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Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 09 novembre 1787
De paris le 9e 9bre 1787
miséricorde se perd à la fin, et mon cher saconay me
croiroit malade si je tardois davantage à répondre à sa
dernière lettre. je voulois avoir vu auparavant; Me de
donissan, qui n'auroit pas manqué de me parler bien et
beaucoup de mon ami. elle ne fit que changer de chevaux
icy en passant pour se rendre à versailles; depuis elle m'a
mandé qu'elle seroit à bellevue. le temps des fetes du commence=
ment de ce mois, j'avois promis ailleurs, et comme je ne me pro=
digue pas, je n'y pouvois manquer. hyer enfin je devois diner
avec elle et ses amis chex le lnt de police; point elle avoit
apris par le hazard d'une lettre la mort d'une soeur de son
père, qui est morte dez le mois de juin, et que d'onissan avoit
fait la sottise de luy cacher quand elle etoit au milieu de la
dissipation possible, pour luy arriver aux lieux où tout luy
rapele les pertes qu'elle a si vivement senties, et elle tomba
dans un état qui l'empècha de monter en carosse; on reçut
un courrier une heure avant le diner, et j'ay dit voila qui est
renvoyé et je ne puis retarder davantage ma lettre, d'affu, son
fils, son petit fils, et sa belle fille y étoient, nous parlames de
vous mon ami et je donnay mes 54 ans de temoignage, ou
pour mieux dire je m'en vantay.
la manière dont vous me parlés de votre procès me rapele
l'ardent et sage intérèst et l'activité que vous avés toujours
mise à vos affaires; si dieu vouloit que raison fut entendue
<1v> icy bas, il vous auroit empêtré des miennes, et vous vous en
seriés dépetré à la fin, du moins à les prendre au point où je
n'aurois eu que cela à faire; car a cela près vous etes trop bon
et si vous aviés en mes circonstrances, toujours si pénibles,
avant mon éclat, elles vous auroient totalement entrainé.
elles ne cessent de s'enchevêtrer les unes dans les autres, et
je suis tout aussy en lair que jamais; à la fin elles verront
le bout de moy puisque dieu le veut, et mon phisique, tout bon
qu'il étoit commence à céder à cette continuité de malencontres.
une digue peut résister et refuser de rompre, mais elle ne
scauroit s'empècher d'etre surmontée, et alors tout séboule à
la fois. mais ce n'est pas de moy dont il est question; quand à
votre affaire et reintegration dans le domaine de vos pères
je n'en suis pas en peine. chex nous le possessoire est une ques=
tion qu'on deffend et juge avant le pétitoire, et avec autant
d'interest; il paroit que c'est cette question que le premier
juge a décidée en la faveur de vos parties, selon lexplication
que vous m'en faites. rarement porte ton d'apel de cette
sorte de décision, qu parcequ'il n'en résulte autre chose
sinon quil faut alors plaider sur les titres de propriété
et que cette seconde question gist en actes et quelle est bien
plus aisée à démesler que celle du possessoire qu'on embrouille
aisément de dits et de contredits.
la proprieté foncière seroit une belle chose si l'on n'avoit que des
gens de bien pour voisins, mais partout c'est le contraire, d'ou suit qu'elle
est le plus souvent un fardeau; toutefois les propriétés nobiliaires
ne seroient rien sans leur absolue dépendance de celle cy, et la
propriété fpersonelle, ne peut etre entièrement isolée des deux
autres, pas même chex les iroquois. il suit de là que la vie est
<2r> nécessairement un passage et une épreuve de la vie militante; beau
mètier, parlés moy de bursinel dont je vois que les logements
sont augmentés, et de l'aimable famille quil renferme et que
je chéris et Respecte tendrement.
l'abé baudeau, va faire une nouvelle reprise des éphémérides;
je suis persuadé que cette nouvelle vous fera plaisir. adieu
mon cher saconay je vous embrasse tendrement
Mirabeau
Me de pailly veut toujours que je vous fasse mention d'elle.
à monsieur
Monsieur de Saconai en son
chateau de Bursinel près
Rolle en Suisse
Par Pontarlier