Transcription

Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Le Bignon, 29 juillet 1778

du bignon le 29e juillet 1778

tout en suivant l'attrait de votre bon coeur mon cher amy, vous m'avés
fait le plus grand bien possible de me donner des nouvelles de la visite que vous
avés reçue de notre amie; ce n'est pas que je n'en aye eu delle, mais on la caresse
on la traite bien et avec empressement la bas, cest pour elle le 3e ciel. le penchant
dailleurs pour son bon paÿs et pour vos moeurs; imaginés qu'elle n'a pas eu honte
de me dire sur sa plénitude de coeur la premiere fois qu'elle passa soux écublanc
leur ancienne maison, ah si la providence eut voulu qu'on m'eut laissé sur cette bonne
terre franche, au lieu de me transplanter dans votre paÿs de sable, comme j'y aurois
prospéré; pardon.
je pouvois n'etre pas sans replique, et je doute qu'avec le père
mange tout, le mary hante tout, et les autres assortiments que dieu luy avoit donnés,
elle eut soutenu la viellesse prématurée bouillante et déraisonable a lexcès de l'un
procuré l'avancement de l'autre, létablissement de sa soeur, et celuy de sa propre
fortune, de la maniere dont elle fait et avec une dignité et une noblesse dont
j'ay été témoin, desorte que les bienfaits la sont pour ainsy dire venue chercher
qu'elle a elle mème barré et fixé sa fortune qui ne seroit rien dans les mains d'une
autre vu le paÿs ou elle habite et a laquelle elle donne toujours l'air généreux
et vivifiant. je l'ay vue dans sa beauté; la pressant moy mème d'user de ce don de per=
suasion qu'elle avoit a un point qui tenoit du machinal et qui vous retournoit un
ministre comme un jeune chirurgien retourne un malade, elle me répondre, je scais ou
je vais, pour peu que je dépasse la plus simple médiocrité, a bon droit me croiroit

on vendue; et si j'en veux subir la honte il me faut cent mille livres de rente; et elles ne
valent pas cela.
or je doute que touts ces talents, eussent eu leur essor utile et nécessaire
dans ses positions de detail, en votre terre franche; mais elle eut donné plus détendue
a ses vertus naturelles, mais moins dexercice a celles qui sont plus rares; je le crois, et quand
je ne le croirois pas, il est inutile de raisonner le sentiment. la providence scait bien ce
qu'elle fait, voila tout mon texte, car pour ce qui est de la faire reculer de ses opinions
j'ay lieu de croire que celuy qui aura ce don lâ est encore a naitre.

quoy qu'il en soit, a quelque déplacement d'affections près, elle est dans son centre, et il
n'est pas possible en cet état d'en tirer rien de suivy; elle me remet a parler de bursinel
et je suis bien sûr quil n'en sera pas de cet article lâ comme de bien d'autres très curieux
que dans nos absences elle a revus des temps ou nous nous verrions précisément parcequ'ils
avoient trop de details interessants et qu'elle avoit oubliés après: je suis bien assuré que
nous n'oublierons rien. elle me fait pourtant de votre manoir un tableau delicieux.
la scituation, les eaux, un séjour celeste... baty avec la plus grande commodité, meublé et
arrangé avec gout, servy avec propreté et élégance, enfin il ny a rien a désirer chez luy
. je
loue et j'honore des traitement de Mes vos soeurs, aincy que de votre estime a touts pour
sa belle soeur qu'elle aime beaucoup. et puis la fille de votre amy est charmante; il ny a pas
<1v> un plus joly naturel et la vérité du sentiment et des manières, et surtout un sens
exquis; j'en suis folle son père l'aime a la folie, mais il ne scauroit trop l'aimer
. ce
tableau m'a beaucoup touché mon digne et bon amy; quand ce seroit une femme a
s'engouer, ce seroit encor beaucoup pour votre enfant d'inspirer ce sentiment a une
femme, et de cet age et de cette expérience; mais vous scavés si elle y voit; ses yeux
noirs sont redoutés de touts les mérites platrés dont le monde offre les effigies, et quand
ils sont aidés par l'analogie de caractère qui remue le sentiment; il ny en a pas de
meilleurs. on disoit un jour au vénérable docteur qui dailleurs etoit gaillard et qui
la jugeoit la plus pénétrante et forte tète qu'il eut connu, qu'il en etoit amoureux, je m'en
garderois bien
dit il je craindrois de n'y trouver des c--- la virilité. elle y voit clair et
ferme en un mot quand elle veut y voir et j'ay bien jouy de voir a mon amy une telle
fille. l'ordre rural aussy me donnera des leçons. vous allés rire, mais cher amy, je fus
toujours vieux et seray toujours un jeune homme. a ce que a ce propos je ne vous ay jamais
mandé un couplet definitif sur mon compte que je me trouvay avoir fait l'année passée
au milieu de mes plus fortes noirceurs: retournant a pied le matin par les rues sans sca=
voir ou jetois; en arrivant chez moy je me trouvay chantonnant sur l'air d de grimaudin.

