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Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 09 juillet 1777
de paris le 9e juillet 1777
mon cher amy vous voulés bien etre inquiet de ma scituation
et l'amitié en effet en pareil cas ne scauroit etre tranquille: vous
voulés que je vous tienne au courant, mais ce courant luy méme
m'entraine, je suis obligé de parer et suivre de tant de cotés, mes af=
faires de toute espèce se sont tant amoncelées (quoyque je n'en aye
oublié aucune autant que je l'ay pu) que cela joint a la perte
de temps habituelle icy, et indispensable quand on a affaire
a tant de gens, et qu'on dépend en quelque sorte de touts, et puis
quil faut tant écrire, que cela dis je m'arrache les jours et les
moments.
le public n'en scait que trop de mes affaires; j'espère qu'il en
sera de luy comme de Mrs de la grand chambre qu'on m'a dit
avoir eté si etonés de me trouver un homme sage, il leme trouvera
tel a la fin; au pis aller notre siècle en cette matiere n'est pas trop
juge, et il me suffira d'avoir selon mes lumieres agi sur ce plan lâ.
je vous ay dit tout mon courant. depuis, Me de cabris a par
ordre du roy eté envoyée aua son couvent de la dèserte a lion, par
elle cy devant choisy de concert avec son mary. un exempt de police
est venu donner avis que son digne suivant nommé briançon etoit
demeuré, qu'il demandoit a me connoitre, ou j'allois &c, que c'etoit un
fou qui s'etoit une fois cassé deux côtes a luy mème d'un coup de
pistolet dans un accès de jalousie &c j'ay blamé les allarmes de ma
famille et les démarches en conséquence; j'ay desiré qu'on laissat cet
homme pour ce qu'il est, et en effet tout en est demeuré lâ. j'ay beau=
coup écrit a mon frère pour mettre en mouvement cette famille apa=
thique, tout cela a eté nul. cette femme, que nous apelons Ronge lime
du serpent de la fable , a demandé a pouvoir aller joindre son mary.
un nouvel ordre le luy a permis avec déffense de revenir a paris, ny
dans la généralité. ainsy les laches en auront l'endosse, et celuy qui
<v2> a veillé en sera débarassé, sauf a tenir toujours un oeil ouvert sur
les démarches de ce serpent, véritable autheur de toutes mes catastrophes.
son digne frère est soux le secret entre quatre murs, et cela me donne du
temps pour l'y mettre plus encore. c'est une justice et un devoir pour
moy 1er magistrat de ma famille, devoir envers la sureté publique et envers
l'honneur de mon nom. mais outre les frais énormes de l'enlèvement et
extradition, il faut payer 7000 lb de dettes en hollande, et une grosse pension
ou il est, le tout a mes frais puisque mes revenus sont saisis et le seroient
pour cent ans, si maintenant je ne me rends pleige et ne me mets a la
tète de ses affaires, cest a quoy je dois aviser par équité, pour faire revi=
vre mes pères dans leur patrie, pour soulager mon petit fils de créances
qui un jour retomberoient en poids sur son honneur s'il vit: mais cette
hydre ne sera que de la peine, car venussay 20 ans, ses revenus y iront
touts entiers au moins ce temps lâ, et encore faudra til que je m'engage en
mon propre conte s'il venoit a mourir.
quand a saleur digne mère, ce fut par un ordre du roy qu'elle fut enlevée de
cette maison et mise en un couvent icy: elle y est encor mais lembarras
actuel est de la transférer en province, et de trouver ensuitte un couvent
qui la veuille garder, car c'est bien telle charge. cet article est urgent
pour la tirer du paÿs des chicannes et avanturiers et femmes dans le
mème cas &c; et en attendant grosse pension tandis que je laisse la terre
qui luy fut adjugée par ancienne sentence du chatelet, en sequestre de crain=
te de donner matiere a d'autres et nouveaux procès. or ajoutés a cela mon
amy les frais du proces &c dans cette venale ville, imaginés que sa seule
translation d'icy au fauxbourg st marceau, avec les formalités, scellés &c
m'a couté 600 lb et voyés quel surpoids porte le pauvre homme.
voila de bien longs détails mon cher amy, mais vous les avés voulus, et
encor n'est ce pourtant qu'un précis, et vous connoissés assés les affaires
pour penser que les détails de tout cela sont immenses et bien impatientans
en un paÿs ou ils ont assurement de tout autres affaires que lesmiennes.
en attendant je soupire pour le bignon par mille et une raisons; croyés mon
cher que si j'étois né pour mon plaisir je ne scaurois en avoir de plus grand
que d'aller a bursinel respirer l'air pur et salubre du paÿs et de l'amitié.
j'aurois pourtant mal choisy l'année, si le climat y est tel qu'il est icy.
j'envoye par l'adresse que vous me donnés l'ouvrage qui fut imprimé
<2r> l'année passée. ce n'est point des affaires publiques que je m'occupe ou
me distrait, mais de la grande affaire de l'humanité.
vous voila rassurés sur versoy. vous demandés des motifs, hélas en faut-il
en ce paÿs cy, pour des dépenses et des démarches? Mr de choiseul avoit
acheté le terrein &c 200'000 lb l'avoit ravagé et ne l'avoit pas payé. Mr
de trudaine autrefois son avoué et qui avoit le détail des ponts et chaussées
a voulu faire honneur a son ancien, a a payé et puis joint a l'intendent
bacancourt vouloit faire une ville. de la un plan et un port, et des places
et des rues in fieri. maintenant voila trudaine désapointé et la ville
selon les aparences encore surcise.
adieu donc mon tant digne amy, j'offre mes Respects bien tendres a Mesdames
vos soeurs, je baise les mains a la belle marianne, et encor je remercie le
bon daniel. mes enfants vous embrassent et votre compatriote aussy
et moy je vous aime comme je le dois et je cours. Mirabeau
a monsieur
Monsieur de Saconai en
son chateau de Bursinel
près Rolle en Suisse
Par Pontarlier