Transcription

Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 20 août 1777

de paris le 20 aoust 1777

fort bien pour les bains mon cher amy, car en les tempérant sup=
osé qu'ils affoiblissent, ils ne nous otent rien, et au contraire ils diffé=
rent le racornissement qui est leffet naturel de la durée; et il ne faut
pas attendre les accidents pour en user; car il vaut mieux prévenir
que combattre. a l'égard de la saignée, nécessaire dans les cas d'inflam=
mation, elle est toujours mauvaise fonciérement et cest un remède nuisi=
ble surtout a la viellesse. or comme vous vous donnés libéralement
64 ans, tandis que vous n'etes jamais qu'un an plus que moy et que
je n'en ay pas encor 62, je puis vous dire que nous y sommes et que
nos dignes mères n'en font plus, et qu'il ne faut plus souffrir de maux
mais les prévenir par la privation et l'expérience. la jeunesse n'entend
encor rien aux loix de la nature; l'age mur a d'autres affaires qui luy
font trop de bruit, mais la viellesse a droit et devoir de se maintenir
dans la sérénité et santé.

je tiens assés quand a présent au second de ces deux points; a légard
du premier l'exercice continuel et propre a la nature de mon sort
privilégié pour les tribulations, mempèchera d'y atteindre. ne fut ce
que l'obligation de remplir deux générations ce seroit assés déja pour
forcer nature. je soupire après la retraite nécessaire a mon existence.
a ma santé, a mes réflexions, a la ruine ou ils ont réduit mes affaires,
et les incidents m'empêchent sans cesse de démarrer. imaginés mon
amy que le jour mème ou je vous écrivis ma derniere je me trouvay
condamné par un arrest pris soux la cheminée a payer 3000 lb au
procureur de ma partie contre laquelle j'ay gagné les dépends, et le tout
par provision. mon conseil se moquoit de la demande, touts s'ecrient
ensuitte arrest inoui o temps o moeurs mais il a fallu payer 3250 lb.
imaginés qu'en donnant 100 louis touts frais faits pour ramener mon
forcené de hollande, j'ay prohibé touts autre payement, dettes &c disant
qu'il ny avoit qu'a le laisser; et étant horriblement engagé ailleurs pour
luy. et bien Mr de la vauguyon a ny plus ny moins payé 9506 lb et il
faut que je les acquitte aujourdhuy. imaginés que nous en sommes encor
<1v> ou nous en étions pour ce couvent quand je vous écrivis ma dernière; je
m'en suis remis a eux par prudence quoyque la chose soit bien differente
pour moy, et sans alonger cecy par les incidents de détail, il y a aparence
qu'ils s'en tiendront lâ finalement, et en attendant je paye aux deux
atteliers. cependant il a deja glissé une plainte informe, mais cependant
le procureur du roy sommé de répondre a renvoyé a se pourvoir cest
a dire au parlement. cela ne peut ètre qu'une folie de plus, mais toute
folie me compromet; toute plaidoyerie peut forcer la cloture. imaginés
que mon fils n'a été ramené que sous condition d'un secret ensevely, et l'on
scait ou il est; et des lettres de luy ont percé jusques en provence, sans ce
que je ne scais pas, et qu'il faut présuposer avec des tètes de cette industrie
et de cette turbulence. imaginés que la scélérate de la bas, s'est a peine
réemparée de son mary foible de tète est dont la folie est terreur du poison
qu'elle luy a fait écrire a moy une lettre la plus extravagante et travaille
a luy faire signer un pouvoir a un procureur icy pour porter plainte et
redemander sa belle mère, conjointement &c. tout cela sont folies, mais au
mieux, ce sont folies des miens, qui me tiennent sur la sellette, en spectacle
scandaleux et toujours prét a parer. imaginés que mon frère me demande
un ordre du ministre, pour qu'on ne laisse pas revenir son neveu de malthe
a la fin de ses caravanes, vous jugés pourquoy.

voila mon cher amy un article d'antisérénité qui m'a mené bien loin, mais
vous voulés scavoir tout ce qui me regarde; vous me voulés voir, et con=
tés que je vous fais grace encor du plus pénible qui est le détail de la vie,
d'importuner sans cesse les gens en place, d'attendre a leur porte, de
dépendre de touts, moy qui n'avois jamais voulu qu'une simple indé=
pendance, et qui dès ma premiere jeunesse, avois pris pour devise, ne
minor me timeat, despiciat ue major
.

