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Lettre à Frédéric de Sacconay, Le Bignon, 01 octobre 1780
du bignon le 1er 8bre 1780
je crois comme vous mon cher amy qu'il faut avoir fait les choses
en veritable animal pour se trouver capot quand elles sont parachevées
car cest celâ qu'a voulu dire l'axiome latin; quand a moy qui ne scaurois
m'empècher de mettre de l'amitié caressante a tout et partout je n'ay
point du tout éprouvé cela, ains au contraire un surcroit de reconoissance
sentiment que j'aime fort a choyer, et quand mème en certain temps l'ap=
etit animal seulement me forçoit a toucher en passant a la ruche
comme feu jonathas in summitate virgae, encor, loin d'en etre triste
m'en trouvois je fort soulagé. toutefois il est très vray que la plupart des
hommes sont dans le cas de l'axiome et sur cela nulle femme ne m'a dit
le contraire, et elles me l'ont dit d'hommes si passionés a la poursuitte
si enclins, si occupés de la chose, qui y sacrifiroient tout, et qui furieux, désolés
prèts a se tuer au moment du refus avoient l'air ennuyé ou confus, ou tout
au moins distraits et 1 mot dommage &c dès l'instant mème. la chose mème est si
générale et si connue que je trouvay du plus plat et écolâtre pedantesque une
certaine note qui dit cela dans la nouvelle héloïse et qui commence par ces
mots femmes faciles &c.
ainsy avons nous été mon cher amy après nos vendanges; tout le monde
se flatoit d'en avoir le double de ce qu'on en a eu; certains ceps etoient magni=
fiques, et au fait moins que l'année passée, il est vray que les raisins étoient excellents
c'est la 1ere fois de ma vie que j'ay permis les vandanges dans mes terres
avant le 1er 8bre et si ay je laissé passer les particuliers avant moy, mais je
les ay faites le 2e et bien nous en a pris car dès le 29 la pluye a commencé
et puis l'orage et le temps est tellement pris et changé que nous aurions tout
perdu: je souhaite que vous ayiés fait de mème ou que le temps soit diffé=
rent. le climat a bien changé mon amy depuis le temps ou une jolie
vendangeuse venoit demander au sgr frillon la sorte de grape qu'elle vou=
loit coeuillir de préférence, et ou par la mème voye qui fouragea la
vigne de joconde on luy bailla la béquée du fruit desiré: montagne n'est
pas tant sot quand il dit que ne pouvant plus se rejouir l'imagination
par lespérance il se l'égayoit par le souvenir et qui nous verroit si gaillards
croiroit que nous fumes très dissolus en notre jeunesse, mais cest mal connoitre
les hommes, il faut se dire et il est certain que le vray bon coeur ne fut jamais
ny trop jeune ny trop vieux.
quand a mes procès laissons les lâ mon cher amy ils m'attendent a la
rentrée, cest a dire a la my novembre et si je puis je les feray attendre jusques
<1v> après le jour de l'an, car je n'aime plus du tout la ville, et dailleurs, raison
plus que suffisante, elle me ruine et je n'ay pas dequoy y demeurer ces an=
nées cy ou je n'ay pu encor faire rien décider sur mes affaires et ou j'ay ache=
vé ny plus ny moins les dépenses de batiment de mon bignon. au moyen
de ce je voudrois bien ne rentrer en capharnaum qu'aux fetes de noel.
au reste mon amy j'ay reçu une lettre du colonel du régiment ou mon fils
cadet s'est attaché pour passer en amérique, homme sage et froit; cette lettre
m'a satisfait d'un bout a l'autre, il me mande que quoyque informé il n'a
plus connu aucun dérangement que l'ayant forcé de rester etant dangereuse=
ment malade il avoit profité 2 mots biffure d'un vaisseau rentré pour une voye
d'eau et s'etoit trouvé aux combats , qu'on ne peut voir une plus belle
valeur, etant dailleurs toujours malade a la mer, qu'il le rembarque pour
une expedition, mais que le climat luy est absolument contraire; j'ay eu
mon amy une joye bien nouvelle pour moy, et des sentiments bien directs
vers ma grande patrône; je ne m'informe pas maintenant s'il vit ny sil
meurt, puisqu'il sera mort en honnète homme.
