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Lettre à Frédéric de Sacconay, Le Bignon, 11 décembre 1777
du bignon le 11e xbre 1777
il est certain mon cher saconay que ce n'est qu'a vous seul a qui je racon=
te et confie la suitte de mes tortures, et qu'on m'a quelque fois mème reproché
de ne pas parler de mes affaires. toutefois les gens sensés m'en ont fait un
mérite plutost que de m'en blamer. mes malheurs ont tant éclaté qu'il est
impossible que je ne place quelques généralités sur cela dans des réponces
a bien des lettres dont la tournure ml'exige, mais en général je trouve que cest
une marque de pusillamimité et de peu de cervelle que d'occuper autruy de ses
affaires et de sa santé; il n'en doit pas étre ainsy entre nous.
chés moy la derniere va bien; les autres semblent tendre en ce moment a prolonger
l'intervalle de repos. la requète en plainte a paru a la rentrée, mais un
de mes amis, officier de la grand chambre et fort concidéré, a qui je m'étois
adressé, la guettoit se l'est fait remettre, l'a mise et jettée au sac des oubliettes
et ayant fait venir le procureur luy a dit de n'en plus presenter de semblable
que cette affaire etoit ministérielle et non judiciaire; cétoit le grand point.
d'autre part je n'ay plus entendu parler de ce médecin, mais j'ay prévenu
auprès de mon conseil la réponce qu'il y auroit a y luy faire. mon frère est après
sa grande opération de faire intérdire Mr de cabris malgré les chicanes de
sa chère épouse. toutes ces choses ne sont qu'interim, mais sans perdre de
vue la masse de mes affaires ny oublier les incidents préparatoires, je profite de
ces intervalles pour reprendre vigueur: et si bien que j'ay voulu demeurer icy
quoyque seul et dans la neige; Me de pailly et ma nièce de grille partirent
hyer; il est vray que selon les nouvelles que j'ay des du saillant, ils arrivent
demain a paris et pourroient bien me venir voir, quoyque je ne leur conseille pas
attendu qu'ils ont fait assés de chemin et que tout est pour moy dans l'incertitude;
mais cette incertitude mème qui porte sur le temps de mon retour; fait que
je gagneray autant de temps et de terrein de calme que je pourray, et mes
affaires en ont grand besoin.
<1v> je vous assure que st pierre n'a point poétisé sur vos domaines: j'en
avois cette idée sur le peu que vous m'en aviés dit et sur la connoissance que
j'ay de votre aptitude, talent et entente. il n'a point parlé de marbre ny de
dorures, ny de quinconces, ny de cascades si ce nest pour ménager vos ar=
rosages &c mais j'ay vu la chose, telle qu'il me la dite et telle qu'elle est.
quand a ce qui est de vos rigoles nivelées, de vos point de reunion des eaux
que nous apelons pescherons en limousin &c. songés dabord que j'ay 90
arpents de prairies; vous scavés ce que c'est que l'arpent de paris. je scay
qu'elles sont encor la plupart dans un état de friche. j'avois commencé en grand
a faire les arrachis, comblements et riviere de ceinture il y a près de 30 ans
tout étoit a faire a la fois icy, et sauf la ceinture je ne fis que des ébauches.
obligé de résider a paris bien plutost que je n'avois projetté, par cette affaire
d'un de mes frères en 1750, cette terre a été affermée cest a dire délaissée 24 ans.
il ny a que peu d'années que j'ay repris les prairies; je fais un grand travail
a présent, défaut d'ouvriers et la saison m'ont arrèté. songés que je n'ay qu'une
riviere que j'ay tirée du bas du vallon, pour partager et cotoyer, qui tend dans
un sol caillouteux et marneux toujours a y retourner par ce qu'ils apèlent des
gouffres et faire des fontaines. songés que j'avois trois chemins bourbeux a tra=
vers et point de vr ce qui en faisoit mille, et point de vraye sortie pour les foins.
