Transcription

Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Le Bignon, 30 juillet 1780

du bignon le 30 juillet 1780

il faudroit mon bon amy que nous fissions ensemble un marché; je
me chargerois d'écrire toutes vos lettres et vous en revanche suivriés
mes procès. vous les pistés avec une ardeur et une vigilance qui ressemble
a celle de mon gendre pour les affaires, envie de se débarasser; et moy j'ay
besoin de détendre ma tète et je le fais quand j'écris à mes amis.

a la vérité il ne me reste plus guères d'épines litigieuses, ma femme recoman=
ce, follement si vous voulés, mais recomance enfin son procès en séparation
a l'occasion duquel, un bon gros mémoire imprimé plus étoffé que touts autres
se montre déja soux le manteau; item la question de sa terre parafernale
va etre jugée, non a ma requète, mais parceque je disois seulement; je cède
l'hérédité mais qu'elle paye donc les charges
: item mon forcené de vincennes
se démène a sa manière, et bien apuyé, dans touts les sens; item mon horrible
fille née avec la rage de la turbulence et des fortfaits; à des agents actuels
a paris qui demandent hautement pour elle des commissaires; elle m'adresse
par ce dr courrier une lettre en forme de manifeste fait pour le public
ou elle me forge impunément mes propres lettres, compromet tout ce qui
put avoir quelque trait a elle. elle cite 3 de vos lettres (quoyque sans vous
nommer et vous etes le seul) elle vous fait dire le 24 8bre 1774 ne vous meslés
de votre mère en aucune manière, je connois Mr votre père et votre plus grand
intérest, votre véritable intérest l'exige.
consulté sur un voyage a brie elle
vous fait dire le 17e 9bre mème année vous etes perdue si vous faites cette
démarche votre père ne vous la pardonnera de la vie et il a beaucoup de
crédit.
consulté sur le voyage de lion écrit le 13 jr 1776 les démarches
que vous ferés pour Me votre mere vous rendront votre père irréconciliable

je n'ay qu'une legère foy a ces citations; bien instruit qu'elle ne dit
ny nécrit pas un mot de vray, et je ne vois lâ qu'un trait de manifeste
pour me rendre partie dans sa cause par un endroit auquel on ajoutera
foy, attendu que personne n'est dans mon ame et ne peut scavoir combien
peu d'animadversion jeus jamais et pus avoir contre sa mère malgré touts
ses outrages; mais soit que mon amy et mon contemporain encor nubile
ait écrit ces choses, soit qu'on le a bon escient, soit qu'on les luy prète, ce qui
<1v> est bien plus aparent, attendu que celuy qui me connoit en effet ne peut me
dire ny inpardonnant ny irréconciliable; dans les deux cas dis je, il se gratera
ny plus ny moins la tète, et cest une petite malice que je luy fais pour luy apren=
dre (car on aprend toujours) ce que mon frère aprit d'une mère il y a toujours
38 ans et il s'en est toujours souvenu depuis, a scavoir quil ne faut jamais
prétendre connoitre un enfant, mieux que ne fait son propre père. mais pour=
suivons la revue de mon relicat de procès.

item procès au conseil en règlement de juges entre les créanciers de ce fol
et moy, sur l'intervention et le concours de deux parlements et je ne puis
garnir deux rateliers. item procès au conseil sur un arrest biscornu pour
mes bois de Mirabeau, item procès en provence avec mes communautés, ceux
lâ sans mon frère qui les suit seroient les plus cuisans; item procès en troix
provinces différentes pour troix terriers qui se font et qu'il faut qui se fassent
item procès contre un notable dont je cautionnay autrefois le beau père, j'ay
été pris dessous et il me laisse languir: item la série des procillons du courant
qui ne manquent guères a un gros héritage surchargé. vous jugés bien mon amy
que quoyque ce ne soit lâ qu'un petit reste, toutefois si j'attendois que cette
rivière lâ eut coulé pour aller a vous, je me priverois trop longtemps d'un
des plus doux plaisirs qui me restent. or au métier sédentaire et en aparence
travailleur que je fais toujours, on devient vieux de beaucoup meilleure heure
qu'a la vie active et sociale que vous menés, ainsy donc j'ay pris mon party sur
deux points dont vous vous doutés il y a longtemps car vous avés été étoné de
mon courage, et véritablement il m'en a fallu quand j'étois au plus fort. ces deux
points quand a l'actuel sont 1° de plaider comme philippe second gouvernoit
cest a dire du fonds de mon cabinet ou de ma campagne, dont je ne veux plus
me detourner pour ma dignité sérénité et santé, mais comme vous pensés bien
cela oblige a un peu écrire; 2° de m'égayer par parenthèses, et ces parentheses
sont très fréquentes surtout la plume a la main; car pour ce qui est décrire, si
ma main n'étoit que de bronze il y a longtemps qu'elle seroit usée.

