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Lettre à Frédéric de Sacconay, Mirabeau, 30 août 1737
de mirabeau ce 30e aoust 1737
ma tendresse pour vous ne change point mon
cher amy, et ne changera jamais, je perdrois
tout ce que je crois avoir jamais remarqué en
moy de constammant estimable, dailleurs le
coeur sy intéresse trop
je vous ay connu toujours tel que je vous comprends
et tel que votre lettre vous dépeint, riant sage
serain, et constant dans dexcellents principes, vous
devés au contraire avoir toujours trouvé de
l'intercadance chex moy, aux choses prés dont
on ne scauroit se départir, sans renoncer au
caractére dhonnete homme, mais quoyque je ne
sois pas plus content de moy, jay bien encore
changé depuis que je ne me suis ouvert a vous.
les sots abondent dans le monde, et ceux la
méme qui n'en ont pas la réputation, mont
<1v> persuadé que javois de lesprit, persuasion que
je ne scaurois maintenant abandonner, et après
tout quand je me considère, a l'usage et a la
décision prés je m'en trouve beaucoup moins que
quand jay vécu avec vous. jécris vous le voyés, je
nay pas gagné de ce coté la cepandant, nombre de
badauts, profitant de la monstrueuse facilité que
jay a barbouiller du papier, me recherchent
et gardent mes lettres, peutetre dirés vous cest pour
se moquer de vous, non, quoyque je ne sois pas
un génie, je ne suis pourtant pas assés bouché
pour etre susceptible de ridicules grossiers, dailleurs
ces gens la et dautres, me chargent quelque fois
des lettres mal aisées qu'ils ont a faire
cepandant mon caractére sest formé, et est devenu
comme qui diroit inflexible, dailleurs depuis environ
un an j'ay fait la plus maussade acquisition du
monde, cest de la reflexion, non pas de celle qui
peut servir a nous conduire mais de celle qui
n'aboutit a rien qu'a nous tourmenter, je dois
finir, je dois devenir vieux, je me transporte
par avance a cet age, je me fache de voir des
jeunes gens, ne voila t'il pas une belle occupation
je ne scais si cest la solitude de la campagne qui
<2r> augmente ces belles idées mais elles me persécutent
véritablement icy, et jay besoin du tourbillon
pour m'en détourner, mais autrefois je ne pensois
point a tout cela; et cela etoit pourtant,
mais imaginés vous au milieu de tout ce beau cahos
que je ne suis point indigne de votre amitié, mais
je dis amitie non pas de celle dont on me balotte
touts les jours a la poste (je ne la mérite pas car
je ne les aime point) mais la de la notre et voyés
vous je le leur dis tout comme cela; un de mes grands
défauts est ma sincérité, on ten loue me disoit ma
mére, parce quelle est rare que tu as des bonnes
qualités qui font passer celle la; et que tu n'es pas
dans un etat a donner de l'envie. mais un jour elle
sen servira pour te detruire, mais pour revenir
a mes bonnes qualités, si bonnes y a la façon dont
dnous en avons agi ma mére mes fréres et moy, a
surpris dans une famille ou jamais cadets n'ont
légitimé, et dans laquelle mon pére avoit donné
les plus rares exemples de grandeur d'ame, sur
l'article de l'intérest, comme dans tout cela je jouois
le plus gros role, je dois avoir la plus grande part
de la gloire, voila pour le solide, quand au reste
je vous promets, que vous, votre estimable et
aimable famille et votre sotiété, vous accomoderiés
mieux de moy, que quand vous eutes la charité de
me retirer de lhopital, car que peut on tirer dun
homme qui a la mort entre les dents; et toujours
de la vanité, mais cest le premier mobile des plus
grands hommes, comment m'en sauverois je moy
<2v> qui puis me vanter d'en étre le plus imparfait,
toute la différence quil y a des autres a moy cest
que je suis plus sincére, et puis cest avous que je
parle
quand au mariage je n'ay point denvie de m'enrobler,
(tout bas a l'oreille) mon tempérammant aime les
femmes, et moy je les hais, mon coeur les voit par
ce quelles ont d'aimables et ma raison par ce quelles
