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Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 01 mars 1738
de paris ce 1er mars 1738
je reçois mon cher amy votre lettre du 20 fevrier
et jy rèponds quoyque je vienne de vous en ècrire
une assès longue, ou je me plaignois de votre long
silence et quune commission qu'on me donna pour
vous occasionna, quoyque bien occupé aprèsent
car les emplois vaquants ne sont pas encore donnès
je trouve toujours un moment, pour laisser parler
mon coeur et pour écrire ce qu'il vous dit. ce nest point
pour vous faire un reproche, vous étes plus froit
que moy, mais je ne doute pas de la bonté de
votre coeur, tout le monde n'a pas vaincu comme
moy, la répugnance naturelle que nous avons a
ècrire, je juge a touts vos mouvements que vous
avès bien des affaires en train, et au style de votre
lettre qu'elles en prennent un bon, vous scavès que
sur l'alternative d'un mariage riche ou d'un qui vous
fasse entrer dans lètat, je ne vous ay jamais rien dit
<1v> cepandant permettés moy de vous dire la rèponce que
jay faite en pareil cas, si daussy grandes différences
sont susceptibles de comparaison, lon m'a offert dès
la mort de mon père des filles de la cour, qui me donnoient
certitude dun règiment, jay biaisé et rétiré mon épingle
du jeu, maintenant que cest le temps et que lon m'a
vu encore plus empressé, un homme me dit qu'il ne
tiendroit qu'a moy de faire quelque mariage a la cour
je le pris sur le temps, mr luy dis je jestime mon
avancement et ce qui me met a portée de l'obtenir
un jour, autant que je le mèriteray, mais je ne suis
point pressé d'etre gueux cocu et colonel, un employ
militaire gagné par une femme, est comm'une femme
gagnée au sac d'une ville, je fis cette rèponce dun
ton qui barra la veine, ton cas a toy est bien diffèrent
lon n'entre dans létat que par la, mais a votre place
je commencerois par me mettre dans l'aisance et
lagrèment, en prenant une compagne riche et d'un
caractère que je connusse, et je mettrois par la
mes enfants a mème de satisfaire leur ambition
qui dans le fonds est bien racourcie, et doit etre
acompagnée dune infinité de traverses et de chagrins
dans un paÿs comme le votre, voila cher frédéric ce
que je puis hazarder de vous dire, parce que je scais
que vous n'en ferés ny plus ny moins si vous etes dèter=
miné, et que cela pourra vous etre utile si vous ne létes
pas, vous pouvès vous souvenir que je vous ay mandé
que mr de lautrec n'etoit pas capable de ce dont on l'avoit
chargé, lon ny pense je crois gueres en ce paÿs cy, la peau
est plus près que la chemise, et nous sommes dans un temps
bien critique, mr le cardinal est mieux dit on, mais je crois
<2r> qu'on l'enterrera bientost, le roy fait peur a voir, le
dauphin est mieux mais la playe de sa joue en se refermant
la luy tirera beaucoup, Me segonde a pensé mourir sans
qu'on en ait parlé tant on est occupé, Me premiere vouloit
se tuer de voir sa soeur en cet etat, permets moy aprésent
de te parler de moy non pas des desseins courants, mais de
ceux, dont je tay èbauché quelque chose, cache bien cette
lettre, je te connois lame assès grande pour ne pas penser
comme la plus part des hommes que lon est fou quand
on veut exécuter quelque chose au dessus de sa sphère
commençons par un que jay rejetté totalement,
un homme très riche de beaucoup desprit et entendu
dans les affaires du commerce et de la navigation,
très scavant dailleurs mais trop vif et trop peu assis
auquel javois adressè un projet que je tacheray de
mettre en execution, me proposa d'entreprendre la conquete
de la presqu'ile de la morée. cest lancien pelopponèse paÿs
très abondant tres capable de se suffire, et qui ne tient a
la terre ferme que par listme de corinthe tres aisé a
couper, voicy son plan, il m'offroit quatre cent mille francs
il prétendoit qu'avec deux cent que jay portables ou il me
plaira, ces fonds etoient suffisans pour lever huit mille
suisse ou françois, et les faire passer dans ce paÿs la, il se
chargoit de toutes les facilités pour la navigation, il y a
dans ce paÿs la une forteresse tres aisée a surprendre, et qui
seroit imprenable sy lon la gardoit bien, les grecs habitant
sont mille contre un turc, et selon luy 1 mot biffure etoient sous
une cruelle tirannie, tout cela etoit mieux circonstancié
mais il tennuyeroit, je minformay a fond de tout et je
trouvay qu'outre que ce paÿs la est remply de ports sans
déffense, il est environné de petites isles dou lon vous
empècheroit de sortir un chat de ches vous, que ce seroit
aller attaquer le grand sultan au milieu de ses plus belles
provinces, et que dailleurs cela manquoit par le principe
<2v> fondamental, qui est que les grecs soient mécontents du
gouvernement des turcs, car ils sont chaque particulier
comme de petits souverains chex eux soumis uniquement
a un carache, ou petit tribut annuel, dailleurs je ne me
sentois pas les reins assès forts pour conduire une pareille
entreprise, et ne suis point résolu a me donner des soins
pour mettre quelqu'un au dessus de moy je mis donc neau
a la requéte, le segond projet est beaucoup moins difficile
aussy nest il pas totalement rejetté, mais le voicy, a sept
lieues de lisle de la martinique et au sur le vent de toutes
nos isles est celle de ste lucie, le plus beau et le plus abondans
