Transcription

Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, janvier 1778

de paris le janvier 1778

mon cher amy au moment ou jy pensois le moins, j'apris au big=
non que la requète en plainte dont je vous avois parlé et qui avoit
été retirée par un de mes amis accrédité au parlement; venoit de rep=
aroitre envoyée au peur général par le garde des sceaux avec une lettre
de ce ministre portant qu'on eut a faire suitte et que l'intention du roy
n'etoit pas qu'on refusat justice &c. mon amy l'avoit encor retirée mais
ne la pouvoit garder que jusques a samedy, et c'etoit précisément le jour
ou je reçus la lettre. je jugeay la balle néanmoins et qu'un amy accrédité
ne voudroit pas avoir le démanty; mais il fallut partir en poste par la
neige et le verglas pour arriver le mème jour du départ et trouver les
choses fort tempérées. la lettre du ministre n'etoit que de forme en ré=
ponce a l'envoy de la ditte requette par le pdnt de la tournette a qui
elle avoit été adressée présentée. or selon nos lois une femme ne peut
attaquer son mary en criminel qu'après réparation de corps qui n'est
pas de cette compétence.

je n'ay eu que le temps de prendre quelques mesures et non d'achever
le tout ayant été deux jours après mon arrivée pris de mes accidents
ordinaires d'étoufement; y joint un Rhume dont le fer ma débarassé
sans encombre; mais ma premiere sortie fut hyer pour la messe
metant trouvé bien de l'air, j'ay recidivé ce matin a pied, mais non
encore en carosse ou le froit me catharrise dabord. or vous jugés
mon cher amy qu'etant clos depuis le 24 du mois passé et par consé=
quent gardé a vue et abatu, il s'est amassé autour de moy bien des
besognes, n'ayant pas trop de tout mon temps, surtout icy, pour pourvoir
au courant. a cela joint touts les sommaires de la fin de l'année et les
inutilités du commencement, le tout ensemble fait un fagot difficile
a déblayer; mais j'ay dû commencer en quelque sorte par vous, car
je reçus précisément a mon départ votre lettre du 14 et je reçois aujour=
d'huy celle du 25 et je ne suis pas accoutumé a vous laisser en arriere.

<1v> je crois vous avoir mandé que mon frère etoit a grasse depuis les
1ers jours de 9bre pour parer a la crainte universelle qu'a inspiré cette
scélérate de cabris a qui rien n'est sacré et qui seroit plutost une amazo=
ne de cartouchiers que ce qu'elle est. outre les violences elle leurs fait tant
de chicannes qu'ils n'ont encor pu faire prononcer qu'il fait jour en plein
midy. il me mande aujourd'huy qu'il a été forcé de céder aux instances
de la parenté &c qui veut que le mémoire signé de pl1 mot tache le notable
de touts les genres, apuyé du pr pdnt 1 mot biffure envoyé par l'intendant
pour demander la cloture préalable de cette infernale créature
perte a present. je leur ay toujours mandé que tant qu'une femme
avoit son mary, l'authorité ne prendroit point sur elle de la clorre
sans son aveu a moins de crime d'état et que le préalable nécessaire
etoit l'interdiction d'iceluy. peutètre l'authenticité et la généralité du
voeu fera telle quelque chose, mais je ne le crois pas, et a cet égard
je demeure derrière la toile. quoy qu'il en soit le bailly qui est vrayment
homme et homme d'affaires ne démordra pas, il me mande seulement
qu'il aprend ce que peut une femme scélérate; a quoy je réponds qu'il
peut juger de ma scituation de l'année passée ou j'en avois 3 du mème
acabit sur le corps, et encor dans ce paÿs cy.

vous voyés mon cher amy que je vous tiens for aucourant de mes
besognes, ainsy que vous voulés bien le desirer. ce m'est une grande
avance que celle que nous apelons Rongelime du serpent de la fable
soit occupée la bas car elle paroissoit icy dans la requète et y faisoit
paroitre son mary, et contoit en s'emparant de cet homme, achever de
le ruiner pour acheter ma tète; celle lâ a maintenant a faire a forte
partie et il ny a pas d'aparence qu'elle s'en tire: dieu veuille que dans
le courant de cette année je puisse saisir icy le noeud dont dépend tout
le repos futur dont ma situation peut etre susceptible.

