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« Assemblée XX. Lecture de la dissertation de l'abbé de Saint-Pierre sur la béatitude après cette vie », in Extrait des conférences de la Société de Monsieur le comte de la Lippe, Lausanne, 06 avril 1743, vol. 1, p. 218-227
XX Assemblée
Du 6e Avril 1743. Présens Messieurs DeBochat
Lieutenant Ballival, Polier Recteur, Seigneux Boursier,
Seigneux Assesseur, D’Apples Professeur, DeCheseaux Con=
seiller, Baron DeCaussade.
Messieurs. Le Chapitre que vous lutes il y a huitDiscours de Monsieur le Comte.
jours, de l’Antimachiavel sur la Flatterie, joint à vos judici=
euses réflexions, m’a donné de justes idées de la flatterie et des
Flatteurs.
La distinction d’une louange modeste et permise d’avec laa Mr le Conseiller De St Germain.
flatterie est difficile; mais on ne les confondra plus dès qu’on se
/p. 219/ souviendra que l’une vante des choses de peu d’importance, des
qualités du corps, quelquefois même des défauts; au lieu que la
louange véritable ne relève que des qualités aquises.
Considérer qu’on loue pour l’ordinaire par intérêt, ou para Mr DeCheseaux le fils.
un esprit bas et servile; qu’on nous loue sur des choses mauvaises,
et que d’ailleurs nous méritons peu les éloges qu’on fait de nous;
ce sont là tout autant de moïens que vous m’avez indiqué pour
se garantir de la flatterie.
Vous m’avez montré, Messieurs, la flatterie sous une facea Mr le Lieutenant Ballival DeBochat, et à Mr le Professeur D’Apples.
hideuse et bien propre à revolter ceux à qui on l’addresse, et qui
contribuera à me la faire haïr. Vous m’avez dit, que c’est un com=
merce de mensonge, que c’est le barbouillage d’un homme qui
se moque de nous; parce qu’il se propose d’exagérer nos bonnes
qualités, et d’excuser nos défauts, ou de nous les cacher.
Le choix d’un ami sincère et éclairé seroit comme vousa Mr le Conseiller De Cheseaux et à Mr le Baron DeCaussade.
me l’avez bien fait comprendre, Messieurs, un moïen sur d’éloi=
gner les Flatteurs & la flatterie; ce choix ne me seroit pas dif=
ficile à faire étant toujours parmi vous. L’amitié que vous
me témoignez tous; les bons conseils que vous me donnez; les
principes que vous tachez d’imprimer dans mon cœur me persu=
aderont facilement de la vérité de vos sentimens.
a Mr le Recteur Polier.Se connoitre soi même, savoir déméler les mouvemens se=
crets de son cœur, ne pas ignorer ses devoirs; avec ces connois=
sances et la volonté de bien faire, ce seroit un sur moïen de
se garantir des flatteurs. C’est ce que vous m’avez bien détail
lé, Monsieur.
a Mr DuLignon.La coutume des Japonnois est bien raisonnable. Appa=
remment, Monsieur, que l’emploi de dire les défauts à son Prince
a été mal païé, puisque je ne sache aucune Cour en Europe qui
ait suivi cet exemple.
L’approbation des Hommes est légitime et nous devons laa Mr le Boursier Seigneux.
souhaitter, et faire tout ce qui dépend de nous pour l’aquérir.
Les préceptes de l’Evangile nous l’ordonnent. Autant que nous
devons rechercher cette approbation, autant devons nous avoir d’a=
version et de mépris pour la flatterie, l’adulation et pour les lou=
anges outrées. Voila, Monsieur, ce que vous avez taché de me
faire bien concevoir.
Monsieur le Recteur a lu, après ce Discours une Dissertation
de Mr de St Pierre sur la Beatitude après cette vie. Cette Pièce
/p. 220/ commence à la page IIe du XIII Tome des Ouvrajes de Morale
et de Politique de Mr l’Abbé de St Pierre Charles Irenée
Castel, de L’Academie Françoise à Rotterdam 1737 in 12°
et elle finit à la page 51e. Voici en abregé ce qu’elle contient.