a légard de l'autre qui étoit un prodige d'esprit 1 mot biffure au gre dire des autres, autre
que de folie, il n'avoit que l'art de jetter de la poudre aux yeux; maintenant
qu'il s'humillie et suit la bonne route il prend de lesprit a luy, ce qui au
moyen de sa facilité veut dire beaucoup, et avec ce tour de caractère avan=
tageux que rien ne pourra changer. maintenant sa soeur son beaufrère
plaident sa cause ou intercèdent; sa femme de mème auprès de mon frère
qui refuse de s'en mesler aucunement. mais comme je mandois hyer a
mon frère il ny a que moy qui tient la queue de la poile, et je n'ay pas trop
de presse de sauter dedans; je sens bien qu'on ne peut léprouver ou il est, et
ils veulent touts une épreuve; je sens mème que je ne puis ny ne dois mettre
sur ma conscience le repentir désespére, mais en attendant je ne scais qu'en
faire; en attendant cela me donne beaucoup a penser et mème a travailler
vous en serés instruit dans le temps mon cher amy, car cet article est en un
état de crise.
mais parbleu vous etes bien difficile mon cher Monsieur de ne vouloir pas
trouver mon ouvrage bon et très bon, quand je vous dis qu'il l'est; moy qui
l'ay fait et qui par conséquent dois le connoitre: quand a ce que vous me dites
sur l'opinatreté a faire des ouvrages purement didactiques, pour vous répon=
dre je vais vous faire transcrire icy, ce qu'un très bon et zélé oéconomiste que
j'avois donné au pce de bade et qui travaille depuis 4 ans a des dépouillements
de culture, me mande, et en cecy sa sainte pensée s'unit a la mienne. il ny a
autre chose a faire que l'instruction, et a legard de la multiplicité de methodes
autant de serrures autant de clefs, autant de tètes autant de sens.
adieu mon amy, comme jécrivois cecy, le sr st pierre est venu me dire que vous vous
portiés bien et que vos vendanges avoient eté très bonnes, je vous en felicite, j'offre
mes très tendres Respects a vos dames, et vous embrasse
Mirabeau
<2r> Extrait d'une lettre de Carlsruhe du 22. 7bre 1780
Je crois avoir très fort raison en disant que peu m'importe l'usage qu'on
fera de mes dépouillemens, parce que mon objet n'est pas d'aller dire
aux princes d'etre justes en extirpant leurs douanes. Mais ma tache
est réellement et essentiellement de repandre l'instruction parmi les
peuples; et tout ce que je puis faire quelqu'avantageux qu'il paroisse,
qui m'éloigne de cette mission apostolique, est une vraye perte de temps
au lieu de 50 villages que je parcoure rapidement par an, il vaudroit
beaucoup mieux que je n'en fisse que deux, et que j'y pusse instruire
un homme dans chacun.
ainsi je fais un travail le plus pénible et le plus fatiguant
et je me tue pour rien assurement puisque je ne repands aucune
lumiere. C'est un protocole de colonnes que nous remplissons
en courant à la hate étant toujours pressés, et parce qu'on a
entassé une quantité de papiers tous herissés d'une multitude
de chiffres on croit avoir fait beaucoup de besogne, et l'on n'a
pas instruit un seul homme.
cela ne doit être que pour des nations éclairées de leurs droits
essentiels et qui riches de grandes avances agricoles et souveraines
ont de grandes riches disponibles, en veulent regler leurs droits
respectifs. Pour lors on peut leur présenter la marche inventoriale
et on ne feroit seulement que les guider dans l'exécution qu'elles
en feroient elles mêmes 1 mot écriture donner l'ordre qu'elles doivent suivre
ce qui feroit un travail convenable alors. Aulieu de cela je sue sang et
eau pour faire chez une nation des travaux aux quels elle n'entend rien
absolument, et ne sait ce que cela veut dire; bien plus me regardent
avec la plus grande méfiance et dont elle n'aura vraisemblablement
besoin de plus de 50 siecles; Car je vous ai déjà fait voir par l'exposé
que je vous ai fait du pays, que la seule dixme que l'on y leve est
plus que suffisante pour remplir les droits de la souveraineté. Si je
m'avisois de dire cela ici, souverain et tous ses suppots me lanceroient
des pierres de tous cotés; car la vraye et parfaite justice n'est, je crois
comme sur ce globe que de vous et de moi
ainsi l'essentiel pour l'établissement de l'ordre n'est pas de
renverser des douanes, c'est d'établir parmi les peuples l'instruction
dont une fois pénétrés ils sauront bien s'affranchir de ces oppressions
aulieu que renversées par quelques bons princes, elles renaitront
perpetuellement comme les tetes de l'hidre s'il n'y a pas une
instruction populaire qui les anéantisse pour jamais
je crois vous exposer des verités qui vous prouveront que je sens très bien la difference des temps
de la semence et de la moisson et que dans l'ignorance où est l'Europe ces temps sont fort éloignés;
mais je ne dis cela qu'à vous parce que vous seul m'entendés
a monsieur
Monsieur de Saconai en son
chateau de Bursinel près Rolle
en Suisse
Par Pontarlier