a légard de mes sentiments dont vous paroissés cher amy me demander
conte. cest de ceux de la répugnance dont j'aurois a me préserver, puisque
mon coeur n'est pas susceptible de haine. je regarde le fils comme un fol-=
phisique (et ils le sont touts, jen ay des preuves dans ma pauvre fille ainée
qui n'est pas sortie du couvent depuis lâge de cinq ans, qui a des accès
dans lesquels elle parle comme un démon, et agit comme un roué, ce
sont les termes dont se sert la religieuse) mais un fol impie, sans principes,
dangereux par ses fureurs et par ses talents, et qu'il faut garotter comme une
bète féroce; je vois sa soeur comme une exécrable créature de sens froit
que dieu jugera selon ses hautes vues, mais selon les notres, ne scauroit
laisser impunie. a légard de la mère quoyque née de toute fausseté et
devenue de toute méchanceté, ma conscience ne m'attribuera jamais le
pouvoir de la punir; par conséquent la geole me pése; tout mon but est
qu'elle veuille relacher ses liens au moyen d'une donation de ses biens faite
<2r> a ses enfants, par le moyen de laquelle le fonds luy en demeureroit au
moins après moy, assuré contre ses propres folies; mais ce but si raisonable
et qui ne prendroit que sur moy, devient chaque jour plus éloigné au
moyen de la foiblesse de ceux qui me servent. voila mon coeur mon cher
amy, qui ne se reproche rien, et qui ne tend qu'a se faire un calus habituel
contre la position peu commune du moins aux ames actives, de n'avoir
2 mots biffure a espèrer en maniere quelconque, aucun succès.

laissons cela. je vous crois quand vous me dites que vous avés été content
du supplément. au reste que comme ce n'est point par amour propre que
je travaille et que je m'en suis fait un devoir, on ne doit que ce qu'on peut
si c'est mon stile qui est pénible comme on le dit, cest mon naturel et il seroit
tard pour le refondre, si ce n'est que la nomenclature oéconomique, oh ceux
qui lisent ces sortes d'ouvrages commencent a y ètre faits, et beaucoup. on ne
l'a recherchée et travaillée que pour la rendre facile, on n'a inventé ny forcé
aucune expression. au reste je ne me suis jamais flatté, ou pour mieux dire
effrayé de l'idée de prématurer la face oéconomique de la terre. je
scay bien que rien de solide ne se fait de la sorte, et je l'ay assés répetté,
quand j'ay vu ce bec jaune de turgot aller de cul et de tète pour opérer
ce miracle lâ. tout a son temps et son période et l'instruction plus que
toute autre chose. il a fallu trois siècles pour établir par elle, le christia=
nisme apuyé de miracles; je scay cela je n'ay dit autre chose. je suis dailleurs
d'assés près les princes qui travaillent a établir chez eux l'ordre social sur le plan
de l'ordre naturel pour scavoir qu'ils agissent et patientent, conséquemment a
cette vérité; mais je ne vous en dis pas moins que nos recettes ne seront desor=
mais pas plus perdues que ne l'ont été celles de la poudre et de l'imprimerie
et que l'usage en son temps en deviendra général.

je n'ay osér envoyer pour Mr de chabot car le paquet étoit déja bien gros, mais
je le feray quand vous voudrés quelqu'autre envoy. au reste plusieurs des difficul=
tés du style peuvent apartenir a des fautes de ponctuation, il y en a beaucoup
il faut pourtant que je sois imprimé en paÿs étranger; ne voulant ny ne pouvant
paroitre icy en ce genre. j'ay par exemple un manuscrit tout prèt, intitulé les
devoirs
si vous le voulés mon amy je vous l'enverray et vous choisirés celle de
vos deux imprimeries ou il y aura un meilleur prête ou correcteur. cest l'ouvra=
ge du temps de mes plus fortes tribulations, et cependant a mon avis il en
vaut bien un autre, mais toujours dans le genre oéconomique, je vous
en avertis.

selon ce que vous me dites votre traité d'alliance que je croyois prèt a etre
signé et juré en cérémonie est encor retardé par des malentendus. les hom=
mes et le bon sens semblent jouer sur toute la surface du globe un grand
colinmaillard ensemble.

mille tendres Respects a touts les votres mon cher amy, conservés votre santé
les dusaillant ont été dans leur paÿs ou ils avoient des affaires pressées. au
moyen dequoy je seray seul au bignon jusques en 9bre. votre digne compatri=
ote vous remercie. et vous embrasse et dit bien des choses a Mes vos soeurs

Mirabeau


Enveloppe

a monsieur
Monsieur de Saconai en son
chateau de Bursinel près Rolle
en Suisse
Par Pontarlier


Etendue
intégrale
Citer comme
Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 20 août 1777, Collection privée. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: https://lumieres.unil.ch/fiches/trans/572/, version du 31.01.2018.
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