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« Assemblée III. Lecture de la dissertation de l'abbé de Saint-Pierre sur l'origine des droits et des devoirs », in Extrait des conférences de la Société de Monsieur le comte de la Lippe, Lausanne, 01 décembre 1742, vol. 1, p. 13-22
IIIe Assemblée.
La troisiéme Assemblée s’est tenue le 1er Décembre.
Messieurs Polier Recteur, Seigneux Boursier, D’Apples
Professeur, DeCaussade, De Saint Germain, Seigneux
Assesseur s’y sont rendus ; & Monsieur le Comte a fait
le Discours suivant.
Messieurs, Je vous ai promis de faire un précis duDiscours de Monsieur le Comte
sujet sur lequel vous avez eu la bonté de m’entretenir
il y a huit jours. Je n’ai jamais parlé devant une
Assemblée qui m’inspire autant de crainte, fondé sur
mon insuffisance & mon peu d’expérience. Je vous prie
donc, Messieurs, d’user de beaucoup d’indulgence & de
n’avoir égard qu’au vif desir que j’ai de bien faire.
Quels avantages peuvent tirer de la Religion ceuxà Monsieur le Professeur D'Apples.
qui l’observent? Voila, Monsieur, votre proposition. Vous
vous êtes dabord étendu sur les avantages de la Religion
en général, & vous m’avez fait sentir que les plus faus=
ses Religions, aïant eu une grande influence sur l’es=
prit des Peuples, la véritable en devoit avoir beau=
coup plus.
Vous m’avez convaincu que c’est ceux qui gouver=
nent, qui doivent être le plus attachés à la Religion. Les
Peuples aïant journellement un si bel exemple devant
Les yeux suivant les préceptes de la Religion, ou pour la
/p. 14/ Religion elle-même, ce qui est le plus beau motif, ou par l’espoir
des recompenses & des bienfaits de leur Souverain, ou par la
crainte des chatimens. Ces deux derniers motifs sont indignes
d’un Chrétien.
Vous m’avez montré que les Loix humaines ne prescri=
vent pas toutes les vertus nécessaires au bonheur de la Socié=
té, & ne défendent pas tous les vices qui y sont contraires, mais
que la Religion supplée à ce défaut. Vous avez nommé les
offices de la charité, de la bienveuillance &c. J’y ajouterois
encor le devoir de la reconnoissance, et le vice de l’ingratitu=
de, qui intéressent si fort le bonheur de la Société, dont le
dernier selon moi devroit être puni. Cela doit vous con=
vaincre, Messieurs, de la reconnoissance que j’aurai tou=
jours pour les soins obligeans que vous prenez pour former
mon esprit & mon cœur.
Vous m’avez aussi montré l’utilité de la Religion par
raport à chaque particulier, en ce qu’elle les empéche de se
livrer à leurs passions. Je suis persuadé de cette vérité, et je
tacherai de me procurer ces avantages en m’attachant à
pratiquer les préceptes de la Religion.
Enfin, Monsieur, vous m’avez fait voir que la Religion
nous délivre des fraïeurs de la mort, & assure la felicité
de la vie à venir.
Pour vous, Monsieur, vous avez trouvé la question tropà Mr l'Assesseur Seigneux.
vaste; cela vient sans doute, de ce que je l’avois mal énon=
cée. La question étoit celle-ci; Des avantages que la Reli=
gion procure à un homme qui en pratique les préceptes:
je n’avois point pensé à parler de l’utilité qu’elle a par rap=
port à la Société. Cependant vous m’avez bien montré que
sans la Religion les hommes ne seroient point unis entre
eux, qu’ils n’agiroient que par amour propre, ce qui détrui=
roit la Société.
Vous, Monsieur, vous m’avez fait voir que la Religionà Mr le Lieut. Balli. DeBochat.
étoit propre à donner du courage. Cette tranquillité que
nous procure une conscience qui ne nous reproche rien, doit
effectivement faire affronter les plus grands dangers à un
/p. 15/ homme de guerre; il ne peut craindre la mort, parcequ’il
espère de participer à la vie éternelle & bienheureuse.
Vous m’avez aussi fait voir que la Religion n’empéche
point qu’on ne prenne ses précautions, pour soutenir ses
Droits & vous l’avez appuié par l’exemple du Roi de Prusse.
Dans son tems je vous demanderai vos conseils pour recou=
vrer plusieurs Droits qu’on m’a dit que ma Maison avoit
sur d’autres. Outre vos bons conseils, j’aurois peut être en=
cor besoin de la raison du plus fort.
a Mrs DeCaussade, DuLignon, & De St Germain. Il me paroit que vous, Messieurs DeCaussade, DuLi=
gnon & DeSt Germain, vous avez appuié ce qu’on a dit,
par les mêmes raisons.
