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« Assemblée XXIV. Analyse de la dissertation de l'abbé de Saint-Pierre sur l’avarice et l’économie », in Extrait des conférences de la Société de Monsieur le comte de la Lippe, Lausanne, 04 mai 1743, vol. 1, p. 263-270
XXIV Assemblée du 4e May
1743. Présens Messieurs DeBochat Lieutenant Ballival,
Seigneux Bourguemaistre, Polier Recteur, Seigneux Boursier, Seigneux
Assesseur, D’Apples Professeur, DeSt Germain Conseiller, Baron De Caus=
sade, DuLignon, De Cheseaux fils.
Messieurs. Votre absence Monsieur le Recteur, nous aDiscours de Monsieur le Comte.
procuré une Brochure de Monsieur le Boursier sur l’utilité de la
Religion par rapport au Prince, dont je vais tacher de faire le
précis.
La peine que vous avez pris de travailler sur cette matière,à Mr le Boursier Seigneux.
me fait connoitre ce que vous pensez de son importance, et ce que
j’en dois penser moi même.
Vous m’avez appris que la Religion qui est nécessaire à cha=
que homme, l’est encor davantage à un Prince, parcequ’il a plus de
Devoirs à remplir, et qu’il est exposé à plus de Tentations; qu’il ne
sauroit s’aquitter des uns et éviter les autres, s’il n’est excité par
de puissans motifs, tels que ceux que la Religion fournit; et s’il
n’est fortifié par des secours extraordinaires qu’on ne trouve que
dans la Religion.
C’est elle qui apprend au Prince qu’il est homme comme ses
Sujets; que Dieu est leur Pére commun, qu’il doit par conséquent
/p. 264/ travailler de toutes ses forces à les rendre heureux; qu’il est obligé
de faire regner la Religion source du vrai bonheur; et que pour l’é=
tablir il n’a point de moïen plus promt et plus sur, que de faire
voir par son exemple qu’il y est soumis.
C’est la Religion qui apprend au Prince, que toutes les Gran=
deurs et tout la Puissance dont il jouït, finira par sa mort, et que
quand il paroitra devant le Trône de Dieu, rien ne l’y suivra,
que le bon ou le mauvais usage qu’il aura fait de l’autorité, et
des biens que Dieu lui avoit confiés, et que cet usage décidera
de son bonheur ou de son malheur éternel.
Vous m’avez encor dit, que le titre qu’un Prince devoit re=
chercher avec le plus de soin, et dont il devoit se faire le plus
d’honneur, c’étoit celui de Prince bienfaisant, de Père de la Patrie.
Vous m’avez appris que la Religion est absolumenta Mr DeCheseaux le fils.
nécessaire au Prince, parcequ’elle lui montre ses Devoirs, qu’elle
lui apprend qu’il a un Maitre, auquel il doit être soumis, et
que, dans les disgraces et les maladies auxquelles il est expo=
sé, il n’y a que la Religion qui lui fournisse des consolations
pour les supporter.
Ce qui montre, m’avez-vous dit, que le Prince doit êtrea Mr le Professeur D’Apples.
soumis à la Religion, c’est qu’elle vient de Dieu qui est le
Maitre absolu de tous les hommes. Mais si le Prince est obli=
gé d’être soumis à Dieu par devoir, il doit encor y être enga=
gé par son propre avantage; parcequ’en pratiquant les De=
voirs que la Religion prescrit, ses Sujets lui seront affectionnés,
et que cet amour des Peuples pour lui sera le plus fort appui
de sa Puissance.
a Mr l’Assesseur Seigneux.Vous m’avez dit que la Religion recommande particulie=
rement ces deux Devoirs, d’être fidelle à ses engagemens et
d’être humble. Par le prémier le Prince se rendra respectable à
ses Sujets; et s’il est humble, et qu’il connoisse ses foiblesses, il
écoutera les conseils qu’on lui donnera, il choisira de bons Minis=
tres, il évitera l’orgueuil, et la présomption, et par là il rendra
ses Sujets heureux. Un Prince religieux observera donc ces deux
Devoirs avec soin.
