Transcription

Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 13 novembre 1786

de paris le 13e 9bre 1786

je vous felicite de bien bon coeur mon cher ami de la satisfaction
que vous donne la bonne santé de vos enfants. si Mr de vatteville
jeune et fort comme il l'est est le maitre de touts ses appetits
il seroit rare dans l'ordre même des flégmatiques, et je n'ay point
vu de goutteux par tempéremment qui ne fut au contraire fort
ardent. Mr son oncle le fut en sa jeunesse. au reste à quoy bon
pronostiquer toutes ces choses, jouissons comme vous dites du coup
doeil des paÿsages riants parsemés ça et là parmy les rocs ardüs
qui bordent les avenues et couronnent le faiste de la vie. je me
le disois dans ces drs temps. j'allois constamment chex l'amie
rare que je viens de perdre: environnée d'une famille qui perdoit
tout, dévorée d'un mal qui hatoit sa fin, et qu'ils scavoient comme
elle être incurable, cepandant quand la nuit avoit été plus tranquille
je voyois tout le monde relevé et faire des contes et rire, chose qu'à la
vérité elle vouloit toujours dans sa chambre, paroissant prendre à toutes
les distractions et les chercher. mon pauvre coeur en étoit quelque fois
brisé, et je sortois en me disant que je n'avois jamais été fait comme un autre;
et puis j'ay fini par me dire, c'est l'instinck qui a raison et non pas le
souvenir et la prévoyance; la vie n'est qu'un tissu d'instans passagers et
rapides, il faut saisir ceux qui sont bons à prendre, et passer le plus promp=
tement possible sur ceux qui sont apres et facheux
.

en ce cas me dira t-on la réflexion est une sotte, et je réponds cela est vray.
nous avons une petite ame seconde, qui est celle qui nous hérisse dans la
surprise et le danger, qui nous fait fermer loeil à laproche du moucheron,
qui se dressoit autrefois sans nous, et qui aujourd'huy se montreroit insur=
gente et rebelle; en vérité celle la pourroit suffire et l'autre transcendante
et faite pour être immortelle, n'est icy bas faite que pourpropre qua nous tourmenter.
qui pourroit la tenir à sa volonté au dessus des tempêtes de la vie
de l'attaque des sens, des habitudes et des affections, en tireroit la
résignation et même la satisfaction constante et imperturbable; mais
<1v> un tel homme seroit un ange, et dieu n'en veut pas sur la terre, et nous
n'avons touts tant que nous sommes, de l'ame véritable que ce qu'il en faut
pour tirer sur notre licol. vous voyés mon bon ami que je ne fais pas du
moins comme ces philosophes et ses pédants qui se rengorgeant vis à vis
de ceux qui veulent bien les honorer du nom de maitres s'efforcent de
persuader qu'eux et leurs maximes ne sont qu'un: votre ame toujours
naturelle égale et limpide a trouvé dans nos principes la base distinctive
du bien et du mal moral, science dont l'ame humaine fut toujours
avide et dez notre premier père; vous avés cru nous devoir beaucoup,
rendés graces à la nature et la providence; vous naquites et vécutes
gaillard, décent, bon et honnête sans nous, vous vivrés de même; la
terre bien préparée, le sol l'aspect et la température font plus que le
choix de la bonne semence à la récolte dont le maitre est satisfait.

voila mon amy, du moins dans ces contrées unes singulières ahtoumme
le dieu des saisons eut pitié de nous l'année passée, en laissant pendant
presque tout l'hyver les champs libres aux bestiaux des pauvres gens
que l'excessive rareté des fourages avoit presque entièrement détruits;
aujourd'huy ils leur sont fermés un mois avant toute autre année
dont on ait mémoire, et cela nuit beaucoup à cette partie qui alloit
se rétablir: il gèle continuellement depuis un mois tout à l'heure et les
saisons cette année ont comme déménagé.

Mr de montmort m'a chargé de ses remerciments bien sincères pour
vous, et de quelques commissions aussy par suitte, que je crois bien peu
possibles: toutefois je fais transcrire icy ce lardon de sa lettre , et vous
recomande de nouveau de vouloir bien etre averty de la marche de cet
imbécille, suposé qu'il remuat. adieu mon digne amy; priés dieu
qu'il me fasse voir quelque issue à mes tristes affaires; offrés mes
tendres Respects chex vous, qet je vous embrasse de tout mon coeur

Mirabeau

<2v> Extrait d'une lettre de mr le mis demontmort du 24. 8br 

je me doutois bien que me de Gui... n'aurois pas envoyé sa fille si
vite et aussi loin trouver son mari, sil n'y avoit pas eu raison de
grossesse; et à legard de faire une fausse couche nous ne serons pas assés
heureux pour cela. Tout ceci est ou sera un tissu d'horreurs. mr.
votre ami est bien honnete de vouloir bien se donner la peine de
s'informer de ce qui se passe. croyés vous qu'il put faire démarcher
par quelquun mon fils de sa lettre de cachet qu'on lui fait croire que
j'ai pour le faire renfermer sil revient en france? Et que comme sa
bellemere et lui ont dû voir ou a du lui faire voir copie du
testament de feue me demontmort, elle nelui a pas laissé 400,000 lb
n'ayant laissé aucun legs à qui que ce soit, mais lentement substituée
ses biens et quenfin on le trompe surtout pour jouir de ce revenus
et de son bien à venir au moyen de la procuration generale
qu'il a eu la foiblesse de donner et qu'il feroit bien
de revoquer étant le seul moyen de se tirer de
loppression de tout ce qui l'entoure. mr de boissaucourt
n'ayant été mis auprès de lui que pour veiller aux
lettres qu'on peut lui écrire et aux conseils quon
peut lui donner pour lui désiller des yeux


Enveloppe

à monsieur
Monsieur de Saconai en son
chateau de Bursinel près
Rolle en Suisse
par Pontarlier


Etendue
intégrale
Citer comme
Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 13 novembre 1786, Collection privée. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: https://lumieres.unil.ch/fiches/trans/650/, version du 17.11.2024.
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