paÿs du monde isle de quarante lieues de tour difficile
a aborder et dont les ports sont aises a garder, le roy
lavoit autrefois donnée au mareschal détrées qui y
envoya1 caractère biffure des coquins, les anglois quoy qu'eloignès de
deux cent lieues en disputent la possession, ils la
donnèrent alors a un milord qui en chassa les françois
et y établit un fort, mr de champigny fut pour le détruire
et ne fit qu'un traité avec les anglois par lequel ils
déguerpirent et lisle 1 mot biffure fut neutre, un homme de ce
pays la qui m'entendit dire que jyrois au bout du
monde pour etre le maitre quelque part, me proposa
d'en demander le don a la cour, qui me l'accorderoit surement
que sitost que quelqu'un y arriveroit en état de se déffendre
dix mille martiniquois viendroient vivre soux luy et
qu'alors rien ne l'en pourroit tirer, qu'il ne sagissoit
pour cela que d'avoir du canon, ce que jachèterois très
aisement dans le paÿs méme, jecoutay ce projet, mais
comme il faut que je m'en raporte sur des ouy dire, que
jen ay un autre sur le chantier, et que dailleurs comme
jay toujours besoin de mon frère, un départ de ses deux
ainès pour aller si loin, feroit bien de la peine a ma mère
<3r> je laissay languir cela, voicy enfin celuy dont il est
question et sur lequel je travaille, cest de rehabiter
lisle de la lampédouse, cest une petite isle de huit
lieues de tour, dans la medittérranée, a trente lieues
de malte, elle est tres fertile en gibier, et le sera dans
toutes les 2 caractères biffure mèmes choses que malte, car cest le mème
climat et un meilleur terrain, la mer y est fort poissonneuse
il y a un bon port, tres difficile aisé a garder et nest
abordable nulle autre part que pour des petits batimens
de quinze hommes au plus, qui noseroient gueres se
hazarder dans ces mers a cause des galères de malte qui
tiennent den respect les pbarbaresques qui sont les
seuls ennemis que jaye la a craindre, et ny pouvant
venir en force je commenceray par me clorre, et me
moqueray deux, ce paÿs etoit autrefois habité par cinq
ou six mille ames, mais barberousse revenant de
lexpédition de lorelte la dévasta, au bout de trois
mois que jy seray, larmement qu'il faudroit faire pour
m'en tirer vaudroit mieux que lisle, il sagit dy mener
des habitans ce nest pas la mon embarras, mais de les
nourrir jusques a la recolte, tout cela est une dèpense
calculée malte me prete du canon et me fournit en
payant des matèriaux qui ne se trouveront pas dans
l'isle, et des ouvriers, je ne meneray d'abord, d'hommes
que ce qu'il faudra pour se deffendre d'abord, en cas que
les barbaresques veuillent en tater, parce que je suis sur que
les maltois et les pantéleriens viendront en foule habiter
un paÿs ou lon leur donnera des terres, je fais actuellement
négotier a naples, par non pas que je craigne cette puissance
mais de peur qu'ils ne me fassent couper les vivres en ce paÿs
cy car comme tu scais tout est bon aux espagnols, et ils
ont un prince sicilien qui porte le nom de prince de la
<3v> lampédouse sans titre et sans possession, ceux qui m'aident
par amitié sont icy un homme tres sage et tres amy de mr
de maurepas, et a marseille, nle lieutenant genéral
de lamirauté charge qui luy donne toutes les connoissances
nècessaires pour m'etre d'une ultilité infinie, je ne
m'embarqueray surement a rien que tout ne soit
calcule et que je ne sois sur des dèpenses et de tout
afin de ne pas choir tomber, 1 mot biffure tout cela ne
m'empèche pas d'aller icy mon train mais comme
je tay dit jen vois la petitesse le vuide et le faux
adieu mon cher frédéric tu me croiras fou, mais
fou a lier, et dhonneur je n'ay jamais été si sage
dans la pratique, je me suis ouvert a toy premierement
parceque je nay jamais rien eu de cachée pour toy
mais je ne laurois pas fait si je te croyois l'ame
aussy retrécie qu'a la plus part des hommes, car
lon n'aime pas a passer pour fou en cas que tu le
pense de moy jespère que lexécution fera voir que
si je le suis au moins les foux de mon espèce sont
quelque fois bons a quelque chose adieu tu vois la
consèquence du secret adieu encore je taime toujours
davantage
je ne comprends rien a ton apostille ou tu me dis
que la guerre a duré trop peu pour me rendre mon
ancienne vigueur tu reponds si tard aux lettres qu'on
en perd le fil
tu jugeras a tout cecy que je nay plus gueres
damour dans la tete, non mon cher, manon
vient de se marier a un homme qui a seize mille livres de rante
elle men a demandé la permission, ou pour mieux dire il a fallu
que je le luy ordonnasse quoyque nous fussions en froit depuis longtemps
elle en a agi a merveille, jay par ambition pour mon projet, couché
avec la femme du lieutenant de lamirauté, en question allez a la premiere
feuille
elle est laide mais elle gouverne son mary, elle est chaude
comme quatre, je la tapay a merveille, et a chaque action
de vigueur le mary qui d'ailleurs est jaloux commun tigre
redoubloit d'amitié pour moy, au point qu'une nuit que
je fis le segond tome 1 mot biffure de mes prouesses a une
partie qui préceda ma petite vérole, tu peux t'en souvenir
le lendemain dis je, mr me jura qu'il etoit a moy a vendre
et a engager jespère qu'il me servira bien, et je continue
par lettres a luy rendre de petits services, ne pouvant
faire mieux a cause de lèloignement