La Grandeur dont les Princes sont environnés, m’avez vousa Mr le Baron De Caussade.
dit, pourroit leur faire croire qu’ils sont d’une espèce différente des
autres hommes, c’est au moins ce que pensoit l’Empereur Caligu=
la. Mais la Religion leur apprend qu’ils sont de la même masse
/p. 265/ que les autres hommes, et que par conséquent ils doivent les gou=
verner avec bonté.
Quand la Religion ne feroit que modérer les passions, elleà Mr le Bourguemaistre Seigneux.
seroit utile au Prince et à ses Sujets; car les passions conduisent
toujours au désordre. Si l’on considère encor, m’avez vous dit, les
secours particuliers que Dieu a promis à ceux qui seroient reli=
gieux, on sentira fortement l’utilité de la Religion, sur tout
pour les Princes, qui aïant plus de Devoirs à remplir, ont aussi
plus besoin de secours.
Monsieur le Recteur Polier n’aiant pas encor pu finir son
Discours il nous a apporté le Tome XIII des Ouvrajes de Mora=
le et de Politique de Mr l’Abbé de St Pierre, et dans les Pensées
Analyse de la Dissertation de Mr De St Pierre sur l’avarice et l’oeconomie.de Morale & de Politique Article I page 251, il a lu la 1e Pro=
position qui est celle-ci. L’avarice est un gout qui n’est
blamable qu’à proporsion qu’il est injuste; Et l’Economie
est une vertu très utile pour les Particuliers et pour
l’Etat. Et voici ce que l’Auteur dit dans l’Eclercissement qu’il
y a joint.
Il compare l’homme prudent, le bienfaisant et l’avare; le
prudent desire un plus grand revenu pour éviter plusieurs in=
commodités; le bienfaisant le desire pour procurer aux autres plus
d’agrémens & de plaisirs, et pour s’en procurer aussi à lui même.
L’avare le souhaitte aussi, non pour jouïr réellement de plus de
commodités, mais pour en jouïr quand il voudra, et pour se de=
livrer de la crainte de manquer du nécessaire.
Comme l’avare ne se propose que d’être en pouvoir de jouïr
il garde son argent, ou il le met en intérêt, au lieu que l’hom=
me prudent et le bienfaisant le dépensent à propos. L’avare
donc ne fait aucun bien à personne, il ne songe qu’à satisfaire
son imagination qui est contente de savoir qu’elle en jouïra quand
elle voudra.
Mais si un avare s’en tient à renfermer son argent, à ne
faire aucune dépense pour soi, ni aucun plaisir aux autres, il
ne sera pas injuste d’une manière formelle, mais il ne sera pas
bienfaisant, et celui qui n’est pas bienfaisant ne sauroit être
un grand Homme; tôt ou tard il donnera tout son bien à ses
héritiers, mais il n’a jamais eu en vue de leur faire du plaisir,
ainsi à cet égard même il n’est pas bienfaisant.
Le prodigue exerce sa libéralité aux dépens d’autrui; ainsi
/p. 266/ il est malhabile et injuste. Il faudroit acoutumer les jeunes gens
à être libéraux, à dépenser leur argent, mais seulement à propos,
et à être oeconomes, à connoitre le prix des choses dont ils ont be=
soin pour l’usage de la vie, et à savoir retrancher quelque chose de
leur dépense ordinaire, soit pour les accidens imprévus qui peuvent
leur arriver, soit pour en faire des libéralités. En general il est
de la bonne Politique de recommander à tous les Particuliers
l’oeconomie, et de louer ceux qui épargnent moins que leur reve=
nu: parce que l’Etat a dans les besoins un Trésor tout prét dans
leurs épargnes. Les Hollandois n’auroient jamais pu fournir à
la dépense de la derniere guerre pour maintenir leur liberté, si
les Particuliers Hollandois n’avoient pas presque tous pratiqué
une grande Oeconomie.
Au reste cette Piece de Mr De St Pierre est peut être une de cel=
les qu’il a le moins travaillées, quoiqu’elle soit toute remplie d’ex=
cellentes réflexions, cependant il n’y a pas de liaison entr’elles, et il pa=
roit abandonner la Question qu’il s’est proposé d’établir. Voici ce
me semble quel a été son but, et à quoi devoient se réduire ses
réflexions.