et ouy mon bon cher amy faites honneur encor a notre époque et a votre maison
pourvu toutefois qu'il ne vous faille pas comme a mon taureau 3 jeunes filles
criant chau chau pour luy donner courage, car en sus elles ont chacune un
baton a la main et tel outil en mon temps ne m'eut donné chantage gout a la chose aussy luy
donne t'on toutes les pratiques de la banlieu depuis que par un jugement contra=
dictoire entre jean sapristi mon oéconome que vous connoissés et marie; d'après
un plaidoyer qui vous feroit rire si ma lettre n'étoit déja trop longue, j'ay attri=
bué a marie la chambriere en chef et ses compagnes les honoraires des travaux
de mon substitut 6e par vacation mon bon amy; combien il y a 40 ans
aurions nous gagné a cette pratique. je ne scais lequel des deux est allé plus
vite, mais je scay bien lequel s'est arrèté le plutost. au reste tenés bon mon
amy pour l'honneur de la 1ere vintaine de ce siècle, et je vous répète que je
<2r> seray fort aise par ma foy et badinage a part d'aprendre que vous vous soyiés
assorti, l'excellent et mémorable homme a qui vous devés la vie et moy l'un
des biens qui me la font chérir, avoit quinze ans plus que vous quand il entreprit
de vous donner la vie, et ce n'etoit point une veuve qu'il épousa quelques années
plutost; je gagnerois plutost la bataille qu'il donna, a moins qu'on ne m'eut fait
le géneral charner de la noce.

oh bien n'ayiés donc plus de plaisir, car il y a un mois que votre amie et compatriote
n'est plus au bignon. elle a eu des affaires, elle est au bout et retarde touts les jours
son retour; mais cette coupure de campagne luy a fait du bien, et on si bien reçue
la bas que pourvu qu'elle ny prolonge pas trop, j'espère que le noir ne reprendra pas
mais quand a moy son absence me viellit, et mon bignonet qu'elle aime qu'elle
embellit par ses soins et ses presents et qui a bien changé de forme depuis
que vous ne l'avés vu est en deuil de son absence. vous seriés bien étoné de voir
ce bois surtout qui sembloit ne faire que sortir, coupé aujourd'huy d'allée de
rendés vous de fertilité et de verdure, peuplé de bancs et plein de cabinets et
réduits champètres, tandis que la vigne est tenue presque comme les votres, le
potager plantureux, la bassecour a peu près faite &c

ma foy vous voyés vous autres trop mauvaise compagnie pour que je
vous aille voir: un abé Rainal bavard affirmatif véritable apost d'an=
glois consomptionels et taciturnes qui n'a d'autre mérite que d'avoir
donné son nom a la collection de mémoires ramassés et d'en avoir fait
le livre le plus menteur le plus séditieux et le plus impie; un coureur la chiasse
des princes passés et présents, et c'est beaucoup dire. la mode d'aller vous vi=
siter est devenue une épidémie qui vous portera la galle le farçin et pis
encore; de gens curieux de voir de tels personages me trouveroient bien plat
et quand a moy, bursinel, le cher amy, ses dignes soeurs et peutètre le hautbereland
s'il étoit a ma portée, voila tout ce que mon coeur y voudroit voir, et je n'ay plus
que cette faculté lâ d'entière. ce n'est pas que je ne porte l'humanité et le desir
de l'ordre social très chaudement dans mon sein: ce sentiment est devenu en moy
une seconde nature. mais ce n'est pas en courant que je l'ay acquis ny satisfait
selon ma petite portée.

vous n'avés pas lû les devoirs, mon cher amy, vous n'avés fait que le parcourir
sans cela vous m'auriés dit votre avis sur certains articles qui sont chatouilleux
je me suis donné la peine de le relire lentement et par petites reprises, et je crois que
c'est de mes ouvrages le moins mauvais. s'ils trouvent celuy cy répété ils ont tort
et les deux drs dialogues surtout sont d'une nature bien neuve. maintenant j'ay
mon institution d'un prince qui est achevée a imprimer, puis mes hommes a célebrer
a et achever pour parfaire ma carrière. adieu mon bon amy, pardonnés moy ma
diligence comme je vous pardonne vos retards, je vous embrasse et offre mes tendres
Respects a vos dames.


Enveloppe

a monsieur

Monsieur de Saconai en
son chateau de Bursinel près 
Rolle en Suisse
Par Pontarlier


Etendue
intégrale
Citer comme
Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Le Bignon, 30 juillet 1780, Collection privée. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: https://lumieres.unil.ch/fiches/trans/649/, version du 06.03.2018.
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