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Lettre à Henri Polier, Saint-Pétersbourg, 18 mars 1783
Peterbourg le 18 Mars
1783
J'acçepte la Vocation que vous m'avés proposée mon bon ami! et
au moment ou cette Lettre vous parviendra je serai déja à moitié
Chemin de Manchester, ainsi Milord ne pourra je l'espére
se plaindre des Retards. Voiçi la Route que je prendrai et la notte
des Distances. De Petersbourg à Riga il y à 160 Lieuës que
j'espére faire en 4 Jours. De Riga à Berlin il y en a 308, et
on m'annonçe qu'il me faudra 10 et même 12 Jours pour les faire
en allant nuit et Jour, tant les Chemins de la Prusse sont mau=
vais. De Berlin à Helvoetsluys, il y à environ 250 Lieuës. ainsi
je n'ai pas moins de 718 Lieuës seulement jusques au Rivâge
de la Mer, et de là à Manchester, il y à bien encore 80 et
peut être 100 Lieuës. Si Milord avoit pû attendre plus longtems,
il m'aurroit épargné bien de l'argent et des fatigues; j'aurrois pû
alors m'embarquer pr Lubeck ou je serois arrivé dans 10 Jours,
et prenant là les Chariots de Poste je me serois rendu à Hambourg
ou en Hollande à peu de fraix, mais la mer est 1 mot biffure gelée
et il faut encore plus d'un mois avant qu'elle soit libre.
Je n'ai pas besoin mon bon ami! de vous démontrer que
2 mots biffure 20 Louïs sont insuffisans et très insuffisans pr
1 mot biffure un Voyâge de çette Espèçe, qu'il faut surtout lorsqu'on éxige
de la Diligençe, car il n'y à d'autre moyen pr la faire que
de prendre la Poste. J'aurrois (je Vous l'avouë) bien desiré de
savoir la Réponse de Milord sur çet article avant que de me
mettre en Routte 1 mot biffure et sans les motifs que vous
me donnés pour partir inçessament et sans l'Espérançe presque
certaine de 1 mot biffure convaincre Milord, je l'aurrois attendûë. Il
est juste sans doute que les Dépenses qui me seront personelles, ne
regardent que moi seul: ainsi je ne 1 mot biffure porterai pas en Compte à
Milord tout çe qui n'appartiendra pas essentiellement au Voyâge,
pas même l'Açhat d'une Calèçhe que je ne revendrai pourtant jamais qu'à vil prix.
<1v> mais la Dépense des Postes et des auberges (exçepté celle que
je pourrois y faire extraordinairement) ne peutvent jamais me regarder, par=
çe qu'il ne seroit pas juste qu'après avoir courrû nuit et Jour,
et mêtre tuè de fatigue, je supportasse encore la Dépense d'un Voya=
ge que j'entreprends uniquement pour Milord, et que je suis
forçé de faire de la manière la plus couteuse. Je me çharge
donc de donner à mon arrivée une Notte très détaillée de
tout çe qu'il m'en aurra coûté en route, poste par poste,
auberge par auberge, mais j'espère aussi de la Justiçe et de
la Générosité de Milord d'en être remboursé: ç'est mon bon ami!
çe que je vous prie de lui écrire en lui faisant part de mon
Départ prochain. J'aurrois pû partir plutôt sans une formalité qu'il
faut subir, savoir de se faire mettre 3 fois sur les feuïlles d'avis
1 mot biffure pour obtenir en suitte un Passeport et un ordre pr les Postes.
J'irai je crois en traineau d'içi à Riga, et je ne m'arréterai dans
çette Ville que pour y açheter une Caléçhe et me reposer.
Je m'arrêterai ensuitte un demi Jours à Memel, un Jour à Königs=
berg et peutêtre autant à Danzig, a Berlin je séjournerai
deux Jours tant pour m'y reposer, que pr voir deux Conoissançe
que j'y ai. Je ne m'arrêterai plus depuis Berlin jusques en Hollande.
J'irai nuit et Jour et ferai toute la Diligençe possible
pour 1 mot biffure n'emploïer pas plus de 28 ou 30 Jours: Les Couriers
russes, les plus vites de tous, en emploient 17 pour se rendre
à Londres jusqu'à la fin de la ligne biffure
4 mots biffure mais je ne puis aller aussi vite qu'eux.
En partant j'écrivai à Mr Bessonet ou à Milord, et je vous
écrirai depuis la Routte.
Je quitte çe Païs avec Regrêt, et je ne me console pas de n'y
avoir pas séjourné plus longtems: aucun Païs ne mérite peutêtre
plus d'attention de çelui qui voyage pr s'éclairer. Les Notions
<2r> qu'en ont données de misérables Voyageurs ont perverti le reste de l'Eu=
rope qui n'en est pas encore revenuë, et qui persiste a regarder
l'Habitant de la Russie, come dénué d'Esprit, de Genie, d'Energie et
de forçe d'Ame... mais qu'il est aisé à des Homes ignorans et remplis
de Préjugés de calomnier un Peuple dont les Usâges sont différens
des leurs! Il semble même que les Homes des Classes les plus élevées
de cette nation aïent contribué à donner çes mauvaises Impressions,
en jettant du Ridicule sur 1 mot biffure leur Patrie, en en méprisant la
Langue, et en adoptant aveuglément les Usâges des autres Peuples; mais
que l'on vienne jusques içi, et que l'on observe avec attention
tous les Travaux entrepris et exécutés pour l'Utilité
publique, pour la Propagation du Comerçe &c. et
l'on sera bien vite désabusé. Vous ne vous doutés
guêres en Suisse que j'aïe pû hésiter bien longtems
dans mon Çhoix! çependant rien n'est plus vrai
qu'il m'en à couté plus que je ne puis dire pour
me résoudre à quitter çe Païs: je vous avouerai même mon
bon ami ! que si j'avois été libre je n'aurrois pas hésité un mo=
ment à acçepter çe que l'on voulloit bien faire pour moi.
1 ligne biffure
1 mot biffure je vous en ferai convenir une fois, et vous serés obligé d'avouër
que si les Bords du Lac de Genève sont le plus beau Canton de
l'Europe pr y couler des Jours tranquilles, le Païs d'où je vous écris,
est le seul (excepté l'Amérique) où un Etranger, puisse aspirer par ses Talens, 1 mot biffure
1 mot biffure à se rendre utile, le seul ou Sa qualité d'Etranger,
ne l'exclud pas du Droit (qui devroit être le même partout) de
se distinguer, par son Travaïl et ses Talens, et quand je dis que
l'un et l'autre sont protégés, acceuïllis, récompensés, je pourrois vous
en çiter un très grand nombre d'Exemples.
Mille et mille choses à vos Parens. mon bon ami De R. vous fait ses complimens, et regrette
de ne vous avoir pas assez connu. adieu cher et excellent ami! Aimés moi
toujours. Je suis à vous pr la vie et toujours le même.
A Monsieur
Monsieur Polier de Loÿs
çi devant officier au Régiment d'Erlach
A Lausanne
En Suisse