C’est que l’avarice considérée non pas par rapport à celui
qui est entaché de ce vice, mais par rapport à la Société, n’est
pas un vice qui lui soit extrémement pernicieuse, pourvuqu’elle
ne soit pas accompagnée d’injustice; qu’elle ne prive que pendant
peu de tems la Société de quelques avantages, que l’Avare ren=
ferme dans ses trésors; mais aussi que ces mêmes trésors sont la
ressource de l’Etat dans des besoins pressans. Que l’Oeconome amasse
aussi des biens dont l’Etat peut se servir dans quelque nécessité,
mais qu’il procure encor dans le présent bien des douceurs à ses Conci=
toïens; qu’ainsi l’Oeconomie est une vertu très utile dans un Etat
tandis que la Prodigalité en est la ruïne, puisqu’elle épuise tous
les Particuliers, et qu’elle entraine immanquablement à son imi=
tation grand nombre de ceux qui en sont les témoins, et qu’enfin
un Prodigue ne se contente pas de dépenser son bien, mais qu’il
dépense aussi celui de tous ceux qui veulent lui en confier. Que
par conséquent il est de la bonne Politique d’encourager l’Oecono=
mie, la bienfaisance et la liberalité, comme aussi d’empécher
l’Avarice de naitre en en détournant les enfans; non que l’Avarice
cause de grands maux à l’Etat, mais parcequ’elle apetisse l’esprit, elle
le resserre et l’empéche par là d’être utile à la Société. L’Auteur n’a
/p. 267/ donc point parlé de l’Avarice en Moraliste, mais en Politique, et il
n’a pas considéré ce que ce Vice a de criminel, et de contraire aux
Loix de Dieu, mais seulement son influence sur le bonheur de la
Société. Voici les réflexions qu’on a fait là dessus.
Sentiment de Mr le Boursier Seigneux.On peut faire sentir le défaut de l’avarice par plusieurs con=
sidérations. 1° L’Avare n’use pas des biens selon les vues de Dieu,
car le Créateur en nous donnant des biens a voulu pourvoir à
nos besoins & à ceux des autres: le superflu de l’homme riche est
destiné à soulager les disgraces des autres hommes. L’Avare est
donc injuste envers Dieu et envers le prochain; et il sera plus cou=
pable à proportion de ce qu’il a plus de superflu et de la dureté
qu’il a.
Il est encor coupable envers soi même, parce qu’il se prive
du bonheur que la Bonté de Dieu lui avoit accordé. L’Avare,
il est vrai, est heureux dans son avarice: mais ce bonheur n’est
qu’imaginaire. On peut se priver des douceurs innocentes, sans être
coupable; mais ce n’est que lorsqu’on le fait par de bonnes raisons;
la différence des motifs établit le mérite ou le démérite des actions,
celui qui y renonce par macération, par pénitence, et pour rédui=
re son corps en servitude fait bien: mais l’Avare ne se les refuse
que par défiance pour Dieu.
Outre cela l’Avare nuit à sa réputation: Il rompt les liens
de la Société, et rend son commerce moins agréable, ou plutot
il n’entretient aucun commerce; il aime mieux ne point rece=
voir que d’être obligé de donner à son tour. L’Avare est peu Chré=
tien, il manque de charité, il ne prend point de part au malheurs
et aux miséres d’autrui, et il ne cherche point à les soulager.
Une maxime doit être claire, évidente, facile à retenir.Sentiment de Mr le Lieutenant Ballival DeBochat.
Celle ci n’est pas claire, elle confond l’avarice avec l’injustice. D’ail=
leurs ne définissant point l’avarice ne détermine pas assez le vice
qu’il veut condanner.
Quel est le légitime usage qu’on peut faire de ses biens?
Nous avons les mêmes régles par rapport aux biens de l’esprit
que par rapport aux biens du corps. Si l’Auteur eut expliqué
quel est cet usage légitime, il auroit fait connoitre exactement
l’Avarice. L’Avarice est ridicule, quand elle attache nos affections
à des choses qui n’en méritent point. On a dit qu’elle est injuste
quand elle prive les autres des soulagemens qu’ils pouvoient at=
tendre de nous. Mais on n’appelle pas proprement injustice une
/p. 268/ action, lorsqu’elle ne nous fait manquer qu’à la charité. Le pauvre
n’a pas un plein droit, un droit parfait d’exiger la charité: mais
quoiqu’on ne puisse pas donner le nom d’injuste à l’avarice, elle
n’en est pas moins criminelle envers Dieu: et la considération
des cas particuliers décide de la grandeur de la faute ou l’on
tombe.
