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Lettre à Frédéric de Sacconay, Grasse, 08 août 1774
De grasse ce 8 aout 1774
Je ne puis pas vous témoigner monsieur, le plaisir que ma fait votre
lettre, qu'elle est differente de celle que j'avois reçu de vous, dattés de paris,
ah si je nétois pas aussi sûre que vous portés partout le même coeur, et la
même tête, je croirois que l'air du païs a influés sur votre corespondance, dans
ce cas la, je choisit la Suisse, et pour la vintième fois de ma vie, je renie
paris, le ton et l'air de ses habitants; je respecte votre païs, et plus encore l'ha=
bitant qui me comble aujourduy d'assurance d'amitiés et d'interest, vous aperçutes
en moy monsieur, dès le premier moment que jus l'honeur de vous voir une
confiance bien naturelle, et bien entiere, vous pouvés l'avoir atribués seulement
au besoin qu'un coeur remplis, ressent toujours de se comuniquer, à la bone fois
de la jeunesse, de l'inexpérience, &... dans le cas où votre jugement ait étés tel,
vous ne vous ètes pas trompés entierement, jétois malheureuse, je sentois le besoin
d'un coeur sensible qui put et voulu m'entendre, malgrés les cruelles experiences,
qui aurois du me faire revenir du feu et de l'entousiasme que l'a jeunesse
met à tout ce qui luy paroit honeste, je suis encore jeune et imprudente, je ne crois
à la mauvaise foy, à la faussetés, que quand j'ay étés trompés, et l'instant d'après,
même chimère et même ardeur à la poursuivre, mais monsieur, vous me rendriés
bien peut de justice, si vous nétiés pas persuadés, que des motifs plus sûrs que
ceux que je viens d'examiner mont portés à la confiance, à l'attachement envers vous,
j'ay éprouvés qu'une tête sage, un coeur chaud, l'indulgence, la condescendance
avois de grands droits sur un coeur sensible, en effet quand je me rappelle, avec
<1v> qu'elle douceur, vous sembliés partager mes peines, avec quelle franchise vous me conseilliés,
avec quel ton dégalités vous daigniés combattre mes idés, les aprouvers, les redressers, ou
calmer une imagination trop vive, je cède aux sentiments de vénérations que ses divers
procédés doivent m'inspirer, monsieur, je suis nés honeste, sensible, rien na encore
alterés ses qualités en moy, j'ay vu souvent le précipice, peut être my précipiteraije,
mais si j'avois un amy tel que vous, je serois toujours digne de luy, au premier
pas à gauche, ce seul mot, où alés vous? me retiendrois, me rameneroit et ferois
de moy, une feme digne en tout tems, de votre estime; ne croyés pas cependant
que j'en sois indigne, jusqu'icy un honeste home peut conoitre ma vie et m'estimer,
mais le sort ma placés entre les mains dêtres insensibles, et peut fait pour moy,
j'ay passés six jours auprès de vous, j'ay ressentie le bonheur, et le besoin de la
sociétés d'un être sensible et sage; j'ay bien peut goutés de ce bonheur, je le regrette
aujourduy, et je vous demende la permission de pouvoir vous ecrire, prendre vos
avis, et vous réiterer milles fois les assurances de ma reconoissance, et de mon attachement,
l'interest que vous daignés me témoigner me met dans le cas, de vous faire le détail
de ma position actuelle, l'affaire que vous avés sçu est en mauvais train, nous
attendons le décret, et nous avons lieu de craindre ce moment, mr de C... ma refusés
constament de s'absenter, je luy donois cependant cet avis, d'après ses parents, et les
meilleurs avocats, mes solicitations nont rien gagnés, et elle mont fait soupçoner
par luy, j'ay donc la douleur de le voir exposés, et livres aux conseils de procureurs
et de faux amis, j'ay pris mon partis jusqu'au moment où le danger deviendra
plus pressant, alors, malgrés ma résolution de me rien prendre sur moy dans cette affaire
<2r> je le soustrairay, aux dangers, aux mauvais conseils &.. par toutes les voyes possibles de
persuasion, cependant tout cela m'inquiette, et d'autant plus que le chancelier ayant êtes prévenu
a écrit aux juges de maniere à les engager à la justice la plus stricte, je sent bien que
cette justice pour des juges ignorants est la rigueur, enfin j'attends, et le plus tranquilement
qu'il mest possible,
j'écrit souvent à mon pere, ses réponses ne sont point tendres, j'étois acoutumés à être sa
Louise, je ne peut pas macoutumer à nêtre plus que sa fille, je me souviens que vous m'avez
dit de tout esperer de l'avenir, j'espere, mais de deux cents lieux peut il me juger? vous
l'avouraije monsieur, je me repens souvent de ne m'être pas jettes aux pieds de mon pere,
de ne luy avoir point ouvert mon coeur, de n'avoir pas réclamés sa tendresse de n'avoir
pas combattu les griefs de mon oncle contre moy, j'ay eu à paris le ton de la contrition,
du repentir, d'un être qui demendois grace, qui craint, ne devoisje pas avoir celuy de la
sensibilités, (seul sentiment qui dans ses instants me déchirois l'ame,) et d'un être qui demendois
justice, je m'arêtte dans ses regrets en me souvenant que vous me conseillate toujours d'attendre,
et dévitter les explications, sûrement ce conseil etoit bon, je l'ay suivie, donc que ma conduitte as
étés bone, j'ay une inquiétude plus prochaine encore, cest ma fille qui me la cause, elle
est malade, et les chaleurs excessives de ce païs cy, la mette à la mort, je suis plus attachés à
cet enfant que je ne puis le dire, et cette perte seroit pour moy un malheur irréparable,
puisque vous daignés écoutter avec bontés le récit de mes inquiétudes, je vous feray part
avec la même franchise des plaisirs qui leur servent de contrepoid, mon frere ainés, dont
j'avois come vous sçavés beaucoup à me plaindre, ma donés dans cette affaire cy, les marques
de la plus grande sensibilités, ses procédés effacent, ou au moin me forcent à oublier ses
tords passés, cest pour moy monsieur, une véritable satisfaction, je le crois revenu d'une
partie de ses erreurs, et le tems je crois en fera un rare sujet, au moin pour l'esprit.
j'abuse de votre complaisance, par des détails fastidieux, mais le sentiment qui me porte
<2v> à la confiance vis a vis de envers vous, doit faire excuser ce déffaut de la jeunesse, qui ne
douttant de rien se livre à un ton d'égalités bien déplacés entre nous, si les sentiments que
je vous ay voués, ne faisoit mon apologie;
perméttés moy une question monsieur, je désirerois sçavoir si le païs que vous habités
est fort eloignés de Lion, cette question me présente un interest pour l'avenir, un plus
présent, dépend de la permission que je vous demende de vous ecrire quelque fois, et de
la priere que je vous fait d'avoir la bontés de me doner de vos nouvelles, je suis
icy, jusqu'a la fin de l'affaire en question, et je crain que cela ne traine encore, 1 mots biffured'icy
j'iray a la campagne, jusquaceque le bruit que tout cecy a fait, soit tombés, ou
que mr de Cabris, ait pris pour ses affaires des arangements qui luy permettent
une vie plus agréable, enfin je ne puis dire ce que je feray, ma tête ne réglera
rien, et je ne sçait coment celle des autres me mènera,
j'ay l'honeur dêtre avec le plus sincèr attachement monsieur, votre très humble
et très obéissente servente
Mirabeau de Cabris