Transcription

Société du comte de la Lippe, « Assemblée XLIII. Lecture de la sixième dissertation de Schmauss sur l'obligation des conventions », in Extrait des conférences de la Société de Monsieur le comte de la Lippe, Lausanne, 07 mars 1744, vol. 2, p. 131-135

XLIII Assemblée

Du 7e Mars 1744. Présens Messieurs DeBochat
Lieutenant Ballival, Polier Professeur, Seigneux, Boursier, DeChe=
seaux Conseiller, DuLignon, D’Apples Professeur.

Messieurs, Dans votre Conférence de Samedi dernierDiscours de Monsieur le Comte.
ou vous avez parlé de la Compassion, vous m’avez si bien montré l’u=
tilité de ce sentiment, & son influence sur le bonheur de la Société,
que je me fais un grand plaisir de me rapeller ce que vous m’avez dit
sur un sujet si intéressant.

à Mr le Boursier Seigneux.Monsieur le Boursier dans le Discours que vous avez eu la bon=
té de nous lire vous avez prouvé ces quatre Propositions.

1° Que la Compassion est universelle et gravée dans le cœur de
tous les Hommes.

2° Que le sentiment de la Compassion n’est pas une foiblesse.

3° Que ce sentiment a Dieu pour Auteur.

Enfin qu’il ne faut pas étouffer ce sentiment, mais le cultiver et
en suivre les mouvemens.

De là vous avez tiré quelques conséquences, 1° Que cette com=
passion /p. 132/ que nous avons pour les maux d’autrui est une preuve
de la bienveuillance universelle que Dieu a mis au coeur de l’hom=
me pour ses semblables.

2° Que dans le degré de sensibilité que nous avons pour les
malheurs d’autrui, on peut distinguer les ames qui ont plus de vertu
et de générosité.

3° Que dans ce sentiment de la Compassion on voit briller d’une
manière bien forte le soin que la Providence prend des Hommes, puis=
qu’elle a mis dans le cœur de chaque Individu un sentiment très
vif qui le porte à soulager les misères des autres.

Enfin que ce sentiment qui nous porte à faire attention aux
maux d’autrui, nous engage à réfléchir sur notre foiblesse, et sur
notre fragilité, ce qui est un excellent motif pour nous détourner
de l’orgueuil, et pour nous porter à la Vertu.

Vous m’avez montré que le sentiment de la Compassion quià Mr le Professeur Polier.
est répandu dans le cœur de tous les Hommes, est une grace que
nous avons à rendre à Dieu, puisque c’est pour nous un secours
puissant à la vertu, à la charité, à la bénéficence.

L’exemple que vous avez cité d’un homme qui se jetta dansà Mr le Baron DeCaussade.
le Rhone pour sauver un jeune Garçon qui se noioit, prouve la
force du sentiment de la Compassion, et montre en même tems
son utilité, puisque sans ce sentiment ce jeune homme seroit péri.

à Mr le Professeur D’Apples.Vous m’avez dit que quoique la Compassion soit un pur mouve=
ment méchanique, cependant il est très utile pour la Société, &
qu’il produira de grands avantages pour le bien public, pour=
vu qu’il soit dirigé par la Raison, et qu’en s’y livrant on ne
néglige pas d’autres devoirs essentiels.

Vous m’avez bien fait comprendre que la Compassion étantà Mr le Lieutenant Ballival DeBochat.
un sentiment machinal, il faut le régler par la Raison; que
pour cela il faut s’instruire à fond des Devoirs que la Justice
exige; de ce que nous devons aux autres hommes par bienseance;
et de ce que nous nous devons à nous mêmes, afinque la Com=
passion ne nous porte pas à manquer à aucun de ces Devoirs.

Vous m’avez dit que la Compassion doit être cultivée avecà Mr le Conseiller De St Germain.
soin, sur tout chez les Grands qui n’y sont pas fort sensibles pour
l’ordinaire, parce que chez eux la Pitié aura de grandes influences
pour le bonheur de la Société.

