Transcription

Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Bordeaux, 22 décembre 1738

de pbourdeaux ce 22e xbre 1738

je viens de recevoir deux de vos lettres mon cher saconay
l'une du quatre octobre et lautre sans date et qui
contient le détail de l'affaire de genéve dont je vous
suis bien obligé, elles avoient couru par un dérangement
imprévu dans mes projets de voyage et par la faute
du maitre de poste dicy. voicy maintenant ce qui fait
que vous me trouvès icy, je devois passer deux mois
a la campagne auprès de paris, jetois prét a monter
dans ma chaise et tu vois que javois deja fait le quart
du chemin, mais je trouvay un de mes bons amis qui
a ses terres dans ces quartiers cy qui m'arréta par
force et m'amena chex luy disoit il pour ce temps la
mais jay trouve tant d'agrèment que je ne scay
plus quand jen partiray, je ne le prevois pas mème
avec plaisir, cest icy un fort bon paÿs la fureur des
anglois pour leurs vins est si grande, et ils sont a un
prix si excessif que les maisons de cinquante et de
soixante mille livres de rante y sont communes, cela
entraine touts les agréments de l'opulence, jen ay
<1v> jouis avec toute la vivacité possible, et de toutes les
façons, il y a icy nombre de gens desprit comme le
président de montesquiou qui a fait les lettres persannes
et plusieurs autres connus par des ouvrages desprit
mais ils font mal des vers, et a cause que mon talent
est maintenant formé, que jay fait dasses bonnes
pieces et avec beaucoup de facilité, ils mont admis
dans toutes leurs acadèmies, et me traitent en homme
supèrieur, je me sauve du ridicule car plus on m'exalte
et plus je m'humilie, jay un opèra fort beau syl en peut
etre dans ce genre, une tragédie sans amour sy qui sera
un jour un morceau singulier, et plusieurs pieces
dètachées dont il y en a quelques unes de fort bonnes
et qui ne ressemblent du tout point a ce que tu mas
vu, il ny a que les fameux qui ont la connoissance
de ces choses la, et mes amis particuliers, les autres
sur un bruit sourd admirent ce qu'ils ne connoissent
pas, et quand cela n'auroit de flatteur que les ègards
qu'il vous attire, et la licence de se taire sans passer
pour un sot, quand on n'a pas envie de parler, je le
trouverois toujours très commode, enfin faut il te
dire tout, outre cela je suis amoureux d'une personne
digne de l'attachement d'un honnète homme, et pour
m'achever lon me trouve dune beauté eclatante
<2r> pour moy je ne me psuis pas aperçu de ce changement, et tu
scais que ce n'etoit pas mon dèfaut quand nous etions
ensemble, tu croiras qu'on se moque de moy, mais
outre que tu dois scavoir que je suis aussy délié qu'un
autre, cest la qualite dont je me soucie le moins et ce
sont des témoignages certains encores plus que les
compliments qu'on m'en fait qui m'en assurent, car
dès que je parois sur le theatre, plus de vint lorgnètes
et de cent tétes dans le parterre, se tournent sur mon
triste individu, dailleurs on m'accable de politesse et je
tache de les mériter, jay icy de véritables amis, mais
l'amy par excellence est toujours saconay. je ne scay quel
petit coin il a eté prendre dans mon coeur, mais quelque
fois quand lon parle d'amitié, par exemple dis je saconay,
il me semble que tout le monde doit scavoir que
cest mon amy, adieu mon cher écris moy a bourdeaux
et donne moy des nouvelles de tout ce qui te touche sur
que tout cela mintéresse infiniment

assure de mes respects Madame, et Mesdemoiselles

Etendue
intégrale
Citer comme
Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Bordeaux, 22 décembre 1738, Collection privée. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: https://lumieres.unil.ch/fiches/trans/55/, version du 27.05.2013.
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