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Lettre à Benjamin de Chandieu Villars, Le Bignon, 15 août 1748
du buignon près nemours ce 15 aoust 1748
je suis sûr Monsieur que courant au bas de la lettre vous
aurès aussitost la bontè de vous souvenir de moy, mais que
revenant ensuitte aux propos en icelle contenus vous serès
fort surpris de voir ce qu'ils tiennent en substance et que
vous dirès a mon sujet comme autrefois le bon homme optat
ephippia bos piger, optat arare caballus. cest donc d'un fait
d'agriculture que j'ay l'honneur de vous entretenir pour la pre=
mière ou la seconde fois que j'ay 1 mot biffure celuy de vous ècrire, mais
souvenès vous s'il vous plait de ce voyage citè dans esope et
la fontaine ou mercure venoit pour 1 mot biffure partager un brin
d'herbe 1 mot biffure a des fourmis; vous voila donc etably mercure
et ce n'est point de la guerre d'èlèphantide avec Rhinocère que
j'ay avous entretenir, mais d'un trait incivil d'un vacher suisse
adressant a moy. vous scavès Monsieur la prèdilection que je me
fais honneur d'avoir pour cette nation, toute ma vie je me ra=
pelleray avec douceur la façon dont j'ay èté acceuilly dans ce
<1v> paÿs la, suporté malsain de corps et très informe d'esprit
mais les bontès qu'on y a eues pour moy ne font rien ou pas
grand chose a l'histoire de mes vaches; je demanday a saconay
de me procurer un suisse pour présider a un 1 mot biffure ètablis=
sement cornu que je voulois faire icy, il me manda que je
trouverois mon fait dans le règiment des gardes, on m'en
envoya 2 caractères biffure un par excellence, mais de ceux qui ont fait
dire au cal bentivoglio l'alpi son per gli suizzeri, e gli suizz=
eri all'incontro per l'alpi, homme vaste de stature, pesant
de raisons, mais riant par nature ou pour mieux dire serein
homme ayant la bonne foy peinte sur le visage et dans les
gestes et accents, il est du canton de zuitz, servoit dans la
colonelle gènèrale et son nom de guerre ètoit indrebitz; mon
homme toujours se disant fort content personnellement, se
plaignoit fort que ses vaches n'avoient pas une nourriture
congrue, vu le paÿs ou il ètoit né, averty de cela je luy di=
sois souvent que j'etois content, que pourvu que mes
vaches fussent saines et en bon ètat, c'etoit tout ce qu'il
me falloit; il y a quelques jours que soux un autre pré=
texte <2r> il me demanda le montant de ce que je luy devois
et ce matin il s'en est allè emportant tout ce que j'avois
de confiance en gens de cet étage et me laissant vint vaches
sur les bras comme disoit la femme du médecin malgré luy
et que personne ne scait mème traire; je pourrois de mème
donner a fort bon marché un grand chaudron contenant 80
pintes qu'il m'a fait acheter pour faire des fromages de gr=
uyère, débris infortunès, ainsy les matèriaux de la tour
de babel demeurérent èpars quand la main estdu toutpuissant
eut dispersé les architectes; j'ay pensé alors pour lexemple
et scachant qu'il ètoit retourné a paris ècrire a quelqu'un ce en
ce paÿs la qui de par Me police eut fait faire quelques jours
de pènitence a mon architecte, mais j'ay pensé qu'il valoit mieux
s'adresser a ceux de sa nation qui luy ont commandé et seront tout
aussy a portèe de luy remontrer que cest mettre la nation en
mauvaise odeur que de faire de semblables trous a la lune et a
dire vray, je crois que quelques jours de prison ne luy sieroient
pas mal. au milieu de ma tribulation vous vous ètes offert
a moy, mon chagrin a eté dissipé, j'ay saisy l'occasion aux
cheveux pour me rapeler dans l'honneur de votre souvenir
my voila et tout vacher que je vous dois paroitre je n'en suis
pas moins un de vos plus zélès serviteurs Monsieur je vous assure
<2r> cest donc un fort bon prétexte pour vous prier de me donner de
vos nouvelles, et si je ne craignois de vous importuner d'y pour y joindre
encor une importunité a scavoir de vous conjurer de vouloir
bien enseigner, a mon concierge de paris porteur de cette lettre
un homme prèt a avoir son congé, et plus propre a avoir te=
nue et a ne se pas dèsespèrer en voyant des vaches avoir peu
de lait pourvu que le maitre soit content. pardon mille fois
Monsieur de la liberté que je prends et si vous me jugés digne
de discourir d'autre chose que de vaches faites moy l'honneur
de venir passer quelques jours dans cette agrèable solitude ou
du moins de mécrire quelquefois. jay l'honneur d'ètre Monsieur
votre très humble et très obeissant serviteur
Mirabeau