Monsieur le Recteur vous étes entré dans un plusa Mr le Recteur Polier
grand détail de la question. Vous m’en avez expliqué
les termes, & vous m’avez bien montré les avantages de
la Religion, en faisant voir que les bandits & les voleurs
même, sont obligés d’en suivre les préceptes pour soutenir
leurs sociétés.
Enfin vous avez trouvé qu’on pouvoit examiner la
question de trois manières. La 1ere, des avantages que la
Religion procure à un homme seul. La 2e Des avan=
tages de la Religion par rapport à une Société parti=
culière. La 3e Des avantages de la Religion, par
rapport au Genre humain. C’est sur quoi je serai
charmé de vous entendre dans la suite.
Monsieur le Boursier vous avez fait des réflexionsà Mr le Boursier Seigneux.
sur l’importance de la matière, & vous nous avez pro=
mis la lecture d’une brochure que vous avez fait sur
ce sujet.
Voila, Messieurs, ce que j’ai remporté de votre
conférence. J’y ajouterois avec plaisir des louanges,
si je pouvois les exprimer comme je sens que vous les
méritez. D’ailleurs la Loi que vous avez fait me reti=
ent. Si dans la suite vous trouvez que j’en mérite quel-
qu’une de votre part, je vous prie de ne me la donner
que, lorsqu’après quelques années, de retour chez moi,
/p. 16/ je ferai voir par ma conduite, que j’ai su profiter de vos dis=
cours & de vos exemples.
Après le Discours de Monsieur le Comte on a lu une
Dissertation de Mr l’Abbé de St Pierre, qui a pour titre,
Origine des devoirs les uns envers les autres, & Ori=
gine des Droits les uns contre les autres. Elle est dans
le 2d Tome de ses Œuvres, qui ont pour titre Ouvrajes de
Politique de Mr l’Abbé de St Pierre &c. a Rotterdam
chez Béman 1733. in 8°. On trouvera cette Dissertation à
la page 105 du 2d Tome, et elle s’étend jusqu’à la page 120.
Comme on seroit obligé de lire cette pièces pour être au fait des
réflexions auxquelles elle a donné lieu & que peut être on n’au=
ra pas toujours ce livre sous sa main, pour y suppléer je
donnerai ici l’abregé de cette Dissertation.
Nous devons aux autres, par consequent les autres sont enAbregé de la Dissertation de Mr De St Pierre.
droit de nous demander ce que nous leur devons; les autres nous
doivent, par conséquent nous avons droit de leur demander ce qu’ils
nous doivent.
On comprend facilement qu’entre les personnes d’une mê=
me Societé qui contestent, l’un a droit de demander telle cho=
se et que l’autre a tort de la refuser, parce que nous supposons
quelque Loi, quelque convention soir écrite, soit non écrite,
qui donne Droit au Demandeur, & tort à celui qui refuse et
nous n’avons pas même besoin de la décision des Juges pour
dire que l’un a Droit & que l’autre a tort.
Mais entre deux Nations qui sont en contestation sur la re=
paration d’un dommage, si on ne suppose ni convention, ni loi,
il semble que l’on ne puisse pas dire, L’une a droit de demander
reparation, & l’autre a tort de la refuser; on le dit pourtant &
avec fondement.
Il faut donc qu’il y ait une convention ou une Loi qui soit
connue de tous les Peuples. Mais quelle est cette Loi qui donne
au Souverain offensé le droit de demander une reparation?
Car pour fonder un Droit, il faut ou une Loi connue, ou une
convention, ou quelque maxime de prudence que chacun
soit très intéressé d’observer & de voir bien observée par les
autres. La voici en forme de Loi.
/p. 17/ «Ne faites point contre un autre ce que vous ne voudriez
pas qu’il fit contre vous si vous étiez à sa place, & s’il étoit
à la vôtre, & si vous lui avez fait tort dedommagez le com=
me vous voudriez en être dedommagé s’il vous avoit fait
pareil tort.» La voici en forme de convention. «Pour
notre bonheur mutuel; nous sommes convenus que nous
ne nous causerions aucun mal, aucun tort, sans le reparer.»
La voici en forme de maxime de prudence. «Il est de l’in=
térêt de tout homme, que les autres ne fassent point con=
tre lui, ce qu’ils ne voudroient pas qu’il fit contr’eux, &
par conséquent, il est juste qu’il ne fasse pas contr’eux ce
qu’ils ne voudroit pas qu’ils fissent contre lui.»
