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Lettre à Frédéric de Sacconay, Le Bignon, 08 août 1778
du bignon le 8e aoust 1778
indépendemment du coeur que vous me connoissés mon bon amy, et de la
tendre amitié que je vous dois et que votre manoir et votre famille est en
vérité ma patrie, vous rendés dailleurs les gens si différents deux mèmes
que comme je voudrois fort ne me pas ressembler je devrois encor y fussay
je isolé aller tater de ce remède. notre amie au lieu de se plaindre du vaud
comme elle fait sans cesse au mois de janvier, nest occupée qu'a se féliciter
de son voyage et se louer de toutes les politesses et amitiés. elle avoue elle
mème qu'elle est toute changée. le climat la belle scituation, tout a agi sur
moy et m'a dénoircie: mon pauvre coeur qui avoit tant été comprimé s'est
dilaté icy: demandés a votre amy les droles déffusions que j'ay eues avec luy
au clair de la lune, en me promenant sur son beau balcon, quand tout le
monde étoit couché. elle fait plus, elle apèle mes lettres des méditations de
sentiment, qu'elle me déffend ou décomande; enfin vous autres me l'avés tout a
fait évaltonée, et je n'ay pas été faché d'aprendre qu'elle alloit reprendre un
peu d'aplomb a pailly. je l'ay été pourtant de ce qu'elle mécrit du 25 qu'elle
par a 4 heures du matin le lendemain, et vous du 25 que vous allés le lende=
main a lausanne pour la voir, car malgré le balcon je ne suis pas faché
que vous vous rencontriés. enfin elle a beau dire que quatre boeufs la tirent
de ce coté lâ et un cheveu d'un autre; le cheveu n'est plus si ferme mon bon
amy, il y a onze ans qu'elle fit ce voyage elle ny tint que deux mois en tout;
a présent a peine met elle pied a terre, et moy aussy je ne veux point mourir.
ainsy vous pouvés conter que c'est moy qui iray vous prier de me rendre
la jeunesse ou du moins de me préter quelques esquilles de la viellesse de
Mr de chabot.
dans le fait mon cher amy vous me dites une excellente phrase jay trouvé
a tout bout de champ des hommes qui en scavent plus que moy, mais qui ne
scavent pas jouir comme moy. mon amy entre toutes les avances que vous
aviés reçues de la providence vous en aviés 1 mot biffure une qui pour touts les ages
est la meilleure de toutes, je veux dire l'entente et ce que j'apéle le talent
vous ne scauriés croire combien toute ma vie je l'ay envié toute ma vie dans ses plus
petits détails, moy qui en suis l'oposé diametral, a plus forte raison en connois
je tout le prix quand il est général comme le votre; mais nous ne nous sommes
faits ny nous ny notre sort dont nous faisons une grande partie. jay eu de
grandes vues, la providence a souflé sur une partie, et j'ay a peu près remply
le reste. j'ay eu de grands chagrins, je commence a croire que jen ay surmonté
<1v> le plus fort.
j'ay remply de mon mieux une double tâche, et je commence a penser que jay
assés vécu pour les autres et qu'il seroit temps de penser a vivre pour moy. le
comique sort de mon dernier manuscrit m'a mème fait une sorte d'avertissement;
en général je ne suis incorrigible sur rien; je me suis dit il y a longtemps qu'un
viellard n'est respectable qu'autant qu'il est aimable, mais je commence a sentir
qu'il est impossible d'etre aimable a soy tout seul. jay sans doute des affaires a
finir et ce seroit terriblement pour un autre; mais comme je ne les ay jamais per=
du de vue, tout es en train, et les condradictions font marge et Rolle dans la
longueur des affaires, comme autre chose. j'ay qui plus est deux ouvrages encor
mais il y ny en qu'un qu'il faille faire avant le déclin absolu et je l'avance, l'au=
tre est n'est qu'un reste et ne seroit qu'un jeu en tout temps. après cela je ne vous
promettrois pas de ne reprendre les talons rouges, du moins si ma santé se soutient
comme pendant cet été. au reste notre amie me mande que si elle reprend du
chagrin de nouveau elle aura recours au mème reméde, de concert dit elle et
moy je luy répondray que ce concert sera que si je ne vais avec elle, du moins
ce sera la poste d'après; car a quel age donc sera t'on sans conséquence, et attendra
t'on pour se dire ce que burrhus dit a agrippine, et n'avertissés pas la cour de vous
quitter. je l'ay aussy chargée d'offrir mes tendres homages a Mr de chabot.
