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Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 24 août 1786
de paris le 24e aoust 1786
je vous ay dit le vray de mon etat mon cher ami; il n'est pas a
beaucoup près assés grave pour me servir de la litière, et en même
temps il m'oblige encore, quand à présent, à me refuser les courses un peu
longues en voiture; j'ay des amis à 5 lieues à roissy que vous con=
noissés, que je n'ay pu aller voir par cette raison. depuis que je
vous ay écrit, un amy m'a donné une recette d'expérience qui m'a
fort bien reussy; cest de prendre chaque matin pendant quelques jour
un remède de mauve et guimauve bouillie jusques au point de deve=
nir mucillagineux, et y fondre en cuisson deux onces de sucre brut
cela détache des glaires, et m'a en effet oté presque touts les accidents
dans les premiers jours. j'ay surcis au bout de huitaine, et si les accidents
me reprennent dans leur état passé, j'acheveray le traitement. je vous
dis cela parcque cest chose bonne à scavoir et qui ne peut nuire.
quand à ce qui est du travail, il s'en faut bien qu'il ne m'ait
jamais fatigué. j'ay toujours écrit avec la même facilité que jécris
mes lettres, et il y paroit; cela m'occupe et il me faut de l'occupation
quand je suis seul; mais la conversation, la societé, les amis 2-3 mots biffure
la famille &c m'ont toujours pris les trois quarts de la journée, sans
conter les affaires et toutes les inutilités que jécris puisque j'ay bien
100 volumes in folio ou in 4o de manuscrits, et je ne fais rien l'après
midy, ainsy je n'ay jamais travaillé je vous assure; je suis mon attrait
et l'on s'use également en ne faisant rien. je n'y vois plus pour lire
à la lumiere, mais je lis et écris facilement au jour, quoyque à la prome=
nade, et en cercle à contre jour le brouillard m'environne.
quand à louie, oh dam cest un inconvénient plus considérable en ce
que cela nous rend un peu plus bêtes, et incapables d'être obligeants
et utiles aux autres; mais au bout nous ne devons conte que de nos
facultés, et plus le cours de nature nous enlève de droits à la vie, moins
il nous demeure de devoirs, et de ces talents dont le serviteur de la
parabole doit conte au maitre. à tout prendre, cest moins nous
dépouiller, que nous décharger.
<1v> j'ay tâché de varier autant que je l'ay pu la forme de l'ins=
truction dans mes divers ouvrages. il n'est pas juste au fonds
que le même homme soit si longtemps de mode; mais quand au
genre d'etude, cest la loy du pain, qui précède la parole; il a
notre seigneur a enjoint la parole, mais il a fait, du pain
son sacrement.
Mr du dognon est le fils d'un de mes bons amis (et j'en ay peu)
son père est homme agé et d'un vray mérite, à la tête des lnts
gaux et grand croix de st louis. son fils ainé est lieutenant des gardes
du corps, ce que nous apelions chef de brigade. la foiblesse de la mère
voulut marier aussy celuy cy qui n'est qu'une bête, enfant gaté, mau=
vais sujet il etoit exempt. elle luy donna une belle mère qui est une folle, qui s'en
est emparé corps et biens, et tout a été au diable. celuy cy outre
les manquements à son père, la ruine et le desordre, a eu de vilaines
affaires dans son corps, et tandis que la considération de son père
luy ménageoit une retraite il a voulu absolument être chassé
et si bêtement que vous ne scauriés le croire, et qu'on ne peut expliquer
cela qu'en pensant que ces femmes vouloient tuer le père dont ils
espèrent de grandes richesses, attendu que sa femme luy fit mettre
dans le contrat, qu'il se prohiboit de gratifier à la mort un de ses
enfants plus que l'autre. celuy cy donc est un vil personage, et voila
tout. maintenant voicy en quel sens vous pourriés à ce sujet, me
rendre service. 1° de scavoir s'il ne porteroit pas par hazard, l'habit
ou le surtout de son corps, ce qui l'exposeroit à de fortes avanies, car
il est bien et réellement chassé: 2° s'il a quelque liaison, et plus ou
moins, avec Me d'acqueville, femme extraordinaire qui passe ses
étés à lausanne, quoyque seule et qui est soeur de montmor le père.
3° si vous étiés à portée de le voir (car on peut compatir à notre age)
et de répondre quelque chose à son dire, car le propres des plats est de
tout dire, je vous prierois de luy dire fermement que tout son mal
vient de s'être éloigné de son père, et que tout son recours seroit de se
jetter dans ses bras. sa pauvre mère est morte de chagrin, et il la
tuée comme d'un coup de pistolet, et en parlant il a laissé sa
procuration à sa belle mère, qui le ruine et son héritage, en frais
<2r> et chicannes pour l'inventaire de cette mère. ce conseil m'a été
suggéré par son père luy même, qui en cela m'a étoné, car il a
l'extérieur plus ferme; mais au fonds si vous y pouviés quelque
chose, ce seroit un vray bien auquel je serois bien sensible.
à l'égard de Mr de Rouault; cest en effet le nom des gamaches, on en
a connu trois; le premier est mort ruiné, le second apelé cy devant
comte dégreville maintenant de Rouault ne vaut guères mieux.
un 3e fut dit on tué il y a environ 20 ans, près st eustache, par
un mary dont il débauchoit la femme; je ne scais quel peut être
le votre, car ils n'eut qu'un neveu grand d'espagne, et petit de
france et de sens commun.
adieu mon cher et digne ami; mes compliments et Respects aux
votres. je ne suis point etoné qu'ils ayent fait un bel enfant; il me
tarde d'aprendre la paire et que tout se porte bien. adieu je vous
embrasse tendrement
Mirabeau
à monsieur
Monsieur de Saconai en son chateau
de Bursinel près Rolle en Suisse
Par Pontarlier