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Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 06 août 1786
de paris le 6 aoust 1786
je reconnois mon bien bon et bien digne ami à la vivacité avec
laquelle il a saisy ou reçu la premiere ouverture que je luy ay
faite de mes motifs de doute sur mon impassibilité; mais mon cher
ne soyés pas tant en peine; la dame notre amie, qui me connoit
bien, dit que je suis aussy impatient des petites contradictions, que
constant à soutenir les grandes, ainsy un petit bobo peut me paroi=
tre grande chose et n'être rien ou presque rien. quand à la santé
mon cher ami jay un grand principe, cest qu'on rajeunit un vieux
arbre, et non pas un vieux homme; la machine est trop compliquée, et
quand elle est usée, cest une illusion pure, et presque toujours dange=
reuse que de croire la retablir par des remèdes; je crois même qu'elle
s'élime, seulement à y regarder. autre principe, touts les maux entrent
par la bouche, comme touts les malheures en sortent. (il est chinois) je
n'écoute donc que mon estomac, qui m'a averty fidelement toute ma vie,
et presque toujours en vain, quand à la conduitte journaliere et du moment
mais non pas quand à la peritie, et à la connoissance de ce beau petit
univers qui s'apele moy. si j'avois aimé à courir au remède, il y en à
icy de toute espèce; des cureurs d'oreille, dont plusieurs se trouvent fort
bien, et la mienne devenue fort dure avant l'age, m'ote un des grands
agréments de la vie, qui est d'entendre en cercle où je ne vais plus: et des
oculistes, j'ay vu mon père, bien plus jeune que je ne suis consulter de
toute parts contre un brouillard qui m'environne depuis du temps, et se
prématurer aveugle; loeil droit sans avertir personne que moy, prend
le parti de la retraite, et jécris sans cesse avec l'autre 1° parcequil le faut
2° par un vieux principe que les organes exercés se conservent; je lave
fréquemment les yeux d'eau froide, et le matin d'urine, point de lunettes
attendu qu'aucune n'a jamais été à ma vue; et voila tout.
cecy nous amène à l'article qui tient en peine votre amitié. oh comme
il est fautif ce dernier principe mon cher ami; si vous ne le scavés je
vous laprends en ma conscience. à peu près fidèle (du moins dans l'age
de maturité) à l'axiome qui dit que changement de logis use le mobilier,
<1v> à cela près, peu d'hommes ont été plus reguliers que moy à lexercice et
cepandant... personne ne respecte plus que moy les qualités d'esprit et
d'ame de Mr cabanis et sa réputation dèz longtemps de moy connue,
mais je puis l'assurer que je n'ay ny pierre ny gravelle, ni rien du
tout de ce qui y tend. à l'égard du fungus, je ne scais ce que c'est; et
je me garderay bien de l'aprendre, car les gens à imagination, créent
les êtres; il ny a de vray que ce qu'on croit, et l'homme croit fort aisément
ce qu'il craint et ce quil desire.
je ne scais où est la vessie, mais mon bobo à moy est à la détente des
urines, quand elle vont bien et rapidement, et qu'elles s'écoulent jusques
au bout, il me demeure après ce qu'on apele des ardeurs, cest à dire une
cuisson qui se passe étant assis; quand au contraire, il y a de la
strangurie ou l'his l'yscurie cest à dire que les urines ne viennent
que par un filet etou seulement goutte à goutte, si je les arrête, (ce que je
fais sans mal quand je veux et elle viennent peu après) alors dis je
je n'ay pas d'ardeur. c'est ce que me prédit le médecin dont je vous ay
parlé; qui quoyque jeune est fils d'un grand médecin, a un scavoir que
n'ont point icy les plus renommés, et un amour pour sa profession
bien véritable, un caractère ferme que j'ay vu à l'epreuve icy dans son
passage, où je luy ay vu traiter des maladies graves selon sa méthode
dont on n'a seulement pas d'idée icy, et sans hésiter, chose rare aux
ultramontains, qui pour trop d'esprit son touts timides. avant son
départ il me conjura en cent manières de la plus vraye affection, de
ne me point laisser tenter, à toute autre idée sur mon mal, et quil m'en
