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Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 16 février 1780
due bigparis le 16 fevrier 1780
je commence mon amy et ne scais quand je finiray. si la lettre
du 28 janvier de Mr le paresseux, en datte du 28 janvier fut arrivée
deux heures plustost, elle eut eu prompte réponce, car je partois et
sachant qu'icy l'on ne scait plus a qui entendre je voulois netoyer le
tapis, mais elle me vint au moment de mon départ, et je l'ay raportée
et jay été détourné, non par mes incommodités qui me reprennent
toujours a la rentrée et qui ne sont pas de force a m'interdire le papier
mais par tout le train du paÿs, des affaires et des riens indispensables.
vous avés mal compris. c'etoit a vous que notre amie écrivoit et adj=
oignoit a sa lettre un exemplaire du précis de la législation du grand duc,
vous priant de le donner a grasset qui seroit fort aise d'en faire une édition.
le tout fut f mis soux le contreseing des affaires étrangères, d'autant
que le volume est petit; il aura été arrèté ny plus ny moins; elle est a pré=
sent a en faire des perquisitions mais il n'en résultera que cela.
quand a mes affaires de toute espèce elles vont reprendre leur train
je ne vous en rompray plus la tète; le détail en seroit immense, et ce que j'y
acquiers d'expérience est vrayment politique, en ce qu'il ajoute la notice
de fait, aux réflexions sur les différentes nuances de dissolution sociale qu'a=
mènent les temps de vétusté et que suposent ceux de relachement. au reste
quand a ce qui me concerne j'y suis comme fait et l'homme porte tout hors
le bien ètre.
lescadre sur laquelle est mon fils a suis a la voile le troix.
quand a l'entreprise de du saillant elle est forte en avances primitives dabord
et ce n'est rien auprès du roulis d'argent que luy aménera la suitte, car il doit
faire 4 saisons d'engrais de 50 chacun, ce qui fait 200 boeufs d'engrais par
an, qu'il faut aller acheter en auvergne ou limousin maigres et revendre en=
suitte gras a paris, et bien souvent on y perd sur le prix d'achat mème, mais
une ou deux pistolles de gain de l'un a l'autre seroit un profit énorme et il y
a sur cela les frais de voyage risques &c. le vray profit donc et son objet
ce sont les fumiers, car les bètes d'engrais en donnent d'excellemment abondant
et gras; mais que de soins; si le boeuf a trop chaud il ne prend pas, s'il a froit, le
poil se herisse, il faut le nourrir et baqueter comme a la main, et avoir d'autres
<1v> bestiaux pour consommer les restes qu'on apèle les sobres; a cela doit sajouter
le fumier des écuries celuy des vaches pour le ménage, celuy d'au mois moins 60
cochons, car dans son plan il y a 100 arpents chaque année en pommes
de terres qui tout aussitost se chargent des grands bleds, les terraudages et
chaullages le tout coupé de marne et de jus de fumier et remanié a main
d'homme ; outre ses 75 arpents de prairies qui seront toutes a deux
herbes, sans le dépaitre quand il les aura remaniées, il conte avoir 100
arpents de tréfles; enfin si ce détail continue a vous amuser je luy deman=
deray pour ma premiere lettre, outre la réponce aux questions que vous
me ferés, une notte de son plan de labourage. ce que je puis vous dire cest
que c'est la tète la plus accomplie que je connoisse pour abonder en sens juste
et en rectitude d'idées, aplication de suitte, exécution décisive et jouissance
du moment. vous seriés bien ensemble, car pour son plaisir et surtout celuy
des autres selon franche nature qui aime a s'ébaudir rien ne luy coute tout est
noble et réglé; se présente t il le moindre petit bout d'affaire, cest lâ qu'est sa be=
sogne, plus de plaisir. quand a présent il n'a encor que la ferme des hayes, ayant
laissé le fermier dans l'autre encor pour n'en pas tant prendre a la fois. dans
cette ferme il a sept chevaux (cest son foible) dont le moindre est de 600 lb et les
limoniers vont a 1000 lb, cela va commencer 1 mot écriture avoines et en attendant charrie
de toutes parts des foins et avoines pailles quil a achetés et arrètés dans le paÿs, ainsy
que des avoines et des sons, dix vaches pour le ménage six cochons, deux cham=
brières, troix chartiers, l'un de flandre, l'un du paÿs, l'un des environs du paÿs de paris
tout cela réduit au taux de gages du paÿs, sauf les profits sur les ventes, quatre
limousins pour ses prairies et fumiers, dont le premier est un domestique éprouvé
qui scait bien lire et écrire et est fort entendu et connoisseur en bestiaux, un receveur
un peu plus monsieur pour les voyages, gros achats, la caisse et ètre a la tète des ou=
vriers et journaliers; mais toute la machine est dans sa tète, car il ny a pas d'exe=
mple d'une pareille reunion de deux manufactures rurales si distantes et hétéro=
gènes, et il dit quelquefois, je me suis mis lâ derriere l'oreille un réveille matin
en effet il va y faire une course dès la fin de ce mois, car imaginés qu'en mème temps
il fait avec sa femme et ses chevaux les plus beaux de paris, un engage par an en
limousin ou il fait toutes ses affaires et tournées &c et qu'ils ont comme vous scavés
eté ce mois de xbre a maubeuge faire recevoir deux filles, et tout le train et la
dépense de cela.
oh si je ne me faisois si vieux que je commence a douter de mes ruines, je vous
dirois a vous l'imperturbable et l'indestructible, quand cela sera monté venés
le voir et je vous promets de vous ramener dans votre paÿs, mais mon corps, mes
affaires. quoy quil en soit voila cher amy ce que je vous ay vous m'aves demandé.
il vous paroitra plaisant de vous dire qu'auprès de cela les tracas de genève, me
<2r> paroissent bien petits. il seroit messeant de vous dire que la liberté répu=
blicaine me paroit placée au moral comme lest l'honneur des femmes au
phisique: on a beau placer la main devant pour peu qu'on écarte 1 mot biffure
les doits, la brèche est faite, et combien elle prète après. adieu mon bon
amy, mieux vaut se taire que de raisonner de la sorte, mais je vous
embrasse tendrement, dieu scait.
a monsieur
Monsieur de Saconai a
Berne en Suisse
Par Pontarlier