Transcription

Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Le Bignon, 15 septembre 1774

du bignon le 15e 7bre 1774

depuis que je scay mon cher amy que ce n'est pas pour vous
une peine d'écrire, je ne vous feray pas grace d'une réponce
au moins, malgré toute la besogne en ce genre qui me survient
a tout moment. jay reçu donc votre lettre du 1er du courant
et assurément ce seroit malice si elles n'arrivoient pas, car vous
prenés aux détails de la suscription une notable peine.

je conte que ce nonobstant les miennes du montd'or et puis celle
d'icy vous seront arrivées, et que non seulement vous regarderés
comme un bonheur que je n'aye pas suivy mon penchant et le
votre au sortir du montd'or, mais encor que vous verrés comme
moy dans la providence ce Rhumatisme qui m'a empèché de
suivre nos prs plans.

vous me demandés des nouvelles dabord de mon fait, et puis
de celuy de touts les autres; helas je marche pied a pied a mon
triste labeur; j'ay obtenu l'ordre que je craignois ne pouvoir
obtenir a cause de ces procédures, il est party le 7e du courant
et ce fou sera renfermé au chateau d'if que vous connoissés en
vue de marseille. vous sentés combien de details me donne tout
ce nouvel ordre de choses, tant de ce coté lâ, que pour rompre
l'établissement qu'ils avoient, placer surement mon petit fils
jusques a son sevrage; quand a la consolation de sa femme
qui est un excellent sujet qui a bien soufert, ma fille du saillant
qu'elle a pris dans la plus grande amitié, y peut beaucoup plus
par l'age et la confidence, que moy qui n'ay que mes manieres.
elle se trouve pourtant, aux inquietudes près, fort heureuse
<1v> et disoit a sa soeur que touts les matins elle se tate pour
scavoir si c'est bien elle. a légard du restant des procès et des
procédures provençales, je ny prends je vous assure, plus din=
terest; cest cette tète 1 mot biffure posément égarée et recuite, et ce coeur
nul, qui a perdu son frère, et après l'avoir échaufé mis
en présence de l'occasion. de tout cela peu m'importe
quand au futur; dordinaire on recoeuille ce qu'on a semé
cest leur affaire, et je ne m'en inquieteray desormais en
rien, ny pour rien je vous assure. j'ay bien assés d'avoir
d'un coté loeil tourné sur ce fol encagé, qui fera forte
pénitence, et de l'autre sur la folle impénitente qui devroit
l'etre, et qui ne laisse pas passer un courrier qui ne soit
chargé de chicots; qui fait cent procès la bas, sans etre au=
thorisée a aucun, qui saisit et fait le diable; dordinaire
ce Mr ne deloge pas des corps qui l'ont hébergé pendant
cinquante ans. je suis faché mon cher amy de vous faire
faire la revue de si mauvaise compagnie, mais votre
amitié l'â voulu.

vous voulés aussy l'article des affaires publiques; je n'en
scay pas plus que vous, ou guères; et je vous avoue que dan
ces circonstances je suis fort aise d'etre loin et fort a l'abry
des importunités et charités. en attendant tout s'arrange
et il me paroit que tout est bien. vous scavés que tout dépend
des finances que si l'on m'eut demandér a qui je les voulois
donner j'eusse nommé Mr turgot, effrayé néanmoins du
fardeau pour luy. il a débuté en homme de main, en ren=
voyant plusieurs des principaux wampires et entrautres
ce certain brochet de st pré qui avoit le detail des bleds
qu'il a rendu a ce Mr d'albert que vous avés vu diner chez
moy. on m'a mandé que l'abé baudeau avoit son oreille
il est très propre a le servir d'une maniere unique pourvu
<2r> sache le tenir, sinon gare la culbutte; mais quand au
travail, a la facilité et aux expédients il n'a pas son pareil
toujours les éphémérides vont recomancer; on apuye aussy
pour la liberté de la presse, telle qu'on l'a donnée en suède.
on dit que nous allons avoir la liberté des grains, qu'on at=
taque aussy la caisse de poissy; puissions nous tout voir.
il semble que cette partie de mon ame dont l'instinck particu=
lier paroit etre de veiller sur le salut du genre humain,
veuille aujourd'huy me soutenir contre les chocs que reçoit
mon ame naturelle. adieu mon cher amy, tout le monde icy
vous embrasse, sauf Me de pailly qui est a paris depuis quel=
que jours, offrés mes Respects a Mes vos soeurs et filles et
venés que je vous embrasse de tout mon coeur

Mirabeau


Enveloppe

a monsieur

Monsieur de Saconai en
son chateau de Bursinel, près Rolle
Par Pontarlier


Etendue
intégrale
Citer comme
Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Le Bignon, 15 septembre 1774, Collection privée. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: https://lumieres.unil.ch/fiches/trans/352/, version du 26.03.2018.
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