C’est là la prémière de toutes les Loix, dont on peut
déduire toutes les Loix particulières: à la vérité cette
Loi & cette convention sont tacites. L’origine de cette Loi
de cette convention, de cette maxime, c’est l’intérêt mutu=
el des hommes: Tous les hommes doivent connoitre leur in=
térêt, puisqu’ils se le proposent pour but dans toutes leurs
actions. Ils détermine ce qu’il entend par ce mot, en disant
que c’est l’intérêt de la conservation de leur vie; intérêt
de la conservation et de l’augmentation de toute sorte
de biens; intérêt de la cessation ou de la diminution de
toute sorte de maux.
Outre cette Loi il y a encor un conseil interieur
de prudence pour augmenter mutuellement notre bon=
heur. Le voici: «Faites pour un autre ce que vous vou=
driez qu’il fit pour vous, si vous étiez à sa place & s’il
étoit à la vôtre, en conservant la justice que vous vous
devez à vous même, et à tous les autres; & le tout pour
plaire à l’Etre souverainement bienfaisant, et pour en
obtenir le paradis dans la seconde vie.» Il appelle ce con=
seil, le conseil de la bienfaisance religieuse, de la religi=
on naturelle, raisonnable et Chrêtienne.
Ce conseil nous engage à des services, à des soins, à
des politesses, à des complaisances, et à n’exiger pas tout
ce qui nous est du.
Ce conseil & cette Loi obligent tous les hommes, par ce
/p. 18/ qu’ils viennent de Dieu, qui les a mis en état de découvrir ces vérités
& de sentir qu’il est juste de se conduire conformément: ils sont
encor engagés à la pratique de cette Loi & de ce conseil par un
grand intérêt, c’est le bien ou le mal que Dieu peut et veut leur
faire dans cette vie, ou dans celle qui est à venir suivant qu’ils
les auront observées ou qu’ils les auront negligés.
Cette Loi est l’origine du Droit entre Citoïen et Citoïen, entre le
Souverain & les Sujets, et entre un Souverain et un autre Souverain.
C’est à ces derniers qu’il l’applique particulierement.
De là l’Auteur tire quatre conséquences. 1: La Prémière: Si
le Souverain qui a reçeu une offense, un dommage est en droit
de se plaindre, & de demander un dédommagement, l’offenseur
a tort de le refuser, parce qu’il violeroit la 1e Loi, Ne faites point
à autrui ce que vous ne voudriez pas qu’on vous fit. 2. La
Seconde: Un Souverain qui n’exécute point sa promesse est
injuste; il viole cette 1e Loi. 3. La troisième: Le Souverain
plus puissant qui ne veut décider les contestations que par la
Superiorité de forces est injuste; parce qu’il viole cette 1e
Loi. 4. La quatrième: Le Souverain qui contrevient aux
Droits de liberté & de sureté qui sont en usage à l’égard des
Ambassadeurs d’un autre Souverain est injuste; parce qu’il
Agit encor contre cette 1e Loi.
Nous avons donc un principe pour juger avec certitude
les contestations de deux Souverains; et il n’y en a aucune
qui ne puisse être décidée par là.
Mais quoique chacun convienne que si tous les hommes
d’une Société étoient justes et bienfaisans, elle seroit parfaitement
heureuse, il en est peu cependant qui le soient. D’où vient cela?
C’est qu’ils n’en conviennent que dans des intervalles de raison
intervalles courts, mais ils ne s’en souviennent plus dans les in=
tervalles des passions d’avarice, d’ambition, d’amour, de colère;
intervalles très longs surtout dans la jeunesse, ou les sentimens
sont si vifs qu’ils ne permettent pas à l’ame d’écouter la Raison.
L’Auteur content d’avoir montré l’origine des devoirs et des Droits
dans la premiere Loi, renvoïe toutes les autres consequences qu’il
en pourroit tirer, à une autre Dissertation.
