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Lettre à Henri Polier, [Saint-Pétersbourg], 07 mai [1783]
Le 7e May.
J'attends avec une Impatiençe extrême de vos nouvelles mon bon ami! cepen=
dant quels Reproçhes ne m'y auriés vous pas faits? Je serois plus tranquille
si je pouvois me persuader que vous n'attribuerés pas mon Changement
d'Avis à la seule ambition que vous m'avés si souvent reprochée. Ah! mon
bon ami! M'accuseriés vous d'avoir résisté aux Lettres touchantes que vous
m'avés écrittes, par des motifs de çette Espéçe denuées de çe qui les rend légiti=
mes? Non je ne puis le croire; au contraire mon Coeur me dit bien fort
que vous ne 1 mot biffure blâmés pas çe que je fais; que vous le regardés au contrai=
re come une Suitte néçessaire des Circonstançes et come l'accomplissement
de cette Promesse sacrée, venuë de si haut, pour de me faire un Sort convena=
ble. Vous ne me blâmeriés pas sans doute, quand je vous dirois que je suis
destiné à coopérer à l'Education future de 2 jeunes Gens dont dépendra
le Bonheur ou le malheur de plusieurs millions d'Homes. jusqu'à la fin de la ligne biffure
Je suis bien assuré mon bon ami! lorsque je pourrai
vous rapporter tous les Détaïls çe qui ne se peut encore
parçeque le Plan n'est pas encore publié) que vous dirés
il à bien fait. Songés daïlleurs mon bon ami!
qu'il falloit répondre de toute néçessité à une Marque
de Confiançe aussi grande, et que ç'eût été manquer
tout à la fois, à mon Protécteur Mr de G. au soin de mon jeune ami, à De R... et
surtout de me rendre peu digne de 3 mots biffure ta confiance 1 mot biffure dont S. M. 2 mots biffure m'a honoré. J'ai donc
eû raison de vous dire que j'avois dû absolument changer d'Avis et j'espére qu'il
ne m'en arrivera pas du mal. Au reste mon ami! j'ai écrit au Lord
Tirone pr le remerçier, et pour me charger auprès de lui de tous les Retards,
et j'ai tâché de réparé par là une fautte involontaire, Suitte néçessaire de
l'Eloignement ou nous somes les uns des autres. Quoique j'aïe fait tout ce
qu'on pouvoit éxiger de moi dans une pareïlle Situation, je ne répondrais pas
que le Sucçés répondit à mon attente: je pourrois fort bien avoir mal choisi,
mais n'y a-il pas plus de Probabilité que j'ai fait tout le contraire? Or ç'est d'après
les Probables qu'un Home sensé se déçide. Enfin come qu'il en arrive j'en prendrai mon
Parti. La fortune sert quelques fois l'Audaçe, mais je ne mêttrai pas plus ma
Confiançe en cette Inconstante, que je ne serai abbattû si elle me tourne le
Dos. Il pense avec Satisfaction que les plus grands Revers ne peuvent me priver
ni de çe que j'ai appris, ni de mes Parens, ni de mes amis, ni de l'Estime des
autres Homes; S'il plait à Dieu je serai toujours un Home et jamais un Courtisan:
Que je puisse dire dans tous les momens de ma Vie, J'ai vécu, voilà mon Desir
<1v> le Desir de mon Coeur. ainsi je serai toujours digne de l'Attachement de mes amis,
toujours digne du vôtre. Je vous charge de mille et mille choses pr vos Parens, Me votre
Epouse pr Mes vos Soeurs, pr vôtre Beaufrère. Beaucoup de Complimens à D'Eyverdun:
J'ai fait ici la Conoissançe de Mr Bolemani, avec le Regrêt de ne pouvoir la cultiver.
Mon ami est parti Samedi pr l'Armée; il n'en reviendra pas avant le mois de 7bre
çe qui me fait une vraïe peine. Ces Conoissançes mon accueïlli, et je ne suis plus
étranger. Je vous recomande les miens.
Notre Neva est actuëllement couverte de Bâtimens: Ç'est un fleuve considérâble: on
ne peut rien voir de plus pittoresque et de plus gai que ses Bords, autour de la Ville,
C'est même la seule Beauté du Païs, qui est affreux tout à l'entour. Mrs de
Lanskoÿ vous font beaucoup de Complimens. L'ainé est devenû Colonel: 1 mot biffure
Nous n'avons pas encore des feuïlles, mais parcontre le Soleïl jusques à 8h. et ¼.
on anonçe l'Eté dès que les Glaçes du Ladoga aurront achevé de passer. Cher et bon ami
comptés sur moi et sur ma constante amitié, où que je sois. adieu, adieu.
A Monsieur
Monsieur Polier de Loÿs
çi devant officier au Régiment
d'Erlach
A Lausanne
En Suisse