Transcription

Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 18 novembre 1786

de paris le 18 7bre 1786

mon cher ami, mon premier desir en recevant vos lettres,
est dabord d'y répondre; j'ay pensé ensuitte qu'étant à la
veille des couches de Me votre fille, vous m'en feriés aussitost scavoir
quelque chose, et que j'y répondrois en même temps. maintenant
me voila au bout de la quinzaine que Me de vatteville avoit prise
de répit, je la somme de faire sa charge et en attendant je prépare
toujours ma lettre.

j'avois bien pensé ce que vous me dites sur Mr du dognon, et sur
l'inutilité de nos recomandations quelconques; mais je vous rendis
le desir du père, presque en ses propres termes. je n'en espère rien
du tout, cependant je vous seray toujours bien obligé de me faire
passer ce que vous en scaurés.

quant à votre Rouhault je ne le connois point; cest un homme qui
a pris le party de travailler uniquement à son propre repos à ce
quil me semble; et cela de bonne heure, puisque vous ne luy donnés
que 60 ans et quil y en a 20 quil a choisy sa retraite; à tout prendre
n'est jamais un homme ordinaire, celuy qui a scut choisir et trouver
ce qui luy est bon et qui scait sy tenir.

il seroit temps pour moy d'envier la vie active et efficace que vous
menés. j'aurois en mon temps eu comme un autre les moyens et les
motifs de me tranvaser de la sorte; mais mon incapacité absolue
pour les affaires rurales et pour les décisions, m'a toujours autant
retenu que mes pénibles circonstances; quand on fait un voyage
dans ses terres, il faut du moins que le fruit de la présence du maitre
en équivale les frais; moy point du tout, non seulement à bon droit
mon vieux ami puymarets disoit Mr de M. devroit être empèché
par avis de famille d'aller dans ses terres, il ny va que pour
y jetter l'argent à pelées
, mais aussy j'entendois à ameliorer,
mais nullement à tirer party des produits, et plus de propriétaire;
qu'on ne croit en sont réduits là.

<1v> vous avés parlé à Mr cabanis de ma recette comme ptisanne
et point du tout cest comme lavement; j'en ay obtenu de bons
effets quand à la strangurie &c mais le principal pour moy qui
est de ne pouvoir marcher qu'en promenade et non sur le pavé
ny avec action, me demeure. au reste il faut vivre avec soy
même, et dans les caractères faits comme le mien, les
incommodités morales sont souvent plus difficiles à suporter
que les phisiques.

à l'age qu'a Mr de watteville, les rhumatismes s'en vont
aisément, mais c'est venir trop tost. Mr son oncle etoit goutteux;
il vaut mieux hériter de son talent pour faire de belles races
et pour se complaire à l'apariage des tourtereaux. de quel prix
sont les moeurs bon dieu? et quel bonheur dêtre né dans un paÿs ou
les familles nombreuses sont encore une bénédiction comme c'est
selon dieu et nature. il ne scauroit rendrefaire la terre assés grande
pour la rendre habitable à nos passions inquietes et incompatibles
sans qu'elles s'entrechoquent incéssemment; mais par le moyen de
l'union, unique ressort du succès de nos travaux phisiques, le plus petit
terrein peut prêter à la prospérité, toujours croissante avec la
pratique des vertus. mais combien il en faut de vertu pour n'etre
pas, sur ce point comme sur tout autre, dépendant des conditions
qui nous environnent comme de l'air que nous respirons. mon
ami on a fait une plaisanterie de ce mot de l'épigramme offrés
à dieu votre incrédulité
et si l'on y prend garde on verra que la
réserve de quelques accétiques ou de quelques ames simples, cest
à peu près tout ce qu'on peut faire de sa foy. il en est de même de tout
son bien, de tout son mal, et du juste mécontentement de soy même.

ne voila t'il pas une belle digression; mais je pense sur le
papier avec mon ami et j'attends impatiemment de bonnes nou=
velles de sa grand paternité dont je luy fais mon compliment
d'avance. j'assure toute la famille de mon Respect, et je vous
embrasse mon cher ami très tendrement Mirabeau


Enveloppe

à monsieur
Monsieur de Saconai en
son chateau de Bursinel près
Rolle en Suisse
Par Pontarlier


Etendue
intégrale
Citer comme
Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 18 novembre 1786, Collection privée. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: https://lumieres.unil.ch/fiches/trans/654/, version du 31.10.2024.
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