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Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 12 juillet 1776
de paris le 12 juillet 1776
je reçois mon cher amy votre lettre du 4 et en vérité il étoit
temps, car je commençois a etre en peine, et connoissant votre
coeur et l'importance des choses que je vous mandois dans mes
deux dernières, j'etois surpris de ne pas recevoir de réponce atte=
ndu que je n'avois pas été prévenu de votre voyage a berne, dans
cette saison, ains au contraire.
j'aurois en quelque sorte, excuse a vous faire de la célérité de cellecy
n'etoit que j'ay a vous prévenir d'une autre mienne, qui vous
pourroit etre présentée. connoissant l'habileté et éveille de l'homme
que je poursuis, j'ay compris que des ordres généraux dans divers
paÿs pourroient bien ètre entièrement inefficaces pour le temps
et toujours. j'ay apris d'ailleurs que ce drôle lâ s'etoit dit averty
de ceux qu'on avoit obtenus de la cour de turin, au moyen de quoy
il ny a qu'une manière qui puisse finir. la police de paris a des
hommes, uniques en europe pour de telles expéditions pour prendre
toutes les formes et remplir promptement et finalement leur objet.
je me suis procuré un tel homme; j'ay prévenu dabord le ministère
qu'il me falloit une toute autre prison que celle prononcée &c &c
tout m'a été accordé ainsy que les ordres et passeports et recomanda=
tions au dehors a touts les ministres du roy dans les cours étrangères
d'apuyer &c. muny de tout ce que j'avois demandé encor ay je frémy
au moment de faire partir, attendu l'énorme dépense de tels envoyés;
mais enfin l'honneur, la dignité de mon état et devoir de père de famille
et surtout la vue de délits et mème de crimes entamés qu'un tel homme
peut commettre, une fois engagé dans la voye, m'ont déterminé, contre
l'avis de plusieurs des plus sages de mes amis qui prétendoient qu'il falloit
<1v> attendre que cet homme eut creusé sa fosse de maniere a n'en plus
revenir, et que jusques lâ il etoit a craindre, vu l'instabilité de ce
pays cy, que je ne dépensasse p beaucoup pour ramener un play=
doyer futur jusques a moy. j'ay néanmoins pris un party mitto=
yen, j'ay fait partir mon homme 1° pour dijon ou sont les parties
intéressées et jusques a présent averties, 2° pour lion, ou est la digne
soeur du prévenu, et l'on a vu par un fragment de lettre qu'il man=
doit a sa dame qu'elle n' d'attendre des nouvelles de sa ditte soeur
3° pour genève, la savoye et la suisse; luy prohibant d'aller plus
loin, a moins de certitude de le joindre a peu de distance. je luy
ay recomandé surtout (chose a laquelle je vous prie de faire attention)
de tâcher de l'attirer ou faire attirer a carrouge ou a chèsne, ou en
un mot en terre de savoye, attendu que s'il etoit arrèté lâ on le vou=
droit garder dans un fort du roy de sardaigne, et l'ambassadeur m'a
assuré que s'il y etoit une fois, nul ne le pourroit ravoir, qu'une
demande spéciale du roy, et qu'en ce paÿs sérieux, on ne se prend point
aux belles paroles. je doute de la possibilité, et mème qu'il soit demeu=
ré dans le paÿs, mais enfin c'est mon desir. or cet homme en partant
qui est un homme sûr et fort honnète dans son état autant qu'habile,
m'a demandé, et je luy en des lettres, pour etre reconnu, servy et
apuyé dans l'occasion et je luy en ay donné une pour vous mon cher
amy, le cas y échéant, et en vous suposant a bursinel. il seroit donc
possible que vous vissiés cet homme, aucas qu'il eut affaire d'apuy
en suisse, et j'ay dû vous prévenir sur tout cela.
dieu nous garde de qui n'a qu'une affaire dit le proverbe; j'en ay
plus d'une et n'en suis pas moins dans le cas. vous ne me parlés pas
vous mème d'autre chose, ainsy je finis en vous priant d'assurer vos
dames de mon respect et vous embrassant de tout mon coeur
Mirabeau
a monsieur
Monsieur de Sacconai en son
chateau de Bursinel, près Rolle
en Suisse
Par Pontarlier