j'ay déja fait deux belles chaussées avec des ponts, je fais actuellement la 3e qui est
très étendue avec deux ponts: je fais aussy des ponts de sortie, en des lieux ou
aboutissoient les grands égouts des campagnes, ce qui fait que mes ponts de
sortie font acqueducs pour porter les graisses sur les prèz, or il ny a que très peu
d'années que j'ay des materiaux pour batir. songés que non seulement mes vaches
mais celles de tout le village sont dans mes prèz depuis mes foins levés jusques a
présent et plus tard, ce qui dérange bien les flutes d'arrosage car les vaches ont le
pied bien lourd, cherchent toujours les ruisseaux et les arbres, passeront dix fois
pour une feuille et autant denfants qu'il y a de tètes de bétail, brisent mes plançons
et font le diable. quand au débouché c'est le meilleur bien; un bon arpent de pré se
loue communément 60 lb icy; il faut courir après le payement car la taille écrase
les laboureurs mais l'on retire pourtant. toutefois en limousin malgré le bétail
qui pature et qui souvent pasque, on suit que toutes les méthodes et j'ay que vous
dites et j'ay ouy dire a des voyageurs qu'après les montagnes et prairies des grisons
les notres du limousin étoient les mieux tenues de l'europe; mais lâ le labourage
n'est que subsidiaire du paturage, icy le paturage est subsidiaire du labourage; plus
loin et dans les paÿs de grande culture, on rompt et laboure mes prèz, et il en est
<2r> des usages et des profits ruraux comme des vertus et des moeurs il est bien
difficile de se rendre indépendant de son cercle. dans le limousin on seme généra=
lement des raves et c'est une récolte aussy sacrée que celle du froment; icy je
n'en scaurois semer parce qu'on les vole la nuit comme trouvaille. ou les fruits
sont revenus on les respecte, ailleurs ils sont la proye des passans. toute cela
ne veut pas dire que je ne doive faire et que je n'aye tout a faire mais il vous
dira peut ètre que je n'ignore pas entierement ce quil faudroit.
a l'égard des engrais je n'en ay point pour les prairies; j'ay pris a ma main
la ferme qui est dans la basse court; car ce mélange ne valoit rien, et malgré luy
le brave jean a été chargé de ce détail encor; non assurément que je conte y pro=
fiter, mais j'avois dèja un ménage, jean garde, un vigneron chef, un jardinier
une chambriere qui nous faisoit le pain quand nous y étions, des vaches et une petite
gardeuse, un chartier et deux chevaux, car j'aime a en avoir a la bassecourt pour les
voitures, terraudages &c, un laboureur deux chevaux et un calvanier font les surplus
enfin je l'ay; cette ferme a 120 arpents; j'en remets environ dix en prèz qu'on m'a=
voit écorchés dans mon enceinte, et le reste au lieu de 3 solles que l'on fait icy, je le
mets en deux, n'aimant pas les avoines, et a la réserve de quelque orge et quelques
légumes, tout le reste sera en grands blèds. or vous sentés qu'il faut du fumier a
cela. indépendemment donc des pailles de la ferme, j'achète par exemple cette année
3 milliers de bottes de paille de blèds ou d'avoine des cuvés voisins, la botte pesant
25 livres; indépendamment de cela je fais par exemple a present couper des
bruieres avec la motte dans mes bois et j'en comble en gachis mes avenues puis de
la feuille et ce que je puis; mais la vigne veut des terreaux ceux lâ sont des
recurage éteints qu'on entasse par le plateau et qui y cuisent; le jardinier man=
geroit le diable, il a 4 vaches de son coté, et prend encor tout le fumier de mes
chevaux décurie; je luy ay fait mener plus de 200 voitures de terreau dans le
haut jardin; vous sentés que les terres ont bien besoin de tout le reste du fumier.
dans ce paÿs cy jamais les prèz n'en tatent que celuy du dépaitre qui n'est rien.
heureusement mes eaux sont limoneuses, portent le trèfle et sont de la plus excellente
qualité. pour le coup vous voila mon cher amy fort au fait de mon oéconomie,
qui va toute seule au reste, car je gouverne cela, comme je gouverne les
empires.
je suis fort aise de la découverte que vous avés faite de ce cte carli, il en scau=
ra sans doute plus que Mr son père, car il est singulier de voir comment le gouver=
nement et l'administration du milanèz sont le contrepied absolu de celle du grand
duc. longo ne m'avoit pas parlé de votre jeune homme; je luy parlay un jour
du cte joseph gorani, il fut court mais je compris qu'il ne le trouvoit pas mur.
quand a l'homme je vous le donne pour un des hommes les plus éclairés de
l'europe. il a fait son voyage comme un sot et il le sent bien.
je ne scais ou j'avois pris qu'il y auroit de nouvelles éphémérides, je n'ay pas
d'idée, qu'il y ait eu trace de ce retour. mes assemblées mème n'ont plus été
cette année et ne seront plus au futur quand je seray a paris, que des diners
<2v> touts dans mes principes et ou les oéconomistes ont leur place; aujourd'huy
qu'on scait bien quels sont nos principes, que le gouvernement a fait pen=
dant un temps semblant de les suivre, puis de les réprouver; quils perçent
de partout et que nos antagonistes mème en adoptent le langage, il n'est plus
besoin décole, nous tiendrions donc bureau d'oposition, ce qui ne convient
ny a nous ny a nos principes. adieu mon cher amy, mille tendres respects
a toute votre maison et je vous embrasse
Mirabeau
