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Lettre à Frédéric de Sacconay, Le Bignon, 18 février 1786
du bignon le 18 fr 1786
jembrasse et réembrasse bien tendrement mon cher fréderic; ma
tête qui jadis n'etoit pas du tout inquiète le devient pour ceux que j'aime
et heureusement cela n'est pas nombreux. dailleurs il ne nous est pas
arrivé de perdre des lettres, et j'avois si bien écrit le 10 xbre qu'en voila la
copie cy joint ; attendu que Me de pailly qui etoit encore alors icy, et à qui
jen montray l'article sur les gens de cabinet, me dit qu'elle étoit philosophique
et voulut que je la gardasse. elle fut à votre adresse ordinaire à bursinel;
mais on se plaint plus que jamais des postes. quoyqu'il en soit l'inquietude
m'avoit gagné de manière que je l'ay même communiquée à Me de pailly
qui me manda qu'elle avoit des nouvelles de Rolle, où lon scauroit tres
certainement si vous aviés été malade, et quand votre lettre est arrivée ça été joye
de maison.
mais mon amy n'ayés donc plus de frisson et abatement; vous êtes sobre
je l'ay vu, cependant ce sont secousses d'estomac; mais il vaut mieux qu'il
se plaigne fort, ce qui arrive moins à notre age. de plus mon cher resérvons
nous s'il vous plait desormais pour le conseil. Mr votre père engendra
bien plus agé, une belle et bonne excellence; mais outre qu'on peut degenerer
sur ce point, autre chose est le ménage, autre le lit à part. il est quelquefois
le matin des regains de jeunesse qui trouveroient le voisinage commode,
mais de pied ferme le combat ne nous va plus. en un mot mon cher amy
vous êtes heureux, vous le sentés et vous le dites, et je faisois entrer encore
cela dans mes lubies, quand j'etois inquiet: vous êtes heureux, mais les
autres le sont par vous, et vous leur etes nécessaire, ainsy prenes soin de
votre personne à touts égards, sans se mefier de votre bonne santé ny trop s'y
fier, car ce ne sont pas les cacochimes qui ont les maladies subites.
je me rapele que je vous répondois dans ma precedente dont vous
aurés icy copie, sur l'article de mon voyage très desiré, pour revoir
les lieux charmants et les habitans cheris de votre sèjour. il y a plus
de deux mois que j'ay écrit cette lettre, et qui m'auroit dit alors quil
ny auroit pas un pas de plus fait à ce jourcy pour mes affaires
m'auroit fort etoné. ces pas n'etoit pas de ceux queou la présence de
<1v> l'intéressé est absolument necessaire. il s'agissoit de la 1ere production
ou complément d'un conte de tutelle. mon procureur qui contraint par
la teneur d'un arrest en avoit produit une esquisse en xbre 84, ne
put l'année passée être par moy detèrminé à fournir le tout, et si
ay je été neuf mois entiers à paris. il fit juger mon conte definitif de
communauté, qui etoit accroché depuis deux ans, et tout fier de sa
victoire ils vous demandent si l'on croit être seuls au pilori, et vous
defient de montrer un plaideur plus promptement servy. il m'avoit
promis de mettre en regle, les vacances dernières, ce conte de tutelle:
cest d'ordinaire leur temps de travail pénible; oh point; quand j'au=
rois été à paris, il m'auroit dit, que mon raporteur qui etoit celuy
qu'on apele de la cour avoit bien autre chose à faire, lors de loposition
du parlement au nouvel emprunt, avoit bien d'autres chiens à fouetter;
que celuy que je desire à la place, juge expéditif, et qui me dit gagner
l'année passée, est le raporteur de la grande affaire du cardinal. en
un mot mon ami vous entendés tout cela; mais il vous seroit impossible
d'entendre à quel point de progression sont montées les saturnales
parisiennes; les folies les plus outrées en fait de deprédations y sont le
courant pour la jeunesse, et l'ordre de courir sus semble être ce qui
tient ensemble le restant de la société. Me de pailly qui n'est rien moins
que frondeuse du courant, me mande les hommes semblent touts des
demons acharnés à se piller et se supplanter les uns les autres. vous
me demanderés que fait tout cela à notre question? mon amy je conterois
vous aller voir l'eté, vos brillantes vendanges et vos belles bernoises, ne
sont point mon fait, mais la saison de voyager pour un viellard, ce sont
les longues journées et les auberges rapides; or seray je libre en cette saison?
croyés au reste mon cher que je ne scauroit éspérer de plaisir plus
sensibles que celuy de voir votre félicité domestique, et d'emporter
dans mon souvenir toujours vivant et ardent, l'image de cette famille
qui m'est si chère, et des lieux qui doivent tout à l'ame sensible et
sociable de mon ami et à lesprit d'ordre et d'arrangement qui luy
coute si peu.
