Transcription

Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 22 mai 1776

de paris le 22e may 1776

vous m'aurés trouvé un peu tardif mon cher
amy, a répondre a votre lettre du 2 du courant
mais la maladie s'est emparée de moy et de ma
maison. les du saillants partis le 1er du mois, il
ne restoit plus que moy et ma belle fille qui avons
eté attaqués touts deux de la Rougeole; maladie, qui
vient d'etre épidémique icy, et la premiere de ce genre
que j'ay contractée de ma vie. je crus aux ava avan=
coureurs avoir un cathare, ce qui fit que diettes et la=
vages me préparèrent bien; toutefois j'ay trouvé cela
fort mauvais, j'en suis abattu, détruit, découragé
et trouve que les efforts d'une vielle nature, pour
vouloir jouer le quarreau d'asperges, et se donner
du reverdir, sont les plus gauches du monde.

notre digne amie n'a plus vu que le besoin que nous
avions d'elle, et ne nous a plus quitté. elle est retournée
coucher chez elle hyer parcequ'elle attend ses hotes.

j'etois au 2e jour de leruption quand on renvoya
turgot. les triomphes, du parlement ont été aussy
vains et vagues que le furent cy devant ses emporte=
ments. serments d'extirper les oéconomistes, et puis
moy toujours par un coin ou l'autre sur le tapis. il n'est
pas si malade que ses principes et son sistème.
ces gens
lâ seroient capables de dire qu'il n'y a point de loix
<1v> pour les oéconomistes; mais de maniere ou d'autre je
sortiray de leurs mains. ceux en général, dont je deffendois
lhéritage, ne valent pas mieux que ceux qui lattaquent
je me veux tirer. l'affaire se suit toujours en règle
avec toutes ses longueurs, mais je saisiray tel accomo=
dement que j'aurois fort rejetté, comme en effet toutes
les propositions sont bien déraisonables.

ma belle fille, repart avec son père; je ne veux plus
du rôle de mentor, je déclare pareillement par acte
et fais signifier aux créanciers &c que je renonce
a l'interdiction prononcée contre mon fils, et a touts
droits résultants d'icelle, et ne me mesle plus de ses
affaires. renonçant ainsy a touts les biens sur lesquels
j'avois conté en établissant mes enfants, etant et ayant
eté obligé, d'une part d'acquitter les engagements pris
pour cela, de l'autre de les doubler en quelque sorte
pour parer a leurs frasques, saisies, entretien &c, il
se trouvera que si au bout de ma carriere dieu m'enlevoit
mon frère, je demeurerois le baton blanc a la
main, mais je m'enterreray en repos du moins

adieu mon cher amy, mes yeux me refusent
le service, j'ay voulu seulement vous tirer de peine, et
vous mettre au courant. quand je seray mieux je vous
en diray davantage, adieu je vous embrasse tendrement

Mirabeau

qu'est ce que c'est qu'un Mr de montaulieu de lausanne
bon oéconomiste qui me fait faire des compliments.


Enveloppe

a monsieur

Monsieur de Sacconai en son
chateau de Bursinel près Rolle

en Suisse
Par Pontarlier


Etendue
intégrale
Citer comme
Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 22 mai 1776, Collection privée. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: https://lumieres.unil.ch/fiches/trans/378/, version du 20.02.2018.
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