quand au peu de gout de la susditte pour lécriture, je le connois, mais il n'étoit pas
pour moy et depuis 25 ans j'ay eu bien des occasions de l'éprouver; encor ce
voyage, dans sa route biscornue et pénible qu'elle a faite elle m'a écrit trois
lettres sans que j'eusse pu la joindre, mais dès quelle a eu mis le pied chés
vous autres tout a été dit. quand celle lâ a changé cela pourra arriver a bien
d'autres, au reste ne luy en dites rien, car chacun a sa chose et quand celle lâ
a pris une résolution, vous feriés plutost reculer le cheval de bronze.
pour ajouter une espèce de chapitre a ce que vous me dites sur la science oéconomique
je vous diray que Mr neker vient de donner un arrest du conseil, pour départir
en berry a une assemblée de propriétaires la répartition et la levée de l'impost
cela n'est pas purement de la science, puisqu'il est de moy, et avant la science
mais il en est une conséquence et dans le supplément de la théorie de l'impost
j'ay dernièrement encor plus étendu cette idée.
vous me demandés que fait la sècheresse a nos récoltes; mon amy les memes grains ou bleds
de mars qui sont un tiers de nos terres et tout ce qui sert au bien vivre, les avoines
les vesces, les orges, les pois, les haricots, &c étoient superbes ainsy que les bleds et
les prairies quand je suis arrivé. les colons si sont atrapés car ils n'ont point loué
nos préz et tout a coup la sècheresse et un vent forcé du midy qui est brulant quand
il est sec ont tout devorés. les foins quoyque les plutost enlevé ont dépéry et non
plus de regains que sur ma main, car le gazon mème est mort, grand objet pour
les vaches, touts les menus grains n'ont pas valu la fauche; j'ay fait baqueter et
arroser a force de journées, pour le jardin &c mais en vain. je n'avois pas d'av=
voines ny de menus grains a ma bassecourt qui est a ma main, ayant mis les terres
a deux solles, mais j'avois un gros légumier qui faisoit plaisir, j'avois des trèfles
pour plus de dix arpents qui venoient a merveille, tout cela a séché et mes pépinieres
et mes petits arbres, et je n'ay pas l'ame cuirassée a la rurale pour ces contradictions
et voila tout. les bleds ont séché tout a coup, ils sont beaux néanmoins: mais moitié
<2r> un gros vent qui a passé dessus dessus moitié la lenteur habituelle des récoltes, ils sont
égrenés de maniere a faire pitié et quand on lève une gerbe c'est comme une pluye. on a
abandonné les vignes et l'on n'a osé biner parce que le hale faisoit mourir les plantes;
la mienne qui d'après vos leçons vous feroit plaisir a présent et ou j'ay mis dessus la valeur
de dix fois le fonds, promettoit enfin cette année une récolte qui etoit renommée, mais la
grape grille, voila nos inconvénient
lieux ou jadis on célébra marie,
fiers de ses pas, par ses soins embellis,
lieux toujours chers a mon ame attendrie,
vous netes plus, tels qu'alors, je vous vis.
non que nature, a mes travaux suivis
ait, dans son temps, dédaigné de sourire;
mais tout y séche et l'abondance expire;
dans nos vallons que manque t'il? hélas
marie ailleurs a fixé son empire,
tout est sans ame ou l'on ne la voit pas.
cela n'est il pas joly pour un berger de 63 ans? vous vous doutés que notre amie
s'apele marie et qu'on la fète au 15 d'aout: au reste peutètre n'en feroit on pas autant
ou elle sera a pareil jour. adieu mon amy cher, mille Respects a vos dames, mes
enfants vous en disent autant et je vous embrasse M
mon cher amy Mr frei l'autheur et traducteur du socrate rustique qui est
icy d'aujourd'huy, me dit qu'on vend a berne, une collection de vues notables
du paÿs en estampes coloriées qui sont fort bien. j'aime fort tout ce qui est
de ce paÿs; j'ay souscrit a celles qu'on donne a paris dont je n'ay pas été
content, je voudrois fort que vous eussiés la bonté de faire prendre celles
qu'il y a pour moy. Me de pailly vous en rembourseroit le montant, Mr
frey dit qu'il y en a 12.
a monsieur
Monsieur de Saconai en son
chateau de Bursinel près Rolle
en Suisse
Par Pontarlier