Vous m’avez fait remarquer qu’un des effets les plus utiles de laà Mr le Bourguemaistre Seigneux.
Compassion chez un Prince, c’est de le rendre attentif à la conduite
de ceux qui gouvernent sous lui, pour les empécher d’opprimer les Peuples.

/p. 133/ J’aurai soin, Messieurs, d’augmenter chez moi ce sentiment de
la Compassion, qui est si beau, et si digne de Dieu qui nous l’a inspi=
ré, en recherchant les occasions ou je pourrai m’instruire des maux
auxquels les Hommes sont sujets, et je tacherai de faire que la com=
passion pour un malheureux ne me porte jamais à oublier ce que
je dois aux autres Hommes.

Après ce Discours on a lu la VIe et derniere Dissertation de MrVIe Dissertation de Mr Schmauss, De l’obligation des Conventions, sujet de la Conférence.
Schmauss, qui traite des Conventions, et de la force qu’elles ont d’obli=
ger ceux qui les font, et voici ce qu’on a pensé sur ce sujet.

Monsieur le Conseiller DeCheseaux a dit que les ConventionsSentiment de Mr le Conseiller DeCheseaux.
n’engagent à les tenir qu’au cas que quelcun souffre de ce qu’on
manque, ou au cas qu’un des Contractans ait déjà commencé à
les remplir. Mais je parle, a-t-il ajouté, des Conventions faites hors
de toutes Société et avant qu’il y eut aucune Loi.

Je suis dans ces idées, a dit Monsieur le Professeur Polier,Sentiment de Mr le Professeur Polier.
mais j’y ajouterai qu’on ne doit pas faire attention à ce qui est
utile quand il s’agit de faire des conventions ou de les tenir,
il faut de plus considérer ce que demande le bien de la Société, et
les régles du juste et de l’injuste. Ces deux considérations doi=
vent intervenir dans nos Conventions, soit pour les faire, soit pour
les exécuter, autant que la régle de l’utile.

Il faut faire attention, a dit Monsieur le Professeur D’Apples,Sentiment de Mr le Professeur D’Apples.
pour que les Conventions soient obligatoires, que les Personnes
qui les contractent soient libres, que leur consentement soit vo=
lontaire, et qu’il n’ait point été gèné. Cela rend une Convention
solide. Sans faire attention au dommage qui peut reve d’u=
ne Convention, le consentement donné selon les régles ci dessus, et
le sentiment de l’équité doit rendre la convention valable, si un
des deux Contractans veut la tenir. Dans l’état civil l’intérêt
de la Société demande aussi qu’on soutienne la foi des Traités
indépendamment de l’intérêt que chaque Particulier peut y
trouver.

Cette matière de l’origine des Conventions, a dit Monsieur leSentiment de Mr le Lieutenant Ballival DeBochat.
Lieutenant Ballival DeBochat, demande beaucoup de précision.
Les Auteurs que j’ai vu n’ont rien de bon là dessus, ils n’ont pas re=
monté assez haut, par là ils n’ont pas fait sentir, comme il faut
l’obligation que les Conventions imposent.

Elle se trouve cette obligation dans l’usage de la Parole, et
dans le Droit que donne la manifestation de la volonté pour obli=
ger. Cet usage de la Parole nous a été donné pour que les Hom=
mes /p. 134/ découvrent ce qu’on a dans l’Ame, et pour qu’ils puis=
sent compter sur les sentimens qu’on leur manifestera; il étoit
nécessaire à l’Homme de connoitre et de s’assurer sur les senti=
mens d’autrui, parcequ’il ne peut pas se passer du secours des au=
tres hommes.

Je dis que toute Convention n’a aucune force si on la consi=
dère seulement comme une simple Proposition. Qu’est-ce donc
qui lui donne la force nécessaire? Sera-ce les Loix civiles? il est
vrai qu’elles y ont ajouté une force pour obliger les contractans.
Mais avant toute Société il falloit que les Conventions eussent
déjà la force d’obliger; car pour se former en Société, il a fallu
en convenir, et si cette prémière Convention n’avoit aucune for=
ce, la Société qui est fondée sur cette Convention là seroit nulle.