en quoy consiste la sagesse?
dans les succès.
en quoy consiste la viellesse?
dans les regrets.
pay3 caractères biffure pauvre homme, tant que je vivray,
sage ny vieux je ne seray.

je ne suis donc pas plus vieux que sage, et j'aprends toujours quelque chose; a demy
s'entend comme je scais touts est quand notre amie sera revenue elle me dira et prouvera
plus énergiquement mes torts d'après vos données. quand aux chaleurs elle ne m'en a pas
parlé, quoyqu'elle y soit très sensible, elle y a en auroit été très incommodée icy ou nous
sommes levant et couchant, maison simple, et ou dailleurs nous n'avons pas eu une goutte
deau depuis près de deux mois et soufrons une sécheresse sans exemple et qui a tout détruit.
ma fille qui est une grosse sensuelle, naturellement sans soucy, mais qui craint fort le
chaud, en avoit a certains jours presque de l'humeur; nous n'en sommes pas quittes; mais
je vois que vous scavés prendre des précautions; un provençal transplanté dans ces climats
cy ny songe guères, mais j'ay songé a voir touts nos menus grains perdus et mes pois et mes
haricots, et nos récoltes égraineées de plus d'un tiers, par un très gros vent du midy qui
nous tient depuis dix jours et qui a joué la tempète pendant trois, fatiguant et abatant les
arbres &c.

Le Mr longo peut a peine avoir ma lettre; je doute dailleurs qu'il profite de l'offre
que je luy ay faite uniquement parce qu'il me parloit sans fin du desir qu'il avoit de
voir cet ouvrage; car dailleurs quand il auroit ce manuscrit qu'en feroit il? je vous
pourrés donc mon cher amy le remettre a Me de pailly.

j'ay reçu en effet nouvelle que le paquet de Mr diespach avoit été remis a ma porte.

je vous ay répondu mon cher amy, sur la proposition de vous aller voir cette année, croyés
que mon ame et mon coeur sont avec vous. cest tout ce dont je dispose.

<2r> Mr de chabot dont Me de pailly me parle sans cesse et qu'elle dit etre encor un
des plus aimable hommes qu'elle ait connus, me paroit etre son chevalier. je l'ay
priée de le faire souvenir de moy qui l'honore et le respecte bien tendrement. autant
vous en disent mes enfants; autant vous priay je d'en dire a Mes vos soeurs, a qui je
baise la main avec votre leur permission, et a votre charmant enfant, que dieu qui vue
en prédilection en la faisant naitre, la fasse toujours prospérer a son gré et au votre;
ou ce qui mieux est; luy donne le gré de tout ce qu'ordonnera d'elle la providence. cest le
voeu de son meilleur amy et du votre Mirabeau


Enveloppe

a monsieur
Monsieur de Saconai en son
chateau de Bursinel près Rolle
en Suisse
Par Pontarlier


Etendue
intégrale
Citer comme
Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Le Bignon, 29 juillet 1778, Collection privée. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: https://lumieres.unil.ch/fiches/trans/593/, version du 12.03.2018.
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