L’Auteur a en vue de proposer les moïens les plus efficacesExtrait de la Dissertation de Mr De St Pierre qui a pour titre Observasions sur la beatitude après cette vie à Madame D. P.
pour arriver au Paradis par un chemin semé de fleurs. Avant que
de proposer ces moïens, il fait quelques suppostitions à la manière des Geomètres,
ou pour mieux exprimer sa pensée il rappelle certaines vérités
dont les Chrétiens conviennent, et qu’il a lui même établies dans
un autre ouvrage; Des 18 Suppositions qu’il fait, et qu’il déduit
avec beaucoup d’ordre et de netteté, je ne raporterai que les prin=
cipales, dou les autres découlent, et qui servent de fondement à ses
conséquences.
1. Qu’on est persuadé que l’esprit ne doit pas moins durer que
la matière. 2. Que l’esprit sera après la mort ou puni de ses injus=
tices ou recompensé de ses œuvres de bienfaisance faites pour plai=
re à l’Etre bienfaisant. 3. Que si les Hommes etoient très justes et
très bienfaisans, ils seroient en cette vie incomparablement plus heu=
reux qu’ils ne sont. 4. Qu’un moïen très efficace pour nous faire
pratiquer tous les jours avec plaisir la bienfaisance; cest de penser
souvent que la béatitude éternelle est destinée aux bienfaisans.
5. Qu’il y a deux moïens efficaces pour fortifier chez nous l’espérance
de cette béatitude. L’un de se représenter souvent durant la journée
les plaisirs du Paradis, et l’autre de se former des idées vives de ces grands
plaisirs, & de leur durée immense.
Cela étant on sentira chez soi un grand desir de les posseder, et
on sera porté très fortement à pratiquer des actes de bienfai=
sance: Ces actes de bienfaisance rendront notre vie présente plus
agréable pour les autres, par les avantages qu’ils retireront de
notre commerce; ils la rendront aussi plus agréable pour nous,
par le plaisir qu’ils procurent par eux mêmes, et par l’espérance
de la béatitude éternelle qu’ils nourriront au dedans de nous.
Personne ne doute que l’espérance d’un bien lorsqu’elle est
continuelle ne soit un plaisir continuel, et ce plaisir augmente
à proportion de la grandeur du bien qu’on espère, et de la certi=
tude qu’on a de l’obtenir; or en réfléchissant chaque bien jour
sur les plaisirs innocens que nous goutons ici bas ou nous som=
mes comme éloignés de Dieu, nous nous convaincrons que ceux
qu’il nous prépare, lorsque nous serons admis dans sa communion seront
/p. 221/ infiniment plus considérables. Mais plus ils seront considerables
plus nous souhaitterons de les gouter, plus nous ferons des oeu=
vres de bienfaisance pour nous les procurer, et plus nous en fe=
rons, plus aussi la certitude de la possession de ces biens sera
grande pour nous.
Nous n’avons donc qu’à faire un usage journalier plus
fréquent de ces sages opinions, et de ces espérances bien fondé=
es, desorte qu’avec le secours de l’habitude nous parvenions
malgré le grand éfet des choses sensibles, à viser le long du jour
avec joïe à cette immense fortune qui nous attend après la fin
de cette vie qui passe si rapidement, et qui n’est qu’un point dans
l’éternité.
Après ces principes il établit des pratiques, qu’il nomme ob=
servations. I. Observation générale. Il y a trois attentions im=
portantes à avoir à chaque plaisir que vous goutez chaque jour.
1. Songez que ce plaisir n’est dans aucune partie de la matière de
votre corps, et que c’est seulement votre esprit qui sent ce plaisir.
