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Lettre à Frédéric de Sacconay, Bordeaux, 23 juin 1739
de bordeaux ce 23e juin 1739
vous vous excusès mon bon amy de n'avoir pas repondu
a ma lettre, sur ce que vous ètiès a la campagne seul
comme un hermite quand vous la reçutes, je prends
a vos afflictions, la part a laquelle vous devès vous
attendre, mais cest un mal inevitable que la perte de
ceux qui nous ont prècédé dans le monde, comme la
notre le sera a ceux qui nous suivront, la nature a ses
droits, malheureux qui les méconnoit, mais passé cela
revenons a notre but jay dit quelque part
il faut grlisser sur les peines
appuyer sur les plaisirs
la pensée nest pas neuve, mais a ete papplaudie par la
façon dont elle est rendue, dailleurs elle contient une
vèrité qu'il faut nous raprocher sans cesse
vous avès bien fait de regagner votre campagne quand
on a apris a la gouter, et que l'on a acquis de l'assiette
dans lesprit, je suis persuadé que cest la ou l'on aproche
le plus du véritable bonheur, pour moy, qui je pense
ay lesprit le plus agité et limagination la plus vive
de mon siècle, je ne laisse pas d'y trouver le temps fort
court quand on est bonne compagnie de ville, car pour
<1v> les houbereaux je les déteste
jymagine tes conversations avec la petite paÿsanne
admirables, cest un plaisir que je ne pense pas avoir
de ma vie mais que je crois des plus vifs, dèsque ces
petites personnes ont de lesprit, de jouir dun coeur que le
fard du monde n'a point gaté, le tien a toujours éte
tourné de façon a gouter les plaisirs de l'amour sans peine
et moy au contraire, depuis dix ans les femmes et moy
nous travaillons a gater sur ce chapitre le meilleur coeur
du monde, dans ce temps cy mème ou jay les dehors les
plus scelérats, je parois un moncade declaré, entassant
trahisons sur trahisons, faux serments sur faux serments
il ne me manque des petits maitres les plus a pendre, que
les mauvaises façons dans les ruptures, dont je ne suis
pas capable, avec tout ce dehors imposant, il me reste
toujours, les mouvements continuels, dun coeur, naturellement
tendre constant et sensible, la passion et le gout des femmes
augmente par l'usage, sans que le coeur s'endurcisse ou
au moins que bien foiblement. mais comme, ce genre
d'amusement, ne me détourne pas de mes occupations de
la matinée, que je raisonne par conséquent, tu ne scaurois
croire, combien de diversités, enfin de choses nouvelles
je découvre touts les jours dans ce commerce, si nous
nous rejoignons un jour, je pourray causer de tout
<2r> cela avec vous, et vous communiquer des choses singulieres
car je suis ou l'amy ou l'amant de toutes les femmes, et
ces deux personnages instruisent également; victime d'une
agitation continuelle, jembrasse toute sorte d'objets, mais
jay grand peur d'avoir eloigné le repos pour toujours, je
m'instruits cepandant, et tu me trouverois formé, lemploy
du temps est encor mon grand principe, et sans cela je ne
me tirerois pas des differentes occupations que je me suis
prescrit etant aussy adonné a tout ce qui s'apelle intrigue
depuis ma derniére lettre, jay fait un voyage de soixante
postes pour aller ou revenir de passer ma revue de linspection
adieu mon cher amy fais si tu le juges a propos mes compliments
a mr de chandieu assure de mes respects tout ce qui tappartient
et aime moy