Il seroit à propos de commencer par définir les Maximes deSentiment de Mr le Conseiller De Saint Germain.
Morale dont on veut parler, mais il est difficile d’en donner une dé=
finition exacte; chacun suivant ses préjugés ou les circonstances
où il se trouve se formant une idée plus ou moins étendue des
Vertus et des Vices. Ainsi un voluptueux et un nécessiteux définiront
bien différemment l’avarice. Il est nécessaire de definir quand on
veut éclairer l’esprit, mais les définitions refroidissent quand on veut
toucher le cœur.
La bienfaisance n’est qu’une partie de la justice, ainsi l’avarice
qui est opposée à la bienfaisance est injuste.
Sentiment de Mr le Professeur D’Apples.L’Auteur se propose de faire un parallelle de l’Avare, du Prodi=
gue et de l’Oeconome, ainsi il n’étoit pas aussi nécessaire de donner
des définitions exactes de ces trois choses, il suffisoit d’en comparer
les circonstances. Les définitions ne peuvent être du gout de tout le
monde; mais il faut regarder intrinsèquement la nature des choses.
Voici en gros une idée de l’Avarice; c’est l’attachement qu’on a pour
les biens qui va à nous les faire aimer pour eux mêmes et indépen=
damment de l’usage qu’on en peut faire.
Il y a de deux sortes d’avares. 1° Ceux qui serrent avec trop
de force ce qu’ils ont. 2° Les avares plus qualifiés. Les prémiers
sont incommodes, fous et mauvais membres de la Société; Les autres
sont les avares injustes qui usent de mauvais moïens pour augmen=
ter leurs richesses. C’est le plus haut degré du vice.
Il y a deux ordres de personnes qui ne tombent pas dans l’ava=
rice, ce sont ceux qui serrent leurs biens avec soin, parcequ’ils en ont
besoin pour l’éducation d’une famille, ou pour se mettre en état de
n’être pas accablés par quelques revers auxquels leur situation les
expose, et ceux qui se resserrent & qui se privent de certaines dou=
ceurs permises ou par pénitence, ou pour avoir dequoi se répandre
davantage en bienfaits.
L’Auteur dit que les Prodigues sont plus coupables que les ava=
res. Non; le prodigue ne fait tort qu’à lui même, au lieu que l’avare
fait tort à tous ceux qui ont besoin de son secours et à qui il le refuse.
/p. 269/ L’Oeconome est un membre utile et agréable dans la Société, il
fait usage de ses biens & pour lui et pour les autres.
Sentiment de Mr De Cheseaux le fils.Pour bien définir l’Avare, il faut faire les réflexions sui=
vantes. 1° Il faut considérer l’avare uniquement, et indépendam=
ment de tous ses autres défauts: l’Avare est celui qui amasse uni=
quement pour amasser. 2° Son plaisir ne réside que dans l’ima=
gination. 3° Il nait de la haute idée qu’il s’est fait de l’argent.
Les vieillards sont aisément avares.
On a examiné si l’avarice est plus nuisible à la Société que
la Prodigalité, et les sentimens ont été partagés: l’une et l’autre
sont très criminelles & très blamables; mais je pense cependant
que l’avarice est moins nuisible pour le présent, et qu’elle peut
dans certaines circonstances lui être utile par les secours qu’elle
peut donner à l’Etat dans des besoins pressans. C’est elle qui a
soutenu les Républiques de Hollande et de Carthage.
Le Prodigue est plus coupable que l’avare, parceque quandSentiment de Mr DuLignon.
il a épuisé son bien, qu’il n’a plus de ressources par lui même, il
a recours à des injustices. Si tout le Monde eût été prodigue à
Genève et en Hollande, ces Républiques n’auroient pas pu fournir
aux dépenses qu’elles ont été obligées de faire pour conserver leur
liberté.