2. Songez que ce plaisir ne dépend pas de notre volonté, ni pour l’e=
xistence, ni pour la durée, ni pour le degré de sensibilité; que par
conséquent Dieu en est la cause immédiate, & qu’il faut l’en re=
mercier, si vous ne voulez pas être ingrat. 3. Songez que les plai=
sirs du Paradis seront plus sensibles et qu’ils dureront toujours.
La reconnoissance envers Dieu est une justice. Or pour obte=
nir de plus grands plaisirs, dans une vie incomparablement plus
longue, il faut païer ses dettes, il faut faire justice à son bienfai=
teur, il est juste de remercier un bienfaiteur, quand notre recon=
noissance doit nous procurer de nouveaux bienfaits immenses de
la part de l’Etre infiniment bienfaisant. Est-ce demander trop que
de demander de remercier un bienfaiteur toutes les fois que vous
en recevrez quelque nouveau bienfait, quelque plaisir très sensi=
ble et très innocent.
II. Observation générale. A chaque douleur, à chaque cha=
grin que vous soufrez chaque jour, songez que vous ne gouterez
en Paradis que des plaisirs purs, jamais aucun chagrin, ni aucu=
ne douleur.
III. Observation. Un des plaisirs des plus grands de la journée
c’est de faire plaisir à ses amis. Or si le plaisir de l’amitié est si
agréable dans une vie courte et passagère, que sera-ce dans
une vie éternelle?
/p. 222/ IV. Observation. Il y a deux sortes de plaisirs à faire de grands
plaisirs à de malheureuses familles. Le 1er c’est de voir cesser leur
misère qui vous faisoit de la peine. Le 2e c’est de penser que ce
que vous leur donnez pour plaire à Dieu vous sera un jour ren=
du, et cent mille fois au dela par la durée immense des plai=
sirs du Paradis.
Les bons Princes et les bons Ministres soufrent aussi beau=
coup de peines pour procurer le repos et l’abondance à leurs Peu=
ples, mais ils les prendront avec plaisir, s’ils songent que le Para=
dis doit être leur recompense. Ce desir du Paradis rendra non
seulement les Rois et les Princes bienfaisans envers les Peuples,
mais il rendra aussi les Citoïens très bienfaisans les uns envers
les autres.
V. Observat. Plaisirs de la Table. 1. Quand on goute les plaisirs de
la Table il faut se souvenir que la puissance qui nous procure
ces plaisirs peut nous en faire gouter d’infiniment plus consi=
derables. 2. Il faut aussi prendre garde, de ne manger et de ne
boire pas trop, pour être en état de mieux remplir ses devoirs
qui doivent nous procurer des plaisirs plus desirables. La Sagesse
nous dit: Soiez sobre, non seulement pour éviter les douleurs
des maladies, mais encore pour pouvoir par des œuvres de
bienfaisance, pour obtenir de plus grands plaisirs, et incompa=
rablement plus durables. 3. Il faut encor songer a procurer
de pareils plaisirs sur tout aux pauvres et aux malades, qui
ne peuvent rien faire pour vous, et voila la plus grande re=
compense.
VI. Observ. Sur le plaisir de la Musique et sur les autres plaisirs
des Sens. VII. Observ. Sur les plaisirs de la conversation. VIII. Ob=
serv. Sur les plaisirs des Peres et des Meres. L’Auteur suit la
même méthode sur ces plaisirs que dans les autres, il veut
qu’à l’occasion de ces plaisirs, on pense aux plaisirs du Ciel, qu’on
se rappelle combien ceux du Ciel seront plus grands que ceux
de cette Terre, et que pour obtenir ceux du Ciel, on s’anime
de plus en plus à faire des œuvres de bienfaisance qui peu=
vent nous conduire à leur possession.
Sur les conversations entr’autres l’Auteur voudroit que l’on
fût attentif à relever ce que les autres disent de bon et d’utile,
qu’après les discours ordinaires on parlât de matières importantes
de sujets de morale; par là on se rendroit agréable à ceux
/p. 223/ avec qui on commerce, et eux aussi gagnés par notre exemple,
se conduiroient avec nous d’une manière qui nous procureroit
mille douceurs.
