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Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 21 août 1787
de paris le 21e aoust 1787
mes affaires mon bon et digne ami sont par suitte de
celles que vous me connoissiés, mais plus embranchées et
entortillées que jamais; non que je ne sois sorti de ce qu'elles
avoient de perilleux pour ma fortune, à la vérité en la voyant
dépenaillée par les frais, et périr tout celle que j'ay été forcé
d'abandonner qui n'etoit pas de si petite conséquence, que cette
femme n'eut bien quinze cent mille francs de bien au soleil
quand je l'ay prise; mais maintenant que ce seroit mon tour
d'exercer mes reprises, et que tout de ma part est en demande,
les longueurs du palais et enchevêtrements dispendieux, tant
publics que privés, arrêtent tout; et tout se dévore, et les incidents
encore s'y sont accumulés. en tout mon cher vous en auriés infi=
niment plus déblayé que moy, mais s'il vous en restoit le quart
encor de ce que je porte, à la vivacité que vous mettés à ces
sortes de choses, elles vous boiroient le sang.
si vous aimés mon cher la médecine oéconomique, vous voyés
qu'il y a aujourd'huy diablement de charlatans qui s'en meslent;
chacun en prend ce qui luy convient et laisse le reste de ce qui
nécessairement fait un tout. il n'est aucun chapitre sur lequel
les hommes arrivent à la vérité et s'y tiennent, qu'ils n'ayent
épuisé ce q les erreurs. combien n'en a ton pas empoisonnés
par les oéssais de l'antimoine, avant d'avoir fait de lémétique
un remède courant et utile; que de débats outrés n'eut on pas
alors sur cet article. le à la même époque le magnétisme fut
aussy sur le tapis des contensions; ce dernier avoit l'avantage
du merveilleux et du vague, si puissant sur lesprit humain toujour
prompt à croire, et lent à discuter, parceque la paresse est notre
<1v> péché journalier et domestique; malgré ces avantages, il disparut
de dessus la scène, pour ne reparoitre que de temps à autre, chex
quelques fripons, illuminés et dupes, parcequ'il n'avoit rien de réel,
et l'émétique a demeuré; ainsy en sera til des principes oécono=
miques, dont leffet sera non seulement de débarasser l'ordre
social, de ce qui l'étouffe et l'intercepte, mais encore de luy rendre
l'action et la nutrition. au reste c'est déja beaucoup de voir les
nausées, je ne me suis jamais flaté de voir l'entier rétablissement
de la santé.
chacun croit voir dans ses propres chateaux en espagne, ce quil
luy faut à soy, selon soy, et chacun s'y trompe ou la plupart. bien
peu s'occupent de ce quil faut aux autres, et cependant on fait, et
l'on a fait de tout temps de la morale et de la politique, sans base
nécessairement, car à le bien prendre, l'un et l'autre se réduiroient
finalement à la santé et par conséquent à la médecine, comme à bon
droit les anciens avoient fait de tot ou mércure, dieu primitif et
fondateur de la médecine, le second des bienfaicteurs de l'humanité.
or il est aujourdhuy reconnu que la médecine, la plus belle des
sciences, n'est rien si elle n'est expérimentale, par cela même qu'elle
n'a pas de base. adieu donc tout lédificie des cogitations humaines,
pour le bonheur durable et constant de lespèce: nous avons abandonné
ce chapeau de paille qui ne tient point l'eau, et nous avons cherché
dans la nature et dans ses loix de production, de végétation et de
progression, l'art de brouter en paix et abondance autant que possible
nous résignant dailleurs à touts les inconvénients qui menacent
le teint de quiconque travaille au soleil, au dela de ce rien pour nous
sur la terre; en deca touts nos dits, redits et enseignements n'ont eté
que des chasse mouche, ainsy japelle touts les beaux petits sistèmes
politiques, mercantiles et fiscaux, dont les nations ont fait et font encor
le veau d'or de leur idolatrie et l'objet de leur fêtes bruyantes et passa=
gères dont le terme est le brisement des tables de la loy, le meurtre
et la désolation. nos livres semblables au rameau d'or qui chassoit
devant luy les chimères, ne les ont écartées que pour un temps, le temps
aussy et l'expérience feront le reste. l'homme toujours présomptueux
<2r> ne peut être vrayment instruit que par le malheur; et je crois le voir
partout à peu près disposé à se procurer ce genre décole. il y a quelque
années qu'homère fait dire à agamemnon par ménélas, nous croyons
toujours être plus habiles que nos pères. chaque siècle se croit le dernier
de touts et le premier en découvertes et connoissances. nous nous apelons
le siècle éclairé par excellence, demandés plutost à Mrs de condorcet
Reinald, sirvent et autres aigles de volière. le siècle éclairé marche
droit au pot au noir, et quand il se sera cogné, son successeur
prendra le bon chemin, deviendra laboureur et dèslors modeste,
attribut de la vraye capacité.
mais dam, me voila bien en verbe: pardon mon ami, vous
m'aimés quelquefois comme cela. n'aprofondissons pas trop en
quoy que ce puisse être. par exemple votre voisin, fut une mauvaise bête
ce qu'on apèle en langage de ce paÿs cy si doux une jeunesse vive.
il mangea son fait (entre nous cecy) et finit par enlever une religieuse
à sezanne, avec laquelle il s'est retiré ayant 4 enfants et une femme.
or pour avoir le crédit que l'affaire ne fut pas suivie, il fallut le
croire mort. tout son monde seroit mort de faim, sans des paren
parents plus bienfaisants que proches. les siens ne sont encore
en état de rien, et à légard des bienfaicteurs, celuy qui tient la
queue de la poèle, est aprésent le plus embarassé de touts et le
moins susceptible par les circonstances, de faire quelque chose pour les
siens. voila la version que vous me demandiés; vous serés peutêtre
un jour fort étoné de ce que cette demande aura produit. adieu mon
bon ami cher; j'offre mes tendres Respects à touts les votres, et vous
embrasse de tout mon coeur
Mirabeau
je reçois en ce moment votre lettre du 13 chere ami, qui parle
du livre que je vous ay indiquée, jy répondray dans le temps.
à monsieur
Monsieur de Saconai
en son chateau de Bursinel
près Rolle en Suisse
Par Pontarlier