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Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 01 octobre 1786
de paris le 1er 8bre 1786
vous m'avés fait le plus sensible plaisir mon cher et
digne ami, en m'aprenant aussitost l'heureuse délivrance
de Me de vatteville, et qu'elle a mis au monde un beau garçon.
Me de pailly en a eu aussy une grande joye et comme je badinois
des talents et mérites de votre petite fille, elle a vrayment en=
chéry sur votre estime pour ses perfections et copié ses gestes
et dit qu'elle étoit vrayment charmante. que ces enfants ayent la
figure et les qualités de leur père et mère, et les vertus de leurs
ayeux; qu'ils ayent surtout le bonheur de leur grand père, pris
dans un caractère également bon pour soy et pour les autres, et
cette bonté éclairée, active, avisée, qui ne s'est jamais 1 mot biffuredémentie d'un
instant, voila tout le bien que je peux leurs souhaiter et que je leur
souhaite du plus profond de mon ame.
je vous remercie de ce que vous me mandés par continuation de
nouvelles de Mr du dognon et de ses consorts: je le fais passer au
pauvre père qui est a la campagne
la personne dont vous me parlés et qui fait retentir les papiers
publics de ses pretendus succès, et bien réels, relativement a ce
qu'elle mériteroit, estcette mème scélérate impie et sacrilège
qui a détruit la maison dont elle est sortie, celle ou elle est entrée, et
qui détruiroit le monde entier, si la providence ne bornait la durée
des fleaux, comme celle de ses bienfaits. elle a encore dernierement
innondé paris de mémoires contre son père qui ne s'est point
mèslé de ses affaires; et flétry le siècle d'une tache d'accession, ou
d'impunité de touts les genres de délits qui tendent a la destruction
de la société, par l'affiche du plus impudent mépris de touts les liens.
jugés mon cher si je puis entendre parler de cette créature; une
<1v> fois pour toutes, si vous m'estimés, tournés le dos, toutes les fois
qu'on vous parlera de ce nom lâ.
je suis maintenant aux prises avec les plus tristes devoirs de l'amitié.
la duchesse de sivrac mon amie depuis 30 ans, et la plus excellente,
éprouvée et essentielle amie qu'on puisse avoir, se meurt d'une
maladie cruelle suitte d'une perte négligée ou trop soignée par touts
les prétendus spécifiques que la faculté peut prescrire pour flatter
au moment et poignarder au futur. on l'a envoyée a barèges, pour
un mal qui demande la plus grande résidence; en un mot elle est au
terme de ces sortes de maux qui ne durent que trois ans, mais qui
détruisent de la manière la plus cruelle. elle s'est finalement fait
transporter a paris, et je l'ay soux mes yeux, moy dont le coeur est
si peu fait come celluy des autres. on doit dissiper les malades &c &c
et souvent l'attitude de ceux qui se portent bien, me dégoute autant
de la vie, que le malheur de ceux qui souffrent m'en font sentir le
poids.
pardon mon cher ami de cette lugubre fin d'une lettre qui ne
devoit ressentir que le sentiment qui partage votre joye, mais la
véritable amitie dit tout, comme elle nous aide a suporter tout,
adieu j'offre mes plus tendres Respects a vos dames, et vous
embrasse de tout mon coeur
Mirabeau
à monsieur
Monsieur de Saconai en
son chateau de Bursinel près
Rolle en Suisse
Par Pontarlier