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Lettre à Frédéric de Sacconay, Versailles, 29 mars 1738
de versailles ce 29e mars 1738
ne vous re je trouve enfin icy mon cher frédéric cette
lettre tant dèsirée, ne vous reprochès point les excuses
que vous me fites dans votre derniere lettre, quoyque
jaye eu réponce a celle, a laquelle je me plaignois de
n'en avoir pas eu, elle a ète asses retardée pour donner
matière a vos justifications
je conte que vous réussirés dans l'ouvrage que vous suivès
et qui plus est que vous serés heureux, car quelqu'un
qui ne veut sengager qu'avec connoissance de cause, veut
sans doute tenir son engagement quand il en sera lié
quand a la réussite, je ne vois personne qui puisse
vous rien disputer dans vos quartiers, et vous
gagnès a etre connu, ainsi je n'en doute pas un moment
quand a moy mon cher je suis encore dans mon temps
d'indécision, mon affaire de la lampedouse est toute
digèrée et acceptée dans ce paÿs cy sans que jaye paru
mais cest a la cour de naples qu'est la principale dif=
ficulté, 2 caractères biffure tant parce que cest létat le plus voisin que
parce qu'il y a un prince sicilien qui en porte le titre
cette difficulté levée, si elle le peut etre, et l'on nègotie
actuellement pour moy a cette cour, mon plan dailleurs
est tout digéré, et je vais vous le détailler autant qu'il
<1v> est possible dans une lettre, celluy qui conduit toute mon
entreprise, est le lieutenant de l'amirauté de toute la
médittéranee, homme habite a marseille, fort riche
d'un esprit vif et studieux, sa charge luy 1 caractère biffure donne une
authoritè sur touts les gens de mer de ces quartiers, et
des connoissances qui ne scauroient que m'etre tres avant=
ageuses, cest l'homme de la femme duquel je t'ay parlé
je suis en commerce de lettres avec luy, cest luy qui me
proposa le projet de la morée, je luy écrivis sur le
mien, et enfin après bien des difficultès, il la aprouvé
et cest chargé de le conduire, jay erré une felouque et
une tartane, qui ne me couteront rien en cas que je veuille
acheve laisser la la chose, et qui ne me reviendront pas
a plus de cinq mille cinq cent livres les deux toute armée
en cas que j'achève le marché, jay un capitaine marchand
homme intrèpide et qui sest souvent fait lacher par
les algèriens, que m'on promis homme a arrèté a quarante
francs par mois quand on s'en serviroit, et a qui jen
donne douze en attendant, cest un des ces hommes surs
et qui luy a dit qu'avec quatre pieces de canon a terre
et quatre sur son bord il se moqueroit de touts les
barbaresques du monde, jay dailleurs indèpendamment
de ceux que mon homme me fournira une quinzaine
d'hommes en france gens a me suivre en enfer gens
de service, et honnétes gens, mon frère a des amis a
malte et jy en ay un escentiel dans le conseill cette
isle regorge d'habitans et nest qu'a trente lieues de
la lampedouse, la il ny en a presque point qui ayent
des terres, et des que jen offriray avec sureté il en viendra
de toute sorte d'etats, je commenceray par me fermer
faire des magasins, un fanal, etablir des calfateurs
<2r> et autres choses nécessaires a la navigation, ce qui est
placer son argent a cent pour un, lon cultivera les
terres, et je fourniray dans le commencement aux
habitans les choses qui leur seront nécessaires soit pour
la vie soit pour le travail, soit en payant soit quitte
a rendre, tout cela nira pas si vite que je vous lexplique
la, mais si la cour de naples ne me fait pas hoc, il
ira surement, sinon je me rejetteray sur le projet de
ste lucie, il ne me sera pas malaisé de faire voir a
la cour que cela est d'un très grand avantage a la france
jay sur cela des mémoires manuscrits que personne n'a
qu'un provincial et moy, mais jaimeray mieux la
lampèdouse parceque cest a notre portée et que cela
me donneroit un rang d'ailleurs ma grande idée est
de faire parler de moy et cela en vaudroit la peine
quand a retrouver les sommes qu'on y auroit employèes
outre qu'elles ne seroient pas si exorbitantes quelles
le paroissent au coup doeil, cest que si cela reussissoit
dans dix ans il rendroit cinquante mille ecus de
rante, et puis, n'etre qu'au dessous des dieux
le marquis de mirabeau risquer son bien et sa vie au
service de son maitre, rien ne seroit plus sot a luy il a de
beaux exemples devant les yeux, mais pour devenir
souverain enfin pour se faire un nom et pour son
propre avantage, il prendroit a la moustache touts
ces prètendus maitres, tu ne le connois pas, il est beau
mème d'en tomber, cepandant je ne membarqueray
a rien que mes flutes ne soyent bien arrangées
lengagement de manon a réveillé notre commerce
mais cest la vertu mème que cette femme la, nous nous
ècrivons en amitié, elle ne soufriroit pas de mes lettres
<2v> autrement, mon aimable amy me mandoit elle par sa
derniére lettre, rien nadoucit votre vivacité, vous vous
perdrès si vous ny prenes garde, vous fuyés lamour de
peur qu'il ne vous dèrange dans vos projets, et moy je
vous en souhaiterois pour modèrer une ardeur qui
auroit besoin d'etre conduite, que voulès vous devenir un
cher folard, ou un roy theodore, prenés une femme
aimable et cherches votre bonheur en vous mème, ou
si vous ècoutès l'ambition ayes en une comme les autres
hommes, et laissès les courses aux avanturiers, cest parler
en femme mais en femme aimable, jay voulu t'en copier
ce trait, qui comme tu pense bien nest pm'a pas converty
car ce raisonnement est comme les tiens plein de bon sens
mais trop eloigné, quoy quil en soit je fuis lamour de peur
qu'il ne m'enerve je connois trop mon coeur
mr le cardinal va mieux et il y a eu dans sa maladie
quelque chose de rare cest que le genèral le regretoit
le roy va touts les jours chex luy et y demeure enfermé
une heure, cepandant rien ne sachéve et je crois que la
téte leur tourne a touts
je suis a la cour précisément comme toy a lausa berne
ne tenant a rien ce sont la toujours les sacrifiés
cepandant quelqu'un qui est béte et scait se donner du
mouvement reussit aisèment dans ce paÿs cy car en vèrité
cest moins que rien
jay vu d'ovet icy adieu mon cher frédéric jaurois
cepandant pour lintèrieur grand besoin de causer avec
toy, tu me trouverois toujours le mème et bien diffèrent
adieu assure de mes respects qui de raison
adieu conte qu'un jour ton amy jouera son role ou le
diable luy tordra le cou en chemin
j'avois demandé d'etre un des aides de camp du duc
de toscane cette année, ces messieurs dètestent les françois
lon me la refusé lon ma seulement offert des lettres
de Madame royalle et de la princesse charlotte pour luy
mais que je ne pourrois etre que volontaire, je ne me
suis pas soucié d'aller moy tout seul faire un camp
volant