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Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 16 avril 1780
de paris le 16 avril 1780
si vous avés jadis lu rabelais mon bon cher amy, lecture tant a
la mode du temps de nos grands pères, que les plus sages jugeoient
inhabile et sans volonté, quiconque ne scavoit pas par coeur quel=
que chapitre de maitre françois, si dis je vous avés lu le docteur, ne
fut ce que pour rire, vous devés avoir vu les tres longs débats de
panurge tant abondants sur la question du mariage, et dont chaque
pause finit par mariés vous ou par ne vous mariés pas. l'ayant lû
moy et en ayant ri tout comme un autre, je n'entreprendray pas
d'en ètre aujourd'huy le plagiaire et je me contenteray de changer le
texte de mon compliment. je m'imaginois ja, mon amy faisant
le second tôme des noces d'un président de dijon, gay, gaillard et bon
vivant dailleurs, mais hazardeux au point de prendre femme jeune
et novice encor, a 64 ans. il se présente en preux chevalier et se tire
du 1er choc avec honneur; ensuitte 1 mot biffure Madame dit il voila ce que
c'est que le mariage; cest là tout; nous recomancerions d'icy a demain
que vous n'en scauriés pas davantage. au fonds mon cher saconay
j'aime tout autant que ce soit votre cousin chandieu que vous, qui se
distingue en bons mots de cette espèce. il assure qu'il est très content; ne
fut ce que par pudeur, sa femme n'en dira pas de mème; heureux le
paÿs ou il n'en résulte autre chose, sinon qu'elle n'en pense pas moins. ba=
dinage a part, passe pour les femmes charmantes depuis 20 ou 30 ans
a cela près nous ne sommes plus dans l'âge des patriarches, ou je me fig=
ure abraham recevant agar jeune et fraiche et promenant sa grande
barbe blanche sur un sein qui la fait paroitre rousse, le tout pour procréer
<1v> une race d'ismaélites fiers et voleurs. en ce temps lâ le doute ne
portoit que sur la capacité des femmes, les choses ont bien
changé depuis.
mais parlons de nos champs mon cher amy, cest lâ qu'on défriche éga=
lement, vieux ou jeune, au moins quand on n'est que l'ordonnateur.
cette année cy paques ont été prématurées et pour la datte et pour
la saison; cest une trahison assés ordinaire que ces temps chauds a
la fin de mars, mais si votre mois d'avril a ressemblé au notre, vous
pourriés bien avoir eu de la nège dans vos montagnes, et avoir re=
tardé votre retour au paÿs de vaux. quand a moy je n'attendois
pour m'en retourner, que la fin des couches de ma fille, mais un incident
ou queue de mes procès sans fin, pourroit bien me faire dépasser la
pentecôte, auquel cas je seray bien faché. oh cest dans deux ans qu'il
seroit bien bon que mon amy vit le bignon, du moins du saillant me
le promet ainsy, et dans sa tète pensante, calculante et active, il ne
nomme que vous, qu'il voulut pour témoin et qu'il croye digne de juger
son opération. en attendant luy et sa femme vous remercient de votre
bonté et amitié; notre amie votre parente et compatriote vous em=
brasse tendrement, je baise la main a vos dames en les assurant de
mon Respect et vous aime comme je le dois
Mirabeau
a monsieur
Monsieur De Saconai a
Berne en Suisse
Par Pontarlier