La Société ne sauroit subsister à moins que chacun ne puis=
se compter sur la parole d’un autre. Cela étant je dis que la ma=
nifestation de ma volonté par la parole m’impose l’obligation d’exé=
cuter ce que j’ai prononcé, et donne Droit à celui à qui j’ai ma=
nifesté ma Volonté de l’exiger de moi. Les Hommes doivent pen=
ser qu’en manifestant ce qu’ils pensent, on doit croire qu’ils pen=
sent ainsi. Or quand je m’empare le prémier d’un bien, la décla=
ration que je fais de la volonté ou je suis de le posséder, me
donne un droit d’exclure tout autre de la possession de ce bien,
mais si la déclaration de ma volonté me donne droit sur une
chose pour me l’approprier, la déclaration de ma volonté par
laquelle je témoigne que je veux l’abandonner doit avoir la
même force, et donner aussi le même droit.

La déclaration de la Volonté doit avoir plus de force encore,
dans les Conventions, 1° Parce qu’elles regardent des choses néces=
saires, et d’un besoin pressant. 2° Parce que le but des contrac=
tans est de s’aquerir un droit, qui donne à l’un le pouvoir
de forcer l’autre à lui accorder ce sur quoi ils ont contracté.

Le bien de la Société, non seulement de la Société civile
mais de la Société universelle du Genre humain demande qu’on
puisse compter sur la manifestation de la Volonté; lors qu’on a
manifesté par quelque signe connu et en usage qu’on étoit
résolu de la tenir, et qu’on transportoit à un autre le droit
de nous obliger. Il faut donc convenir que le but de l’usage
de la Parole, et la manifestation que l’on fait de sa Volonté
donne une force obligatoire aux Conventions.

Ici on peut montrer l’usage de la distinction que Grotius fait
/p. 135/ des trois degrés de Consentement. Le 1er n’est qu’un velleïté, un
simple désir de s’engager à faire telle ou telle chose. Le second, c’est
cette volonté exprimée, mais sans donner à un autre aucun Droit
sur nous; et le dernier est celui dans lequel nous transportons sur
un autre ce droit de nous obliger, et alors ce dernier est tout à fait
obligatoire.

Monsieur le Boursier Seigneux croit que le Systhème de MrSentiment de Mr le Boursier Seigneux.
Schmauss sur l’utilité particulière qu’il établit pour règle de la vali=
dité des Conventions peut se raporter à l’utilité générale. S’il impor=
te à la Société que les Conventions soient observées, il n’est pas
moins important aux Particuliers.

Les différentes espèces de Consentement sont utiles à connoitre
aux Juges, aux Avocats & aux Parties, aux prémiers pour savoir
comment ils doivent décider les cas qui se présentent, et aux Par=
ties pour se porter d’elles mêmes à remplir les engagemens ou elles
sont entrées, et pour n’exiger rien de trop les uns des autres.

Dans les Conventions du 3e degré, l’obligation doit être cher=
chée dans l’usage de la Parole. La volonté manifestée par la
Parole dans ce cas, doit avoir une force obligatoire; car ou en se=
roient les Particuliers si elle ne l’avoit pas. Cette obligation de=
vient plus forte lorsque les engagemens sont réciproques. Mais
devant Dieu et dans la Conscience, il n’y a pas moins d’obligation
dans les prémiers, et c’est là ou on peut reconnoitre la délicatesse
d’un Homme, lorsque ensuite d’un pareil engagement il le rem=
plit. Les Loix civiles ont ajouté de la force dans les Conventi=
ons du 3e degré; mais devant Dieu on ne pourroit pas se justi=
fier d’avoir abusé de la Parole, la solennité des Loix Civiles n’y
ajoute point de force qui intéresse la Conscience, mais seulement
la crainte d’une peine.

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Citer comme
Société du comte de la Lippe, « Assemblée XLIII. Lecture de la sixième dissertation de Schmauss sur l'obligation des conventions », in Extrait des conférences de la Société de Monsieur le comte de la Lippe, Lausanne, 07 mars 1744, vol. 2, p. 131-135, cote BCUL 2S 1386/2. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/485/, version du 24.06.2013.
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