ont de dégoutant, et ma raison a raison, hors
dans la femme ou fille d'autruy, la toilette l'eponge
le blanchissage, le céremonial les cris, la dévotion
les paniers, la gène sont pour luy, et si elle le veut bien ce
quelle a d'agreable est pour moy autrement je
prends patience, mais plus que tout cela le serieux
la gravité et lépargne du pére de famille
leffort pour ne pas trouver la voisine jolie, car
item il faut etre honnéte homme, et nexiger
rien que l'on ne pratique, et au superlatif le
branchage, grand dieu, pour un italien dorigine
et un mirabeau, daigne men préserver et ma
triste future aussi, et puis je suis jeune et veux
vivre pour moy, voila comme vous voyés fort
peu de dispositions pour le mariage, mais vous
me trouverés bien singulier de traiter aussi
comiquement pareille matière, après tout cest
la ce que pourroit penser lhomme le plus serieux
a la gravité dans le recit près les choses n'en
sont pas moins, quand a vous mon cher vous
<3r> etes dans tout autre cas. je 1 mot biffure suis né dans un paÿs que
je déteste, ou les hommes ne scavent ce que cest que
de vivre, solitaires a la campagne, occupés uniquement
du jeu et des procès a la ville, ils se deshonorent
uniquement egalement dans l'une et dans l'autre de ces
occupations, et mirabeau, quoyque n'ayant pas
sujet de sen plaindre en son particulier, au contraire
ne peut soufrir lidée detre confinés avec eux
dailleurs mon humeur, a ne point mentir, rendroit
une femme malheureuse, et puis la race ne
périra pas nous sommes trois frères touts en
bonne disposition, vous au contraire vous vivés
dans un paÿs charmant, ou lon jouit de la vie
ou le noeud conjugal quie dailleurs votre humeur
rendra agreable est respecté, et puis vous vous
devés a une illustre et aimable famille. je
desire mon cher la reussite de vos desseins, cest
souhaiter du bonheur a deux personnes
votre chére reine de garbe, part donc pour aller joindre
un mary, gare les corsaires, mais quel dommage que
cela s'en aille en allemagne, que votre tranquilité
est dure, ma manon, est a sa troisième proposition
depuis que je ne lay vue, ces incidents reveillent
son amour pour moy que deux ans d'absence a
rendu sans doute bien tranquile, notre commerce
dure sans beaucoup d'empressement, pour moy
jay eu une espéce de passion qui est venue a la
traverse, je vous conteray cela dans une autre lettre
<3v> jay scu de pairs la mort de mr de villards il etoit
trop tard pour que jen fisse compliment a mr delisle
que jestime et aime parfaitement, il mérite ces deux
sentiments de tout le monde, et cela je vous le dis
a vous avec ma sincérité. pour mr de villards est une
véritable perte et pour sa famille et pour ses amis
lon m'avoit mandé qu'il etoit mort d'un clou et cela
me parut bien extraordinaire, je suis charmé que ses
frères aient eté pourvus de ses charges, hélas cest bien
le moins, adieu mon cher frédéric assurés de mes
respects Madame votre mère et mesdemoiselles vos soeurs
et aimes mirabeau le porteur vous dira le reste
la soeur de bursinel est trop aimable et trop jusqu'à la fin de la ligne biffure
bonne de vouloir se souvenir de moy, je noublieray
jamais les obligations que je luy ay et le respect et
csi j'olse luy le dire l'amitié que je luy dois
je ne suis point assés impie pour avoir oublié Melle
tourmente, mais elle me tourmente quand je songe
a elle, n'aimant pas a me souvenir de rapeller mes tords. mais
enfin aimable isabelle, ne vous souvenés pas plus
de cela que du premier bysance que jay vous aves
fait en votre vie, mais songés qu'il ne se peut
rien au dessus de mon respect et de mon attachement
pour vous
souvenes vous Melle charlotte du coup de poing dans
loeil que vous me donnates un jour que je laissay tomber
les dessus de votre clavessin, vous eutes la bonté den etre
si fachée que jadmiray votre bon coeur
ayés la bonté Melle henriette de me dire votre nom
futur ou présent et de recevoir mon tres sincére
compliment