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Lettre à Frédéric de Sacconay, Le Bignon, 28 août 1778
du bignon le 28 aoust 1778
jespère mon cher amy, la datte étant un peu brouillée, que la lettre que je
reçois de vous est du 19, car Me de pailly me mande du 17 qu'elle est en
peine de bursinel, y ayant eu un fort orage de grèle de ce coté lâ. jay vite
couru a la datte de la votre que j'avois deja lue et qui ne m'en parloit pas. je ne
suis pas du tout près d'atteindre a la patience des agricoles dans les contradic=
tions, mécomptes et desastres majeurs. je la révère dans les g3 caractères écriture fermiers et lab=
oureurs, et je la prends pour apathie dans les pauvres. nous avons par exemple
une sécheresse sans exemple qui devore tout et tue maintenant jusques a mes
arbres grands et petits; 3 mois sans pluye ny goute deau et toujours avec des
vents desséchants de quelque coté qu'ils viennent; je plie la tète soux la main
de dieu, mais si j'etois comme les gens de village, je batrois ses saints.
j'avois en effet laissé, comme je vous l'avois écrit la disposition de mon manuscrit
au Mis longo: cet homme très excellent oéconomiste, qui a de l'esprit et des con=
noissances en diable, et de la vivacité et de la véracité, et que j'ay mis fort a son
aise, a dailleurs comme touts les italiens le tour de giblet dans la tète; je l'ay
découvert voltairien en diable, quoyque fort audessus de l'etat de sectaire; j'en ay
eu dernierement une longue lettre que j'aurois vertement flagellée et gayement
dans mon 1er mouvement. ensuitte comme j'ay a coeur d'avancer de la besogne
que je fais icy, ou j'ay dailleurs énormément de lettres a écrire, la paresse m'en
a pris, mais je contois laisser passer l'affaire du manuscrit et le faire revenir
a paris, si Me de pailly n'en pouvoit charger gresset a lausanne. mais puisque
longo court après et que la chose est faite tant mieux. vous me demanderés peut-=
ètre quelle rage j'ay de faire imprimer; mon amy, quelqu'un y gagne toujours
quelque chose; ma réputation s'oublie touts les jours et je prends le party de viellir
et de l'éteindre; tant mieux de mon vivant; la célèbrité n'est que de la graine a fols
et est très incommode pour un honnète homme, mais pourtant puisque j'ay fait
telle chose a bon escient; il est bon qu'elle ne soit pas perdue. si je scavois faire un
évangile je le ferois, en faisant ce que je puis, le devoir est remply.
Me de pailly me mande j'ay reçu une lettre de notre amy qui me gronde comme un
chien a votre sujet; je luy ay bien répondu, et assuré que vous aviés tout; je le luy
prouveray bien mieux de bouche. nous pouvons bien nous en fier a elle; je l'aime tout
autant aux limbes ou elle est que dans votre paradis a vous autres d'ou elle ne me disoit
plus mot. vous dites une raison fort juste de la sorte de bien ètre qu'elle temoigne; j'en
trouvois une autre, prise dans son caractère, qui certainement n'etoit pas fait pour sa
scituation ordinaire. l'impertinente, sauf Respect, me masquoit l'autre jour
cest pour vous plaire qu'il vous dit tant de bien de moy, et a moy il m'en dit de vous, et
nous sommes toujours d'accord. comme si l'amitié etoit autre chose; oh si son coeur
etoit comme son esprit et aussy peste les bons ne l'aimeroient pas tant. son ame est
son apast pour les gens de mérite, elle se vante qu'ils ont touts de l'attrait pour elle
mais quand a la délicatesse profondeur et bonté de son coeur, il est impossible de s'en
faire d'idée. mais expliqués moy un énigme entre vous. elle me parloit de Mr de chabot
<1v> qui est un des hommes que j'aimerois le mieux ètre, et fit quelque comparaison avec
le pdnt hainaut, viellard en quelque sorte, célèbre par son urbanité, qui en effet plus
qu'octogénaire devint amoureux delle et l'aimoit ensuitte beaucoup. je la gronday de cette
comparaison, elle me répondit. vous avés raison sur Mr de chabot: je ne pensois qu'a
la tournure galante quand je l'ay comparé au président, ajoutes y si vous voulés l'es=
prit du courten mais sans méchanceté. pour l'amy de l'academie (elle me parloit
aussy d'un amy de l'académie, a ce sujet et ce dernier point et cet article me dépassa
tout a fait) je ne peux pas vous faire cette confidence demandés ce qui en est a votre
amy saconay, je luy ay tout dit et ne luy ay pas recomandé le secret. or je vous le demande
elle me parloit ailleurs de droles deffusions qu'elle avoit eues sur ce certain balcon, dont
vous me parlés aussy vous une belle nuit quand tout le monde étoit couché. quand a la
prose de Mr de chabot elle ne m'en dit pas le traitre mot; ah fripons si vous n'aviés
que soixante ans il faudroit bien voir clair a cette affaire.