j'entends fort bien ce que vous me dites sur les prairies et le depaitre et
le débit du foin; mais avous etes a portée des montagnes, des hordes pas=
torales, et nous n'avons aucun de ces débouchés la. il ce sont les lab=
oureurs dans notre canton qui viennent louer nos prèz, et il suffit
pourtant qu'ils soyent a deux herbes pour cest a dire un foin et un
regain, pour que nous les louions 60 lb l'arpent; jen ay déja beaucoup
de cette espéce et j'y veux mettre nombre d'autres. le depaitre alors n'est
que depuis 8bre jusques au plein hyver; c'en est bien assés pour gater
les arbres et effondrer les rigoles, mais mes propres fermiers qui ont leurs
prairies dans cette enceinte ne renonceroient pas a les envoyer, et puis
tout ce peuple qui n'a pas assés de fourage pour nourrir les siennes a
<2r> a l'etable. quoy qu'il en soit j'en suis encor aux grandes avances, et je scay
bien que je n'auray jamais l'entente nécessaire pour tirer un vray party de
mon bien; je veux seulement créer l'abondance et j'espère que j'y
parviendray.

a l'egard des fumiers ne soyiés donc pas étoné si nous n'en faisons pas
d'amas, ny de hautes courtines; imaginés qu'un fermier laboureur par
exemple qui a 3 arpents de pré laboure 150 ou exploite 150 arpents
de terre, cest a dire 50 de la grande solle et 50 d'avoine et 50 en jachéres.
de ces 3 parts on ne fume que la 1ere, mais vous voyés qu'il y a la de quoy
employer toutes ses pailles qui sont toute sa ressource pour faire fumier.
quand a moy j'en ay acheté cette année ou elles sont tout bon marché, pour
600 lb mais 1° je ne feray pas toujours ainsy, 2° j'ay en outre un jardin
3° je fais couper et voiturer des brandes avec la motte et ramasser de la
feuille, mais tout cela n'est que pour fumer mieux que les autres.

vous parlés mon digne amy en homme qui a l'expérience des hommes et
des affaires, au sujet de l'opération projettée et décrétée par le margrave
mais de bade: mais contés aussy que je n'ay pas minoré la vérité. j'ay
mandé net qu'il n'y avoit rien a attendre du peuple ny de touts
les dépouillement et en un mot de l'opération en soy, si le prince
une fois d'accord avec sa propre conscience ne commençoit par se
dépouiller luy mème et par rayer d'un trait de plume, l'un
après l'autre, les impots indirects les plus nuisibles et desastreux; que
c'etoit ainsy qu'avoit opéré le grand duc de toscane, que jusques lâ il ny
avoit rien a attendre de la confiance du peuple. j'ay donné les moyens d'en
relever le montant toujours a décharge puisquau fonds le prince en paye
toujours la moitie, celuy d'arracher ce détail a cette inextricable chambre
des finances. enfin jay tout dit et tout mandé s'il ne prend pas sur luy
maintenant; ce sera le jeune homme de lévangile qui se retira confu
quand notre divin maitre luy aprit le moyen de se rendre parfait. je le luy
ay dit aussy: après cela ma mission est faite et nous allons voir.

soyés heureux mon bon amy, vous et les votres pendant le cours de cette
année, et tant que vous serés bon et utile sur la terre. ce sera une portion
principale de mon bonheur que je ne scaurois trouver que dans ceux que
j'aime; offrés mes voeux et mes Respects a vos dames et croyés que je seray
toujours votre dévoué serviteur et tendre amy Mirabeau


Enveloppe

a monsieur

Monsieur de Sacconai à
Berne en Suisse
Par Pontarlier


Etendue
intégrale
Citer comme
Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, janvier 1778, Collection privée. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: https://lumieres.unil.ch/fiches/trans/583/, version du 19.02.2018.
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