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Lettre à Charles-Guillaume de Loys de Bochat, Groningen, 11 mars 1721
A Groningue ce 11 Mars 1721.
Monsieur
Je répons à vôtre Lettre le plus tôt qu'il m'a été possible, mais non pas aussi tôt que
j'aurois souhaitté. J'ai lû avec bien du plaisir vôtre Oraison Inaugurale, dont je vous
remercie fort; & je n'y trouve à redire que la maniére trop avantageuse dont vous
y parlez de moi. C'est un effet de vôtre bonté, auquel je suis extrémement sensible. Je
me confirme par la lecture de cette Piéce dans l'opinion où j'étois, que vous remplirez dignement
le poste que j'ai occupé avant vous, & qu'étant encore à la fleur de vôtre âge vous aurez
le tems de si bien inspirer à la jeunesse de vôtre Patrie du goût pour une étude si belle
& si nécessaire, qu'il s'y perpétuera jusqu'à la derniére posterité. Je le souhaitte de tout
mon coeur, & je m'intéresserai toûjours à cet égard, comme en toute autre chose, à l'avantage
de Lausanne, & de son Académie.
Je suis bien aise que vous aiyez eu soin d'engager Mr Du Breuil à retracter les
fausses nouvelles & les fâcheuses impressions qu'il avoit données de ces Mrs, par rapport à
l'Orthodoxie. Je lus l'article avec plaisir, & ne sâchant pas qu'il vint de si près, j'étois
étonné de la diligence qu'on avoit faite à Lausanne, d'où je supposois qu'on avoit écrit
au Gazetier. Je suis 2 caractères biffure ravi d'apprendre aussi ce que vous avez mandé à vos Collégues
touchant la maniére dont on fait signer en Hollande le Synode de Dordrecht. J'ignorois
cela moi-même, n'aiant pas eu occasion de m'en informer. 1 mot biffure
Vous me faites, Monsieur, beaucoup de plaisir & d'honneur de me proposer vos
doutes sur une matiére importante & fondamentale. Je joins ici, dans un papier à part,
ce que je crois qu'on peut dire pour satisfaire un esprit juste & non prévenu, tel que
le vôtre. Je souhaitte que mes pensées vous contentent, & en cas qu'il vous reste
encore quelques difficultez, vous m'obligerez de me les marquer. Ce sera le moien ou
de me fortifier moi-même dans mes principes, & de les éclaircir de plus en plus, ou
d'appercevoir mon erreur, supposé qu'il s'y en soit glissé après toute l'attention dont
je suis capable.
<1v> Je suis glorieux de voir que vous portez le même jugement, que moi, de la Piéce de
Mr Branchu. Comme je l'ai reluë, pour répondre à la Lettre qu'il m'avoit écrite en
m'envoiant son Livre, je me suis confirmé de plus en plus dans la résolution de ne
rien répondre à un Ecrit qui n'en vaut pas la peine. J'ai appris que l'Auteur est fils d'un
Homme qui enseignoit le Latin en particulier aux Enfans, à la Haie: qu'il cherche à se
faire connoître, & qu'il donne à Leyde des repétitions de droit aux Etudians : que, pour
parvenir à son but, il veut s'attaquer à d'habiles gens. Comme il m'a trop fait
d'honneur de me mettre dans ce nombre, en commencant par là ses exploits contre les
Auteurs vivans, je lui dois cette reccoissance de ne pas l'exposer à se voir
prouver, papiers sur table, que toutes ses défenses ou ses attaques sont fausses d'un bout à
l'autre, & qu'il semble presque n'avoir pas lû la Piéce qu'il réfutoit. Il a affecté
de paroître Mathématicien : mais s'il l'est, il fournit une preuve sensible, qu'à l'imitation
de son Héros, il n'a pas tiré de l'étude de cette Science, par rapport aux autres, cette
justesse d'esprit dont plusieurs Mathématiciens manquent, lors qu'ils sortent de leur Sphère.
Je ne lui ai rien dit de tout ce que je vous dis dans le Mémoire ci-joint: je me suis
contenté de lui faire sentir en général & en termes honnêtes, qu'il n'avoit point mis les
Lecteurs au fait de la quesion, ni rapporté mes raisons comme il falloit; & je lui ai donné
quelques exemples d'endroits où il prend tout de travers ma pensée, exprimée néanmoins de
la maniére la plus claire. Assûrément il n'a guère étudié le Droit de la Nature & des
Gens; quoi que, pour attirer des Etudians Allemands & leur faire en même tems la cour
par la défense d'un homme célébre de leur Nation, il se soit aventuré de rompre avec moi
une lance. Mais je lui ai déclaré que je n'étois pas d'humeur & que je ne jugeois
point nécessaire d'entrer en lice. Il a plus étudié le Droit Civil, selon l'usage de ces Provinces,
que le Droit Naturel. Cependant mon Collégue, 1 mot biffure qui est fort jaloux de l'honneur des
anciens Jurisconsultes, lui a fait sentir aussi, dans une Lettre envoiée sous mon couvert,
qu'il n'étoit pas content de lui à cet égard.