Que fait donc cette nouvelle méthode? ce sont les paroles
de l’Auteur. Elle ne vous retranche aucun de vos plaisirs, elle
les augmente au contraire, par une nouvelle attention, et elle
y ajoute de nouveaux plaisirs qui sont les plaisirs de l’espérance
d’un bonheur sans fin.
Au reste cette piéce est écrite avec beaucoup de force, cha=
que idée y est bien dévelopée et représentée d’une manière pro=
pre à faire impression: elle paroit avoir été composée dans
un de ces momens ou l’on parle de l’abondance du cœur, et
elle est remplie de quantité de traits excellens que j’ai été
obligé de passer sous silence. Si j’avois voulu en raporter tout
ce qu’il y a d’intéressant, il auroit fallu la copier mot à mot,
et je ne dois faire qu’un abrégé.
Monsieur le Baron DeCaussade croit qu’une grande sourceSentimens de Mr le Baron DeCaussade.
de bonheur dans cette vie & pour la vie à venir seroit de ne pas re=
chercher tant de choses qu’on recherche, biens, dignités, honneurs,
plaisirs. Toutes ces choses occupent trop notre tems & ne nous lais=
sent pas le loisir de penser à des choses plus importantes
Mr De St Pierre établit une espèce de gradation dans les plaisirs;
si Dieu donne tant de biens à ceux qui sont imparfaits, que ne
fera-t-il point à des hommes parfaits, tels que seront ceux qui
seront introduits dans le Ciel? On pourroit aussi réfléchir sur les
douleurs, maux de dents, migraine, colique &c. on auroit une idée
de l’Enfer: elles marquent notre dépendance et notre sujettion; car
nous ne pouvons par les éloigner et nous en délivrer quand il
nous plait; et par là elles pourroient nous porter à faire notre
devoir, par la crainte d’en éprouver de plus grandes lorsque le tems
de la patience de Dieu sera passé.
Quand on supposeroit que les méchans seroient anéantis
après la mort, ce qui est insoutenable pour un Chrétien, et
pour tout homme qui raisonne solidement; dans ce cas là ce
seroit encor une grande folie, et une lacheté de ne pas faire
tous ses efforts pour être conservé et pour être rendu heureux
dans la vie à venir. Ce seroit avoir trop de gout pour la vie
présente, et ne point répondre à la Bonté que Dieu nous a
témoigné en nous créant.
/p. 224/ Monsieur le Boursier Seigneux à dit que le but de l’AuteurSentiment de Mr le Boursier Seigneux.
est de fournir un moïen pour se rendre heureux dans cette vie et dans
celle qui est à venir, et ce moïen c’est de lier les plaisirs passagers
avec les plaisirs durables. L’ame est immortelle, il y a un Dieu juste
qui se propose de donner à chacun un bonheur proportionné à ses
œuvres; ces idées présentes souvent à l’esprit le rempliront de joïe
& l’empécheront de se livrer au plaisir sans retenue; elles lui fe=
ront faire des efforts pour modérer ses passions; mais ces efforts
ne lui paroitront pas pénibles, puisqu’ils seront soutenus par de
si grandes espérances. L’homme se porte à des travaux rudes
et fatigans par des motifs chimériques, tels que l’espérance de
parvenir à quelques emplois &c espérance qui le trompe sou=
vent; à plus forte raison ces vraisemblances, que dis-je, ces vrai=
semblances, disons plutôt ces vérités devront-elles le porter à
faire, ce qui dépend de lui, pour obtenir les recompenses qui lui
sont promises.
L’idée qu’il y aura une proportion de biens dans la vie a
venir, est un grand motif pour nous porter à les rechercher conti=
nuellement. Si les plaisirs de cette Terre sont durables, il nous
en faut encor espérer de plus grands; s’ils sont petits, il faut s’en
dédommager par l’espérance de plus considérables: s’ils sont crimi=
nels, il faut les regarder comme indignes de nous; parce que nous
sommes destinés à de plus purs, et à en gouter qui ne causent
aucun remord. Quand on goute des plaisirs sans remord, on les
goute avec plus de plaisir, et on y réfléchit avec joie.
