amy en citations de folies, mais votre bon coeur et prétieuse amitié s'en occupe
comme moy. je vous dis donc que touts les débris effrayants pour le bon sens, dont
s'est entouré cet homme, ne sont pas ce qui l'arrètera; mais il a trois points qui le
sont bien davantage. le 1er est qu'il n'a ny caractère ny par conséquent de principes
il est ce que seront les gens qui l'engantent, tout le reste n'est que du bruit et du son
il suit de lâ qu'il n'a point de vérité, mais cet article n'est pas une suitte un effet
il est une cause; sa vanité est excessive et toute vanité est mensongère, il est
sicophante et charlatant par attrait et naturel. le 2e point est qu'il est turbulent
et asociable etant plus fatiguant encor dans ses joyes que dans ses fougues. cecy
tient encore au naturel et au 3e point qui est que je le crois fou phisique, ou peu
s'en faut, ce qui est pis. au reste soyés tranquille il ne sortira qu'au moyen d'un ordre
qui le mette en mon absolue disposition ou point du tout; mais il a infiniment
<2r> desprit et en aura beaucoup d'avantage s'il vouloit renoncer a jetter de la poudre
aux yeux, au plagiat, et au mensonge et vouloit penser par luy mème, et chose
bien étrange a dire, il n'a pas le coeur mauvais, au contraire; sa santé, ses yeux
surtout se perdent dans la prison; mes enfants me persécutent et il sortira par
degrés, moyennant cette condition.

cette année cy finira comme elle a commencé toujours prématurant les saisons; car
voila que cette nuit il nous est tombé de la nège assès. du saillant ne mange pas son
pain blanc le premier pour sa grande entreprise et ses grands travaux. février et mars
ou il a pu commencer ses avoines, menus grains et pommes de terre furent ensablés de
pluye ainsi qu'avril et tout se fit mal; ensuitte la sécheresse luy a tout fait périr.
cette automne pluvieuse a doublé et triplé les frais de grands travaux quil fait pour
troux a terreaux, a fumier &c le tout revètu qui font de sa bassecourt le cahos et
l'on ny scauroit aborder, les chemins etant rompus tout autour par ses nombreux
charrois. enfin il venoit de luy arriver 24 superbes boeufs de l'agenois pour ses
engrais et 16 moutons de la marche, dont les cornes etonent ce paÿs cy; il avoit réser=
vé partie de ses regains pour 1er dépaitre et ce que les engraisseurs apèlent déprendre
la p
3 caractères écriture, voila que la nège les couvre et les rendra nuls pour la dépaitre. heureuse=
ment il a pour le 1 mot biffure métier la meilleure des qualités et la plus distante de moy
c'est la patience; car il luy faut ajouter un contretemps encor, ce sont des Rhumes
et fièvres épidémiques qui n'ont épargné personne icy.

mon amy j'ay plaisanté quand j'ay récidivé en importunités pour vous
faire trouver mon dernier ouvrage bon, et vous avés tout droit et raison
de vous en tenir a la formule du bon abé de st pierre, qui dit que pour
entretenir paix, charité et vérité, il faut toujours dire cecy me paroit
bon pour moy quand a présent
et jamais n'affirmer ny ne nier davantage. je
scais bien ny plus ny moins, que le livre des devoirs est plutost en dialogue qu'en
catéchisme, qu'il est bon comme le bon pain qui n'apetisse point, mais qui fait mieux
car il nourrit et rassassie; que qui en a chex luy n'a que faire qu'on luy en presente,
mais que ny plus ny moins le boulanger est un bon manoeuvre que dieu aide et aidera.
adieu mon très cher amy, donnés moy toujours de vos nouvelles, et de tout ce qui
vous touches, et de Mes vos soeurs, et de vos chères filles, et de vous et de bursinel. adieu
je vous aime et embrasse tendrement, mes Respects bien tendres a toute votre maison.


Enveloppe

a monsieur
Monsieur de Saconai en son
chateau de Bursinel près Rolle
en Suisse
par Pontarlier


Etendue
intégrale
Citer comme
Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Le Bignon, 06 novembre 1780, Collection privée. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: https://lumieres.unil.ch/fiches/trans/668/, version du 02.05.2018.
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