Transcription

Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Le Bignon, 01 décembre 1779

du bignon le 1er Xbre 1779

je commençois en effet mon cher amy a ètre en peine de n'avoir
plus de vos nouvelles; depuis votre accident de rétention d'urine
je ne vous crois plus invulnérable et votre silence me l'avoit
rapelé. je suis fort aise d'aprendre que c'est tout le contraire
qui vous a detourné; nous avons une vielle chançon qui dit

en ce monde n'a du bon temps,
qui ne s'en donne.

il n'en est pas de mème des procès, je vois par le détail que vous
me faites que vous en avés un malgré vous: il est fort bon mais
le meilleur n'en vaut rien. dans nos paÿs en pareil cas on auroit
en suposant égale intention de part et d'autre pris des arbitres
avec pouvoir de prendre un sur arbitre et de faire prononcer
condamnation avant d'avertir les parties.

vous croyés que j'en chomme, je ne dis pas de ceux de terre, car on
n'en finit point, mais de mes principaux et primiciers oh que nenni
si j'avois continué a vous rendre conte de mes besognes je vous aurois
a la fin hébété et vous verriés la vérification du proverbe qui dit
l'homme porte tout hors le bien ètre. qu'il vous suffise pour écha=
ntillon que la dame a recomancé son procès en règle et présenté
requète au chatelet qui est le juge en premiere instance par lequel
en effet elle devoit commencer. la chose se suit je m'y laisse condam=
ner par défaut comme la premiere fois et puis nous viendrons
au parlement.

nota qu'elle a cet été obtenu par arrest main levée de la saisie que
javois faite sur la terre, prétendue palafernale, sur laquelle nous
avions plaidé autrefois, instance qui etoit demeurée pendante, qui
avoit été maintenue par l'arrest qui la débouta de sa demande en
<1v> que je n'avois point voulu relever, mais seulement fait une saisie pour
empècher dilapidation. tout cela prendra fin mon cher amy, car tout
finit une fois, mais il faut patience et je commence a avoir le cuir dûr.
de touts autres cotés de mes fols on ne me laisse pas du tout plus tranquile
mais ils ont affaire a bon cheval de trompette. le tout est de prendre
le dessus de mes affaires qui avoient été fort dérangées par tant de
faux frais accumulés et suivis d'énormes banqueroutes; je ne relache
point je vais toujours, et toujours j'ay ouy dire que constance et raison
venoitent a bout de tout; cest ce que nous scaurons.

nous avons eu comme vous les plus belles semailles, mais l'automne prend
bien sa revanche ce mois cy, ce ne sont que trompètes qui mettent tout
sans dessus dessoux. j'avois entrepris un grand chemin pour occuper
mon malotru de fils que j'ay icy qui est une créature inexplicable, et
qui met en train ces choses lâ; il s'est fait malade, l'a été deux mois
et retombe sans cesse par sa faute, cela a retardé. je fournis les pionniers
le terrein, les ouvriers, et les laboureurs me fournissent seulement quel=
ques voitures, on diroit que cet ouvrage met le ciel en colère et les oura=
gans et les tempètes ne cessent de tout détruire et de faire un cachos et
un gachis effroyable de ces travaux.

je suis seul icy maintenant, notre amie et ce que j'avois de monde sont
partis au commencement du mois; jmon gendre et ma fille ont emmené
les leurs a paris et de lâ les faire recevoir a maubeuge, je suis seul
avec le bon homme garçon; benoit 14 disoit qu'il ne connoissoit de
plaisir a la solitude que celuy de la polloution; ces petits dédoma=
gements la n'ont qu'un temps comme autre chose, j'en cède ma part
et toutefois je ne m'ennuye pas.

et vrayment ouy si Mr les genevois apélent consulter un homme
que de luy envoyer par la poste leurs imprimés qui luy coutent
5 ou 6 lb de port, je suis consulté comme un autre. le premier mème
étoit accompagné d'une lettre signée les citoyens de genève: je ne
scais ou l'on adresse une réponce a ces lettres lâ; je réponds a tout
<2r> mais cette raison m'en a dispensé. au reste je me serois toujours
tenu fort a lécart, n'etant rien moins qu'homme public ny publiciste
et si vous pouviés par quelque moyen honnète me délivrer de cet excès
d'honneur je vous en serois en vérité fort obligé. adieu mon digne
et cher amy, mille Respects bien tendres a vos dames et je vous
embrasse

Mirabeau


Enveloppe

a monsieur

Monsieur de Saconai en
son chateau de Bursinel
près Rolle en Suisse
Par Pontarlier


Etendue
intégrale
Citer comme
Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Le Bignon, 01 décembre 1779, Collection privée. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: https://lumieres.unil.ch/fiches/trans/617/, version du 23.04.2018.
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