Les plaisirs qui suivent les bonnes actions, sur tout la bien
faisance sont les plus grands et ceux dont le souvenir sera le
plus doux, indépendamment de la recompense.
Au reste l’idée des plaisirs de cette vie de l’opera, du jeu,
de la musique, de la Table, & du paradis terrestre dont l’Auteur
veut qu’on se serve pour concevoir mieux les plaisirs du Ciel,
paroit à Monsieur Seigneux froide, et trop éloignée des plaisirs
célestes pour nous porter à la recherche du véritable Paradis.
Sentiment de Mr le Professeur D’ApplesLa dissertation de Mr de St Pierre, à dit Monsieur le Pro=
fesseur D’Apples, se réduit à ces deux idées. L’une qui regarde la
jouissance des biens présens, et l’autre, c’est l’espérance des biens
à venir. On pourroit abuser de la prémiére, si on oublioit que
l’Auteur défend de gouter aucun plaisir, sinon des plaisirs innocens
et qui n’aient rien de contraire à la justice. L’Homme peut à
/p. 225/ la verité gouter des plaisirs ici bas, mais il n’est pas fait pour
eux, parce qu’il lui reste toujours des desirs. L’ame est faite pour
l’immortalité & pour le bonheur parfait.
En parlant des plaisirs de la conversation, Mr de St Pierre,
dit par occasion que les Dames pour y briller, font des lectures, mais
qu’à cet égard elles tombent dans des défauts, savoir qu’elles per=
dent trop de tems, qu’elles choisissent mal leurs lectures, et qu’elles
n’écrivent point les beaux endroits pour les relire. Monsieur
D’Apples a dit qu’en général on tombe dans un autre défaut
c’est qu’on fait des lectures qui éloignent du but, plutot que
d’en approcher.
Monsieur le Lieutenant Ballival DeBochat a dit queSentiment de Mr le Lieutenant Ballival DeBochat.
l’idée de Mr de St Pierre n’étoit pas nouvelle, d’avoir toujours
devant les yeux le bonheur à venir pour s’exciter à le rechercher.
Voici ce que l’Auteur y a ajouté, c’est de se servir des biens & des
maux que nous ressentons pour nous porter à la recherche
des biens célestes. Il est facile d’emploïer ce moïen dans tous les
cas ou l’ame n’est pas trop fortement occupée d’un seul objet,
car alors elle n’est attentive qu’à une seule chose, et la reflexi=
on est impossible. C’est pour se conserver cette liberté de reflé=
chir que l’homme ne doit point s’abandonner, ni se livrer enti=
erement au plaisir. Tous les plaisirs innocens sont dignes de
l’Homme.
Monsieur DeBochat à trouvé que la Démonstration de l’Au=
teur étoit trop longue. Il auroit suffi, selon lui, de dire, Réfléchis=
sez sur les plaisirs pour en desirer de plus grands.
Le but de Mr de St Pierre, a dit Monsieur le ConseillerSentiment de Mr le Conseiller DeCheseaux
DeCheseaux, a été de nous faire réfléchir sur les choses de cet=
te vie, pour nous porter à en rechercher de plus solides & de
plus considérables. Le détail dans lequel il est entré est trop
grand: et ce moïen n’est pas praticable, quand on ressent de
très grands plaisirs, ou de très vives douleurs.
Il auroit mieux valu proposer qu’on réfléchit ensuite des
plaisirs d’un beau jour, ensuite de l’agrément que procure la
vue d’une belle fleur, d’une charmante campagne, &c. on s’élève
par là à penser que Dieu qui les a donné, en donnera de plus
grands. Les douleurs nous feront soupirer après cet heureux tems
ou nous en seront entiérement délivrés, et nous résisterons aux ten=
tations par la crainte de perdre, en y succombant, les biens infinis
/p. 226/ que nous espérons, ou d’augmenter et d’aggraver les douleurs que
nous éprouvons.