Monsieur le Recteur Polier qui a commencé à parler, a
dit qu’il admettoit la premiere partie de la maxime de Mr
/p. 19/ de St Pierre, celle qu’il appelle la prémière Loi, sans change=
ment, ni restriction, c. a d. celle qui nous défend de faire à
autrui, ce que nous ne voudrions pas qu’on nous fit. Pour
la seconde partie, savoir, que nous devons faire aux autres
tout ce que nous voudrions qu’ils fissent pour nous, si nous
étions à leur place et qu’ils fussent à la nôtre, Monsieur Po=
lier a dit que pour se considérer à la place des autres, il faut
se placer dans toutes les circonstances & dans toutes les rélations
parce que si on ne faisoit attention qu’à quelques unes de ces
rélations nous pourrions faire pour les autres des choses qui se=
roient injustes; que nous devons faire pour les autres ce que
nous, lorsque nous serions à leur place, nous pourrions raison=
nablement souhaitter, qu’ils fissent pour nous. Par exemple,
un Magistrat, qui est sur le point de condanner un criminel,
devroit absoudre ce coupable, s’il se représentoit à sa place
et sans faire attention à toutes les rélations dans lesquelles
ce criminel se trouve, puisque le Magistrat quand il seroit
sur le point de perdre la vie, souhaitteroit bien qu’on la
lui conservât. Mais il ne faut pas envisager le criminel seule=
ment sous l’idée d’un homme qui va perdre la vie, mais
aussi sous l’idée d’un homme qui trouble la Societé, d’un homme
qui a violé les Loix; Le Magistrat donc faisant attention à
cette dernière rélation ou se trouve le coupable ne doit pas
se livrer uniquement à sa compassion; le coupable aussi
ne peut pas demander du Magistrat d’être absous, sous
le prétexte que s’il étoit Magistrat & qu’un coupable lui
demandât grace, il l’accorderoit: cette demande du cou=
pable ne seroit pas raisonnable, puisque le Magistrat
soutient plusieurs autres rélations qui sont plus fortes que
celle qu’il soutient avec ce coupable: la Societé l’a établi
pour veiller à sa sureté & à sa tranquillité & elle de=
mande de lui qu’il en éloigne tous ceux qui pourroient
la troubler. Ainsi le coupable s’il veut se considerer à la
place du Magistrat & faire attention à toutes les circons=
tances ou le Magistrat se trouve n’accorderoit point l’im=
punité à d’autres coupables: il n’est donc pas raisonnable
qu’il l’a demande; il n’est pas juste ni raisonnable non
plus qu’on la lui accorde.
/p. 20/ Cette règle, outre l’avantage qu’elle a d’avoir été établie par
Jesus Christ, est la règle la plus simple, la plus à portée de tous
les génies, la plus aisée à appliquer dans tous les cas, et la plus fa=
cile à pratiquer: il n’y a qu’à se rendre attentif à la voix de sa
conscience, qui dicte à chacun ce qui est juste & ce qui est injuste,
que nous devons d’autant mieux écouter cette voix, qu’elle vient
de Dieu qui l’a mis en nous, afinque nous suivissions ce qu’elle
nous apprendroit.
Monsieur le Boursier Seigneux a trouvé que Cette maxime
est un des plus clairs axiomes; par conséquent qu’elle obligeoit
à sa pratique les Souverains également comme les particuliers.
Mais il a trouvé que Mr De St Pierre n’en avoit pas developé
les principes.
Thomasius, a-t-il dit, établit ces trois choses pour principes
de nos devoirs, le Juste, l’Honnête, et l’Utile. Les idées du
juste sont inaltérables, elles ne varient point; outre cela elles
imposent une obligation parfaite, parce qu’elles viennent de
Dieu, à qui on en est responsable, & à qui on rendra compte
de la manière dont on les aura suivies ou négligées. Le juste
consiste à ne faire aucun tort, aucun dommage à personne.
Les règles de l’honnête sont différentes, elles consistent dans
la beauté & dans la convenance qu’il y a à faire de certaines
actions, à assortir ses actions avec la nature des choses & avec la
sienne propre. Comme tout le monde n’a pas le même gout
pour sentir ce qui est beau, ni le même discernement pour dé=
couvrir ce qui convient, elles n’obligent pas avec la même for=
ce que celles du juste, qui sont connues de tout le monde.
Enfin l’utile qui consiste à conserver & à augmenter notre
bonheur; nos devoirs nous présentent un bonheur à obtenir, notre
intérêt se trouve dans leur pratique. Mais on doit envisager
cet intérêt plutot comme un fruit & une suite de nos devoirs
que nous avons rempli, que comme un principe qui nous oblige
à les remplir.
Monsieur le Professeur D’Apples a trouvé que la maxime
que Mr De St Pierre pose pour fondamentale ne peut être appli=
quée que dans les cas ou les hommes sont considérés comme in=
dependans les uns des autres. Que nos devoirs découlent des diffé=
rentes rélations que nous soutenons dans la Société, comme celles
de Pere & d’enfant, de Prince et de sujet &c.
/p. 21/ Monsieur DeSt Germain a trouvé la matière très interes=
sante pour tous les hommes, mais particulierement pour les
Souverains qui ne connoissant pas l’origine de leurs devoirs
ne se croïent obligés à aucun, qui n’ont personne au dessus
d’eux pour les forcer à les remplir, & qui ne suivent d’autre
règle dans leur conduite que leur fantaisie.