Sentiment de Mr le Bourguemaistre Seigneux.L’avarice et la prodigalité sont deux qualités vicieuses, et con=
traires à la Société. Mais il ne faut pas charger ces deux vices a
d’autres défauts, p. e. de l’injustice pour les rendre plus odieux.
Dans la Société l’avarice est beaucoup moins nuisible que la pro=
digalité. Que l’avare ne fasse que se priver des douceurs dont il pour=
roit jouïr, et qu’il ne fasse point de libéralités, tout cela peut être sans
injustice; et malgré tous ces inconvéniens, il est moins nuisible à la
Société que celui qui prodigue son bien, parce que les trésors de l’a=
vare peuvent être une ressource pour l’Etat.
D’ailleurs il se trouvera peut être peu d’avares qui ne se lais=
sent toucher de compassion pour de certains cas fâcheux qui ont
besoin de secours, & qui ne leur en accorde; au lieu que le prodigue
ou enivré de ses plaisirs ne sera point sensïble au malheur d’au=
trui, il ignore ce que c’est que soufrance, & par conséquent ce que
c’est que compassion, ou s’il en est touché, il sera hors d’état d’y ap=
porter du remède. On dira que le prodigue repand son bien, qu’il le
fait cïrculer; qu’il anime les arts & les métiers; mais comme il ré=
pand sans discernement & pour ses débauches, cela ne fait aucun
/p. 270/ bien, au contraire il faut du mal, en ce qu’il anime ses compagnons
à faire les mêmes dépenses, et qu’il les entraine dans les mêmes dérè=
glemens par son exemple. Il seroit à souhaitter qu’on eut défini
l’avarice, mais c’est une chose difficile.
On ne peut définir l’avarice que par la considération des ca=
ractères de ce vice, et des ridicules dont il est chargé. Outre ce qu’on
a déja remarqué là dessus, ce vice a encor ce ridicule c’est qu’il est
prodigue. Un avare donnera dans un entreprise ou l’on peut beau=
coup gagner, mais ou il y a de grands risques de tout perdre, il
placera son argent plus vite au 6 pour 100, quoiqu’il risque de per=
dre son Capital, qu’au 4 pour 100, mais qui seroit assuré.
Sentiment de Mr le Baron De Caussade.Sans rien ajouter sur le but de l’Auteur qui a déja été ex=
pliqué, je dirai que les idées des hommes variant suivant leurs
passions & leurs habitudes il est très difficile de donner de l’avarice
une définition qui soit generalement approuvée. Quelcun aïant
blamé Aristippe d’avoir donné cinq ou six écus d’une perdrix, il
répondit en demandant à son Censeur combien elle valoit selon lui,
cinq ou six sols, dit-il; sachez, reprit Aristippe, que je n’estime pas
plus cinq ou six écus, que vous cinq ou six sols. Cette réponse prou=
ve bien qu’Aristippe ne pensoit pas sur la prodigalité et sur l’ava=
rice ce qu’en pensoit son Critique; mais elle prouve aussi que la
sensualité et en general le vice ne peut s’excuser que par de
misérables raisons.
L’avarice et la prodigalité sont deux très grands défauts.
J’ai connu un avare qui se refusoit toutes les douceurs de la vie, qui
ne fournissoit point aux dépenses nécessaires pour l’éducation de
sa famille, quoiqu’il fut très riche, et qui d’un autre coté faisoit
des dons extraordinaires aux pauvres. Il étoit donc injuste; car
c’est un devoir de pourvoir aux besoins de sa famille. Le prodi=
gue n’est pas moins injuste que l’avare, comme il seroit aisé de
le prouver.
Il est arrivé sur le sujet de l’avarice ce qui est arrivé sur lesSentiment de Mr le Recteur Polier.
autres défauts, on l’a étendu beaucoup plus loin qu’il ne falloit.
L’avarice c’est le desir d’entasser des richesses; l’avare ne fait at=
tention ni à la justice, ni à la charité, ni à la bienfeisance: il est tenté
d’emploïer de mauvais moïens: C’est ce qui fait que l’Ecriture dit que
l’avarice est la racine de tous maux.
Monsieur le Recteur Polier a promis de lire dans la huitaine
la continuation de son Discours sur l’abus des Sociétés.