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Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 01 novembre 1774
de paris le 1er 9bre 1774
vous avés scu mon cher amy par ma derniere que j'etois
party, avant que le pressoir que vous avés la bonté de
m'envoyer fut arrivé. j'ay passé 3 jours aux pressoirs
m'y étant arrèté pour pouvoir voir a fontainebleau, Mr
turgot sans paroitre, et les maitres m'y ayant gardé. je suis
arrivé icy le 26 et depuis ce jour précisément je suis ar=
rété par un de mes catharres suffoquants, qui sans respect
pour les eaux du montd'or n'a voulu aller avant m'a
saisy au colet le dr jour de mon voyage et n'all voulu
aller avant ny arriere depuis, me donnant des nuits
bien malheureuses malgre diette, régime le plus absolu et
autres ingrédients. il fera bien de ne me pas étoufer tout a
fait et je vous promets que j'iray a votre médecin comme
si c'etoit un autre isaÿe, car vivre ainsy misérablement
n'est pas la peine assurément. dites moy seulement mon cher
amy quel est le temps ou il est le moins embarassé, pour
qu'il s'occupe de moy et m'enseigne un régime quelconque.
vous déduirés très bien et sentés encore mieux les avantages
dont vous seroit l'instruction générale oéconomique; son effet
sommaire et moral seroit de donner l'action et la modération a
touts, deux points dont l'esprit républicain s'écarte aisément;
de l'action en ce que rien ne contrarie tant l'action utile de
l'individu et naturelle, que le soin et l'occupation des affaires publiques
<1v> la modération, en ce que l'opinion est son ennemie, et l'habitude
d'opiner est une école de retenue, mais non pas certes de moderation
au reste je vous le répète je crois le gouvernement républicain
nécessaire a vos contrées qui ne scauroient porter un souverain
présent, ny obeir a un souverain absent qui seroit inutile, et
toujours ignorant de la raison des choses. Mr turgot disoit a
du pont avant qu'il partit, ils disent pour me nuire que je
suis enciclopédiste et puis, que je suis oéconomiste; je ne suis
pas l'un puisque je crois en dieu, ny l'autre car je ne voudrois
point de roy. le fait est qu'oeconomiste en tout autre point il
pensoit que l'état le plus heureux seroit de petites républiques
foedératives. ainsy etoient les gaules il ne fallut qu'un scélérat
habile comme caesar pour les envahir toutes l'une par l'autre.
on verra selon les aparences l'essay de ce sistème en grand
dans les colonies angloises de l'amérique septentrionale; elles
ont des assemblées particulieres, des loix diverses, un centre
commun, une assemblée générale ou dikinson homme rare
et qui a eté en commerce avec moy, pour orateur. tant que
la terre inculte et favorable prètera aux survenants, cela peut
aller, mais sitost qu'il faudra se replier sur soy, gare la praedomi=
nation des villes &c &c.
je vous ay mandé je crois que Mr turgot faisoit revenir du pont.
il luy a envoyé un ordre du roy, mais ce que j'ay apris icy en
detail, cest qu'il luy a envoyé 9000 lb pour son voyage, et fait
demander au banquier du pce czartorinski létat des frais et
avances faites pour les rembourser, et le tout est sur son patri=
moine a luy turgot. vous avés scu qu'on avoit fait rendre
au cher terray cent mille écus qu'il avoit pris d'avance pour
le bail futur des fermiers géneraux, il les a fait porter au trésor
royal. on assure aussy qu'on fait payer au dit abé 170000 lb
<2r> qu'il a fait payer au peuple pour un quay a sa terre de la moth
dont il a fait un magazin. au reste mon cher amy vous sentes
bien, combien le nouveau régime a d'ennemis; toute cette énorme
ville y joint la cour n'est qu'un nodus universel de concussions
et de monopoles tellement rafinés et multipliés que la masse et
l'industrie en sont inconcevables. le nouveau ministere en a
reçu mème un des plus adroits apuis; or figurés vous ce que
c'est qu'un homme au milieu de tout cela; cest comme qui donne=
roit un demy grain de kermès a un vieux roulier apoplecti=
que et ivre depuis 20 ans d'eau de vie.
cest a présent que vous auriés plaisir a voir et entendre
l'abé baudeau; cet homme incroyable pour les détails, la
clarté et l'activité, nage en pleine eau, fait plus de bruit
et leur fait plus de peur que 12 ministres, lache des pamflets de
droit et de gauche, attaque tout, découvre tout, nomme tout, et
comme il a le don de voir toujours en couleur de rose et de faire
des badaudieres a perte de vue, s'il avoit dix corps il ne viendroit
pas a bout de touts les ouvrages qu'il voit faits; quand a moy
je ne puis que dire a nos tenants que tout cela n'est que notre affaire
locale mais que notre affaire constante et principale, cest l'instruc=
tion générale par laquelle seulement nous serons la sauvegarde
nécessaire des ministres bien intentionés.
voila mon cher amy que je me suis un peu épuisé pour un homme
qui ne mange ny ne dort depuis sept jours, afin de vous tenir a
notre petit courant. le grand événement du retour de l'ancienne
magistrature aproche et ce sera pour le 12 du courant; il y a un
party immense contre cette opération, a scavoir les prètres leurs
adhaerents, et touts les roués de l'ancien régne; que dieu et sa pro=
vidence continuent a veiller sur nous et nous conservent un
jeune roy de bonne volonté et d'excellent caractère, qui dit se
défier des jeunes gens parcequ'il se défie de luy mème. adieu très
cher amy; vous jugés bien que dans mes circonstances notre excellente
amie n'a loisir de vous écrire je vous embrasse
Mirabeau
<2v> Ce n'est pas tout monsieur que detre contris et humilie comme je
le suis, quand on a peché, il faut encore tacher de reparer ses tord
par quelques bones actions, et je me propose de reparer ma negligence
aparente envers vous, quoi que jaurois de bonne raisons pour la faire
excuser, mais, j'en fais le sacrifice: en vous rendant conte de la
rentrée du parlement, je veut me flater que cette 1 mot biffure relation vous
interessera assé pour que vous me pardonniez d'attendre encore jusques 2 caractères écriture
a vous demander une allocution, je sens daillieur que ma lettre
aura besoin du piquant de cet evenement pour trouver grace,
et meriter detre lue, le roy revient de fontainebleau le 8 les anciens
membres du parlement doivent tous etre a paris le 9 pour reçevoir
ses ordres,
vous perdé le Mr de bouteville on vous envoye a sa place un
president de la chambre des comptes de dijon frere de Mr de vergennes
ministre des affaires etrangere, recevez, monsieur avec indulgence
et confiance, les assurances de mon inviolable attachement
je suis seule a paris avec le pauvre malade le reste de la maison
ne revient que le 3 et je les attend avec bien de l'impatience.