Ce qui fait voir l’excellence de la maxime de Mr De St
Pierre qu’il établit pour fondement de nos devoirs, c’est qu’el=
le a déjà été reconnue des Philosophes & des Sages du Paga=
nisme, et qu’elle se trouve aussi dans l’Evangile, mais per=
fectionnée.
Cependant on peut en abuser si on la prend au pié de la
lettre, & d’ailleurs on peut la rètorquer: pour prévenir cet abus
on l’énonce de cette manière, faites aux autres tout ce que
vous voudriez raisonnablement qu’ils fissent pour vous. Mais
ce terme raisonnablement pouvant être expliqué de diver=
ses manières n’éclaircit pas parfaitement cette Loi; une Loi
doit cependant être claire afinqu’on puisse la pratiquer.
Il ne faut donc pas l’envisager comme une Loi, mais seule=
ment comme un conseil, comme une maxime de prudence
qu’il est raisonnable de suivre. On peut encor la considerer
comme un motif qui nous porte à rendre aux autres des
soins & des offices par l’espérance qu’ils en agiront de mê=
me envers nous.
Monsieur l’Assesseur Seigneux a trouvé le principe
de Mr l’Abbé de St Pierre bon, mais il voudroit presenter
ces vérités dans un ordre différent, et voici comme il vou=
droit les ranger; il placeroit la maxime de prudence la pre=
mière, la convention ensuite, et enfin la Loi. Pour faire
sentir sa pensée, voici comment il a raisonné.
Supposons qu’un homme étant seul dans une Ile deserte
y voïe arriver un autre homme; d’abord il pouroit bien avoir
le desir de s’en rendre maitre, mais avant que de l’attaquer il
reflechira sans doute que cet étranger pourroit bien être
le plus fort, & qu’il pourroit en être accablé; la prudence,
dira cet homme, ne veut pas que je m’expose, elle veut
au contraire que je fasse connoitre à ce nouveau venu qu’il
/p. 22/ n’a rien à craindre de ma part; je sens que s’il est disposé comme moi
je le gagnerai par la douceur. Ces deux hommes ainsi unis vien=
dront à reflechir ensemble sur cette maxime, de ne pas faire à au=
trui ce que nous ne voudrions pas qu’on fit contre nous, 2 caractères biffure maxi=
me que la prudence leur a dictée à tous les deux séparément, ils
conviendront donc entr’eux de la suivre, ce qui la rendra une
convention, un traitté; et enfin si leur nombre vient à s’augmen=
ter, ils en feront une Loi, et ils s’obligeront à donner du secours
à celui qu’ils chargeront de la faire observer.
Cet ordre fait mieux voir l’origine de cette Loi, et en éta=
blit le fondement d’une manière claire dans notre intérêt.
Monsieur le Baron DeCaussade a dit que la maxime de
Mr DeSt Pierre étoit excellente pour les particuliers & pour les
Souverains. Que si chacun vouloit la consulter, on ne verroit
point regner d’injustice dans le monde, qu’au contraire on
se previendroit les uns les autres par de bons offices. Que si les Sou=
verains vouloient la suivre, leur gouvernement seroit doux, ils
rendroient à chacun la justice qui lui est due; ils préviendroient
par là les plaintes, les murmures et même les revoltes; mais de plus
en procurant le bonheur & l’avantage de chacun de leurs sujets
ils s’en feroient aimer, & ils les attacheroient à leur service inviola=
blement. Si les Sujets aussi suivoient cette maxime envers leurs Sou=
verains, on les verroit empressés à obéir; et cette correspondance
du Maitre & des Sujets feroit la solide felicité d’un Etat. Qu’au
reste cette regle de Mr De St Pierre ne devoit plus être envisagée
comme une simple maxime de prudence, un simple conseil, de=
puis que Jesus Christ l’avoit recommandée à ses Disciples, qu’il
l’avoit appellée du nom de Loi, & qu’elle en avoit aussi tous les
caractères.
Après que chacun a cessé de parler, Monsieur le Comte à
proposé cette question pour la Societé suivante. Des avanta=
ges que la Religion procure à un homme qui en
suit les préceptes. Comme chacun avoit pris cette question
d’une manière plus générale dans la Société précédente, Monsieur
le Comte a cru devoir la remettre sur le tapis, parce qu’elle est très
interessante & parce qu’on n’en avoit parlé qu’en passant, chacun
s’étant étendu sur les avantages que la Religion procure à la Societé.