Je n'ai point vû l'Edition du petit Pufendorf de Mr Weber, où vous me dites, qu'il a fait
quelques petites remarques contre la Lettre de Mr Leibnitz. Quand cette Edition me tombera
entre les mains, je verrai ce que c'est. L'Editeur est un bon homme, mais qui ne me paroît
pas un grand Clerc. Pour ce qui est des Fundamenta Jur. N. & G. de Mr Thomasius,
je vous avoüe que ce Livre ne m'a jamais plû. Sa Jurisprudentia Divina me semble meilleure,
que toute seule, qu'avec ces supplémens & ces corrections, qui prouvent que les secondes pensées
ne vallent pas toûjours mieux que les prémiéres. J'estime fort l'Auteur, que j'ai connu autrefois,
à cause de sa modération & de son amour de la Vérité: mais, pour vouloir embrasser trop d'études
différentes, il lui arrive, comme à plusieurs de sa Nation & de son Ordre, de n'être pas également
fort & judicieux sur tout. En matiére de Droit Civil, il a cette bonne qualité de ne pas adorer
les anciens Jurisconsultes & leurs Fragmens, si imparfaits & si embrouillez: mais d'autre côté
il n'a pas 1 mot biffure assez 1 mot biffurede goût pour discerner les bonnes explications qu'on en peut donner,
& pour joindre à l'esprit philosophique le discernement critique.
<2r> Je crois, comme vous, que l'Abrégé de Pufendorf, & les Elementa1 mot biffure Philosophiae
Practicae de Mr Buddens, sont jusqu'ici les Livres les plus utiles en ce genre aux Commerçans.
Mais je reconnois par l'expérience, que le prémier, avec tous ses défauts, auxquels on peut aisément
remedier par l'explication de vive voix, est assez commode, & peut-être plus qu'aucun autre Livre
semblable qui aît paru jusqu'ici. Je ne néglige point de faire venir & de lire tout ce qui
paroît de nouveau en Allemagne, où cette Etude est plus cultivée qu'ailleurs, comme l'Abrégé de
Wolfius, celui de Gribner &c. mais je n'ai encore rien vû qui méritât, à tout prendre,
qu'on laissât là le Traité de Offic. Hom. & Civ. pour lui substituer quelque autre Abrégé de
cette Nature. Je ne trouve pas non plus grand chose dans les Notes que divers Auteurs publient
sur ce petit Livre de Pufendorf, & en Allemagne, & ailleurs. Il en a paru, jusqu'en
Ecosse, d'où un Professeur de Glasgow, nommé Carmichaell, m'envoia l'année passée
son Edition, qu'il veut faire rimprimer, à ce qu'il m'a marqué depuis peu.
La promesse que j'ai faite d'un Systême de Droit Naturel, tourné à ma maniére,
est un de ces projets vagues, dont on ne sait si l'exécution suivra jamais. Les occupa=
tions des gens de Lettres dépendent de la situation & des circonstances où ils se trouvent:
il vient mille diversions & mille contretems, qui empêchent qu'on ne fasse toûjours
ce que l'on voudroit. Mais, quand on aura mon Grotius, on pourra, en le joignant à
Pufendorf, voir à peu près ce que je pense sur les matiéres & les questions les plus importantes
du Droit de la Nat. & des Gens; de sorte que ceux qui y trouveront leur compte pour=
ront aisément bâtir là-dessus un Systême qui revienne à celui que je pourrois faire
moi-même; sur tout quand j'aurai donné une nouvelle Edition de mon grand
Pufendorf, à laquelle je serai apparement obligé de travailler bien tôt, selon ce
que le Libraire m'a dit il y a assez long tems. On doit aussi rimprimer en peu de
tems, mon Traité du Jeu; & le volume de dissertations du Pouvoir des Souv. & de
la Liberté de Conscience, auquel est jointe ma dissertation sur la nature du Sort, & mon
Discours sur l'utilité des Sciences. Tout cela emporte du tems. J'ai aussi résolu de
joindre à la nouvelle Edition du grand Pufendorf, une Réponse abrégée au P. Caillier,
sur l'article des Pères de l'Eglise; aiant changé le dessein que j'avois formé de
donner un ouvrage à part, pour prendre occasion de là de traiter diverses matiéres
importantes.
Je n'ai point reçû l'Oraison Inaugurale de Mr Otton, ni entendu parler
de Wetstein, à qui il doit l'avoir envoiée pour moi. Il est vrai qu'à cause de la
saison je n'ai reçû de toute cette année aucun paquet d'Amsterdam, ni même depuis
quelques semaines aucune Lettre. Cependant je vous prie de remercier Mr Otton
par avance de la bonté qu'il a euë de penser à moi. J'attens avec impa=
tience cette Piéce, & j'espére d'y trouver la même satisfaction que dans la
lecture de ses Aediles, de son Papinianus, & de ses Dii Viales. Ce qui me fait
aussi souhaitter qu'il donne bien tôt au Public le volume nouveau de ses
Dissertations déjà imprimées, ou non.
<2v> Ma femme vous est, Monsieur, bien obligée de vôtre souvenir, & vous fait
mille complimens. Elle est encore languissante, par un effet de retours de fiévre, qui n'a
pû 1 mot biffure être jusqu'ici entiérement chassée de ma maison. Je suis avec toute
la considération & la sincérité possible
Monsieur
Vôtre très-humble &
très-obèïssant serviteur
Barbeyrac