répondoit sur sa vie et son honneur que je pouvois diffamer dans les
papiers publics. j'ay consulté la bordère 1er médecin de Mr de cte d'artois
ancien ami à moy; non que je le crusse plus habile, mais parceque je
l'avois vu dans le même cas, auquel il s'etoit trompé, croyant avoir la
gravelle. il s'en est bien guéry, chose que je n'espère pas, attendu qu'il
étoit bien plus jeune alors que je ne suis, et quil est d'un autre temperem=
ent, mais il m'a dit la même chose. mon frère qui est aussy précau=
tioneux et demy scavant en médecine que je le suis peu, m'a mandé
la même chose et comme son ordre est un recoeuil de vieux étuis félés
il m'a cité un nombre de vénérables baillis et commandeurs qui depuis
quarante ans sont ébréchés de la sorte, et qui n'en vivent que mieux
<2r> ou plus; et entrautres un grand prieur plus que centenaire qui réside
à lion. j'entasse les authorités comme vous voyés pour balancer celle
de Mr de cabanis, et la raison diroit qu'elles ne se content pas mais qu'elles
se pèsent; mais de fait mon cher fut ce des rèves, ne vaut il pas mieux
rèver blanc que veiller noir. au reste tout mon mal consiste à ne pouvoir
marcher sur le pavé que les urines ne deviennent boueuses et tost après
sanguinolentes; car dailleurs je marche sans inconvenient dans les prome=
nades pourvu que ce soit pas de femmes, et dans la maison; et je garderois
six mois ce règime que les urines seroient toujours très belles, sauf la sorte
d'embarras que je vous ay dit pour uriner qui est très fantasque. quand à
la voiture, au moyen des ressorts et des choses pour adoucir elle ne m'incom=
mode pas, à moins que je ny monte peu après avoir uriné.
mon cher amy, combien de sots et longs détails je vous fais; mais joffenserois
notre amitié si je vous en faisois excuse; cette fois cy seulement néanmoins.
je suis persuadé qu'en mettant seulement trois chevaux à ma voiture, je
pourrois vous aller joindre à journées, et si je voulois faire des remèdes
certainement je me croirois chex vous mieux que chex moy, je ne lay pas oublié
mais imaginés que je n'ay seulement pas tenté le demi bain qui seroit certain=
ement très favorable; une vie réglée et le régime pour lestomac
voila toute ma recette. j'eus un fort échec dans lenfance et mon
incomparable mère m'a seule sauvé; j'ay été beaucoup travaillé
dans le cours de ma vie, et j'ay assés travaillé; si la providence
veut me laisser quelques années encor, je les employeray entièrement à débar=
asser les tiers des entraves de ma succession, qui vu les boutefeux que j'ay
engendrés peuvent être pénibles; je le souhaite pour cela seulement. à cela près
j'ay bien fait à toutes choses qui me furent confiées; je n'ay pas mal fait aux
hommes, volontairement du moins; 1 mot biffure que celuy qui donne la nège selon
la laine, comme dit le pseaume dispose de moy selon sa volonté; je n'ay pas un
voeu à former par dela, pour moy du moins; et surtout peu ou point du tout
de mélancholie.
il ne faudroit pas beaucoup de lettres comme celle cy, pour en garentir; mais
j'ay voulu vous rassurer et je vous ay fait ma confession actuelle bien entiere.
parlons d'autre chose et dites moy vous si ce dr ouvrage vous a paru plus
languissant et tenant de la viellesse que ceux que j'ay fait dans ma force.
non que je veuille en faire de nouveaux, mais je dois en achever, ayant une
tâche entreprise; au reste elle est à peu près à son terme; mais il s'en faut bien
que vous ne connoissiés tout de moy; il vous arrivera ou d'italie ou de lion
encore bien des volumes. Mr de vatteville vous en fait de plus vivants; heureux
paÿs où lon voit arriver les enfants comme des amis et des compagnons de
voyage. dieu les avoit faits tels, car il les promet comme la bénédiction du
juste; oh il ny a donc desormais pas plus de justes en france et en angleterre, que
de justeaucorps. donnés m'en des nouvelles de vos excellents enfants mon
digne ami et recevés mes remerciments les plus tendres, adieu je vous embrasse
Mirabeau
à monsieur
Monsieur de Saconai en son
chateau de Bursinel près rolle
en Suisse
Par Pontarlier