Sentiment de Mr l’Assesseur Seigneux.Monsieur l’Assesseur Seigneux a examiné pourquoi on ne s’at=
tache pas à la pensée et à la méditation de la béatitude. 1. Parce
que c’est un objet éloigné, et qui par là même nous frappe moins
vivement. 2. Parce que nous n’en avons qu’une connoissance gé=
nérale. 3. Enfin et principalement, parce que tout nous en dis=
strait. Bien loin donc de réfléchir sur les plaisirs de cette vie, qui
nous en éloigneroient, comme le veut Mr de St Pierre, il faut pen=
ser au contraire que les plus grands plaisirs laissent toujours du
vuide, que nous sommes faits pour de plus grands. L’Ecriture ne
nous appelle pas à nous livrer toujours au plaisir, elle nous re=
commande en plusieurs endroits la mortification de nos corps, le
renoncement aux convoitises mondaines &c.
Sentiment de Mr le Recteur Polier.Monsieur le Recteur Polier a dit que pour juger de l’ouvra=
ge de Mr de St Pierre, il faut se souvenir qu’il écrit à une Dame,
qui lui demande le moïen de parvenir à la béatitude en laissant
subsister le monde comme il est; et c’est sur cela qu’il prouve
qu’on peut être heureux dans ce Monde, et parvenir au bon=
heur suprème.
L’Auteur fait des suppositions absolument nécessaires, mais il
ne donne point de démonstration, et cela par ces raisons, 1°
c’est qu’à regarder ces suppositions que comme des vraisemblan=
ces, elles ne laissent pas de devoir déterminer l’homme à obéir à
Dieu et à se consacrer à son service, puisque ce n’est que sur de
legeres vraisemblances que les Hommes entreprennent tant de
travaux et de fatigues, et que dans toutes les affaires de la vie,
ils n’agissent que par de pures vraisemblances. 2° c’est que ces
démonstrations ne sont pas à la portée de tout le monde. 3°
c’est qu’il les a données dans d’autres ouvrages. Mais si la vrai=
semblance seule doit deja déterminer efficacement à agir que
ne fera pas la démonstration.
On a remarqué qu’il y avoit des plaisirs criminels. Ce n’est
pas le gout du plaisir qui est criminel, et mauvais, ce gout est
un don de Dieu; ce qu’il y a de criminel c’est la préférence qu’on
donne à de certaines choses sur d’autres.
L’Auteur veut qu’on fasse deux réflexions très faciles.
L’une que les plaisirs que j’ai, viennent de Dieu; l’autre, qu’il y
en a de plus grands dans la vie à venir que je puis me procurer.
/p. 227/ Cela engage à une reconnoissance perpétuelle et à un dévouement
entier. Et quelle vie plus délicieuse qu’une reconnoissance continuel=
le!
Ces conseils ne sont point impraticables. Nous sommes soula=
gés dans nos maux les plus cruels par la part qu’y prennent les
autres. Qu’est-ce qui a soutenu les Martyrs, Jésus Christ même?
N’est-ce pas l’idée des recompenses qu’ils avoient à attendre, et la
persuasion ou ils étoient que Dieu voioit leurs soufrances & qu’il
savoit qu’ils soufroient pour son nom? Les maux de la vie pré=
sente, ne doivent point être comparées avec la gloire à venir.
Mr De St Pierre considère les hommes tels qu’ils sont. Dieu
les a fait sensibles au plaisir, et capables de s’élever par le
moïen de ce gout à de plus grands plaisirs.
Le but de l’Auteur est de rendre les hommes heureux en ce
monde en considérant que les plaisirs viennent de Dieu; et il
veut que réfléchissant continuellement sur la Bonté de Dieu qui
nous a donné tant de plaisirs, nous soïons déterminés à emploï=
er tous les moïens propres pour nous les procurer, et pour lui
témoigner notre reconnoissance.