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Lettre à Frédéric de Sacconay, Le Bignon, 14 octobre 1777
du bignon le 14e 8bre 1777
mon bon et cher amy, vous etes un homme charnel et terrestre, chez
lequel les objets remuent les puissances; passagèrement néanmoins, et
quand a ce point je vous le passe, a notre age c'est encor beaucoup d'etre
remué. la vue de st pierre vous a mis en action de correspondance et
j'en ay eté fort aise, car j'etois en peine de vous; mais ce Mr quirini
est venu fort mal a propos couper votre lettre, quoyqu'a vray dire léten=
due du papier et la dilatation des lignes ne me promissent pas pleine
cuvée. quoyqu'il en soit je fus fort aise de voir de vos nouvelles, mais
je crus que vous continueriés le courrier d'après neant. le dit st pierre
me dit en partant qu'il connoissoit votre maison comme celle cy, mais
je vois que vous la luy avés tout autrement fait connoitre. il est fort
heureux de bien des manieres et surtout de celle lâ.
quand a moy mon bon amy je suis icy ou les jours passent comme un
éclair parcequ'ils sont fort libres et fort occupés. j'y ay une mienne nièce
fort aimable, Me de pailly, sigrais que vous connaissés, le bon et fort abé
boscovitz, ces deux derniers aprennent beaucoup de latin aux dames;
touts ensemble trouvent tout bon; quand a moy je suis presque tout le
jour dehors a mes travaux; la pluye ne nous a joint que de hyer et je l'ay
eue au moins six heures sur le corps, sans me déranger de rien. mes enfants
du saillant en arrivant chés eux y ont perdu leur père, ce qui les a
fort touchés, et a ajouté beaucoup d'affaires a celles fort essentielles, qui
les apeloient la bas. le bon homme qui alloit toujours et qui n'avoit
jamais conté de sa vie, a laissé force dettes et a dit a son confesseur qu'il
contoit sur son fils pour les payer; l'un et l'autre c'est a dire mary et femme
<1v> ont déclaré qu'ils y feroient honneur, falut il y engager leur dernier
sol. ils m'arriveront pourtant a la fin de 9bre a ce qu'ils me promettent.
a l'égard de mes affaires, elles semblent dormir, et j'ay mème moins reçu
de lettres depuis un mois que je suis party de paris que je n'avoit fait depuis
quarante cinq ans. j'ay été averty néanmoins que ce mauvais imbécille
de cabris avoit enfin envoyé ample procuration a paris pour prendre
fait et cause en son nom pour sa belle mère, conttre mes vexations et
sévices. il est assés difficile de batir quelque chose sur de telles données,
mais la chicane rapace, dans une ville ou elle a deux cent mille suppots
affamés, est bien habile a élever des questions, et faire bruit, cest tout ce
qu'il veulent. quoyqu'il en soit je me tiens pour dit que le calme annon=
ce la tempète, mais je prends le temps comme il vient et au jour le jour,
ne pouvant faire autrement.
adieu mon cher amy j'ay laissé a paris en lieu d'ou il peut ètre aisement
envoyé; et roulé dans de la toile cirée, un manuscrit mien que je voulois
vous adresser et dont je voulois vous laisser la disposition. j'attendois pour
cela de vos nouvelles; mandés moy donc a qui et comment je le feray
passer. adieu votre voisine, amie, parente et compatriote vous embrasse
sigrais veut que je fasse mention de luy. offrés mes Respects bien
tendres et profonds a vos dames, je vous embrasse Mirabeau
a monsieur
Monsieur De Saconai, en
son chateau de Bursinel, près
Rôle en Suisse
Par Pontarlier