et toujours la corse pour Mr de vatteville; qui auroit dit à vos anciens
capitulans, que leurs neveux iroient deffendre la france, en présence des
<2r> côtes de barbarie? votre digne gendre doit bien scavoir la route de
la provence, et en qulelque sorte contraster avec l'ancien proverbe
qui disoit de nous françois plus que lions à l'aller, pire que femmes
au venir. je ne le crois pas édifié de nos provençaux. ce fol de
butré qui a sa liberté les hyvers, et qui d'ordinaire alloit parcourir
vos contrées, c'est avisé cette année cy de prendre une autre direction.
tout à coup il m'ecrivit d'hyères; il parloit avec enchantement du
climat, et avec detestation des habitans, qu'adroitement il comparoit
avec vos suisses dont il parloit avec adoration. si en passant à aix
Mr de vatteville daignoit voir mon frère le bailly, soux le titre de
votre gendre, il luy feroit autant de plaisir, que d'honneur en sa
qualité et en sa personne.
vous me demandés pourquoy je suis encore icy; il y a tant de pourquoy
de détail qu'il faudroit vous faire celuy du courant de mes circonstances
qui certes n'auroit rien d'amusant pour vous. je vous diray
seulement qu'entouré de toutes parts du derangement, qui
de vice national bien demontré à toute leurope, se trouve
par suitte naturelle être le vice privé de toutes les familles,
il m'est d'autant plus nécessaire de me tenir dans la plus grande exac=
titude habituelle sur cet article, que mes charges sont très fortes et les
cas fortuits d'un palais devorant, plus ruineux; j'ay en conséquence
pousse le temps avec lépaule, parceque tout est au feu maintenant
à paris, pour un homme surtout qui y est attendu par de bons apétits
et des poches vuides.
adieu mon très cher, marques moy par quelle voye je pourray vous
faire tenir un livre qui vous fera plaisir peutètre, et offres mes
tendres Respects chex vous; je vous embrasse
Mirabeau
<3r> Extrait d'une lettre
Le 1er choc sera sur les capitalistes, qui peu à peu se doutent à peu près que
leurs fonds deviennent viagers; et même l'exemple du passè pourroit le leur dire,
car les fonds et prêts de cent aus au public, valent certains 40 lb de rente pour
environ 300 000 lb. de fonds. Se divertir et ne rien faire, est le voeu general des
deux extrêmes de l'humanité à savoir les sauvages et les civilisés il n'y a
d'hommes que le medium, qui seroit infiniment peu nombreux en ceci si la
nécessité ne forcoit au travail régulier les agricoles, les artisans &c car les
foires et marchés sont au peuple des campagnes ainsi que les fêtes votives,
ce que sont à la populace les guinguettes et les musicaux. il faut donc
le divertir; et de quoi encore? se divertir. à la béquille du pere
barnaba pres, qui ne peut varier qu'en un certain point sur les modes
et jovialités, et encore; car quand je me rappellois la chanson de Roquelaure
la jette t'on sur un lit, aussitot elle vous dit des peches des peches &c. Je
pensois que moins d'un siecle après, les femmes disoient tout le controire
et qu'encore après est venu le temps où elles se détruisent par des
recherches de luxure et de volupté. il suit dela que la nature dans les
loix même les plus invariables, est forcée à ceder à l'empire des moeurs
imitatrices et de la corruption des moeurs, qui n'a de simptome que de
s'ecarter d'elle, et de principe ou cause motrice, que le desir d'arriver par le
plus court chemin.
Entre la nécessité de la subsistance qui nous garotte, et l'attrait
<3v> impérieux de l'indépendance pour le divertir, soit au repos soit au plaisir,
je n'irai pas avec une tête comme la tienne, marquer les divers crans de
variations des travaux et des moeurs en leur donnant à chacun son étiquette
comme je pourrois faire avec un écolier; marche seulement par les degrés d'insouciance,
chere idole de l'homme, puisque les soucis l'eveillent, le fatiguent, et disposent;
et la prévoyance n'est pourtant que cela, vois combien les denrées demandent plus de
prévoyance que les marchandises, celles ci plus que l'argent, l'argent plus que le
crédit, le crédit enfin plus que le discrédit. C'est où nous en sommes, c'est, et je le
vois des yeux de l'expérience, c'est où reposent tout à l'heure et dès maintenant les
nations. Tu vois quelle sorte d'allure et de stabilité cette maniere de repos peut
donner aux choses. mais enfin, tant que le crédit metaphysique et le discrédit
réel pourront donner une force de lueur qui nous rende excusables, non à nos propres
yeux (car personne pour soi n'en est la dupe, et tout cest dégagé des lieus, passés,
présents et futurs) mais à la face des exemples tous aideront au prestige,
persuadés, de ce qui est vrai, que la plupart seront morts avant d'en voir
la fin. je sais de là qu'on ne verra plus les mêmes formes d'arrangement et
même de nécessités que par le passé: et en feront d'autres, et ces autres seront
foibles baisse1 caractère écritures pour les spectateurs.
à monsieur
Monsieur de Saconai à
Berne en Suisse
Par Pontarlier