oh mon amy comme j'y tiendrois ma patrie sur ce balcon avec le trio que vous dites
il ne me faudroit que cela pour me refaire, mais il me faudroit cela. on ne scauroit
croire combien j'ay passé faisant de choses, qui m'apartiennent et me nourrissent
comme la lumiere au verluisant.
vous me faites une excellente peinture de l'authomate barkeus scavés vous bien quil
a passé huit jours icy, a moy adressé par ce fripon d'abé baudeau, jugés ce que j'ay ay
pu faire; il tira de moy pourtant une leçon bizarre, mais bonne pour luy, venant de moy
jay quelque fois et plus souvent depuis que je viellis de ces essorts de franchise; je luy dis
a tables Mr barkeus, vous retournerés aussy vuide que vous etes party et aussy distant
des choses des hommes et de leur langage il tira de son estampe un pourquoy? cest
que vous écoutés, et tandis que vous tenés ma premiere pensée qui se coagule dans votre
moment, nulle autres ont passé qui vous presentent un fagot delié du bruit et des écailles.
il faut parler Mr barkeus, de la voix ou du geste, ou des ongles ou du bec, se faire bat=
tre car cela dénoue les muscles, faire tout enfin plutost que d'afficher une volonté sans
accessoires et une promenade sans chemin. il rit un peu et fit semblant de m'entendre.
j'ecrivis alors a Me de pailly que peu s'en falloit, pour me dépiquer que je ne vous jouasse
le tour de vous l'envoyer en suisse; point du tout le bourreau y alloit et avoit dans sa
poche une lettre de moy que je luy avois donnée a paris en lhonneur de son paÿs et pour
me débarasser de son éffigie: que ne l'avés vous promené sur votre beau balcon au clair
de la lune mon bon amy, cest le lieu et l'heure des effusions.
quand a d'albon s'il vous manque je vous en felicite; 1 mot biffure cest un garçon sage et d'une
jolie et intéressante figure, et a grands mots, et fort expressif, mais une tete cassée et
qui a un tour tout a fait bizarre pour un homme de son état; dailleurs bon garçon
tout a fait. il aura été faire imprimer quelque betise a yverdon, et toujours
intitulée le cte d'albon. étant icy et passant au long des fossés, mon maitre dit il; il
faudroit faire oter ces certains papiers; tu n'aimes pas les torcheculs, cesse donc
décrire, telle fut ma franchise, un peu allobroge, mais je la luy dois car le bourreau me
prit en faisant partout de grandes affiches de son devouement absolu pour moy, et
ne faisant que des bétises a sa tète, quoyque je ne l'aye pas épargné, et il ne m'en aime
que mieux.
Nekre nest pas un fat croyés moy; il vouloit arriver, il y est, grand bien luy fasse
et il feroit du bien s'il pouvoit, toujours luy devons nous de n'avoir plus d'intendants
des finances. a l'égard de sa besogne du berry il faut voir. toujours si cela prend est ce
la bonne voye. adieu mon bien cher amy, mes Respects a vos dame je vous prie et
vous embrasse Mirabeau
a monsieur
Monsieur de Saconai en
son chateau de Bursinel près
Rolle en Suisse
Par Pontarlier