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Lettre à Frédéric de Sacconay, Mont-Dore, 20 août 1774
au Mont d'or le 20 aout 1774
Votre lettre du 1er aout, mon très cher ami, m'est venu
joindre ici où nous faisons notre cours de pénitence
et je suis bien faché de ne pouvoir montrer a made
Du saillant tout ce qu'elle contient d'obligeant
pour elle. votre lettre me témoigne votre joye sur
la résolution prise de vous aller joindre que je vous
marquois par la lettre où je vous donnai part de
l'accouchement de ma fille. Elle l'exprime de maniere
à augmenter mes regrets, s'il etoit possible, et s'ils n'etoient
comme rangés au rang des choses passées. nous sommes
ici dans le plus vilain et le plus sale lieu du monde
sans contredit, au milieu d'un grand concours d'éclopés
dans un village garni de hutes et ou chaque cuisinier
fait avec deux casseroles la cuisine pour 60 personnes
qui vont ensuite digérer sur des grabats, pas un lieu
pour la promenade, du fumier et des eaux croupissantes
par tout, enfin je vous ai, je pense, autrefois peint
le mont d'or, et fut ce le plus agreable lieu du
monde, il ne sauroit jamais par les personnes que je ne
vis et ne reverrai de ma vie, remplacer le sejour
que je Comptois habiter ce mois ci et le suivant
<1v> Au reste ce lieu ci et ses eaux sont très favorables
et quelque fois singulierement salubres, pour les poitrines
félées surtout et pour les rhumatismes douloureux
qui estropient les malades. quant à moi je n'avois
gueres plus qu'une douleur de foiblesse sur le rein
gauche, quand je m'embarquai, et la chaleur de la voiture
m'a rétabli en chemin. j'ai d'abord pris les eaux
qui m'ont toujours fait du bien et qui me réussissent,
du moins quant à leur cours, cette année ci comme
les autres. je tente maintenant les bains qui doivent,
dit on, me rendre mon rhumatisme pour avoir l'honneur
de me guérir après, suposé qu'il ne soit pas éteint.
je n'aime pas trop cette derniere épreuve, ne voulant
et ne pouvant passer ici plus de mes 16 jours complets.
Quoi qu'il en soit me voila, et à mon retour je vous
donnerai de mes nouvelles. Certainement je n'aurois
pas pris ce parti ci si je n'avois eu que le mal de reins
dont je me plaignois par intervalles, dans le tems où
je vous écrivis la lettre à laquelle vous répondés.
mais la recoupe d'après fut si violente que je ne
pouvois songer à m'embarquer dans cet état. cela
d'une part prenoit sur le tems que j'avois resolu de
vous donner; et de l'autre me mettoit en un état
de non résistance aux desirs de ma famille qui
compte beaucoup pour moi sur les eaux du mont d'or.
quant à moi, a la réserve de ce que j'eprouve et
eprouvai, que tout lavage naturel et aperitif, me
<2r> remet en selle, je ne crois d'ailleurs guere plus au privilege
exclusif de ces eaux ci pour cela qu'à l'infaillibilité
du pape. je suis certain néanmoins que ce voyage m'aura
réussi pour cet article, et j'espere grandement que ma
santé me laissera l'année prochaine libre pour nos
arrangemens chéris.
De toute la bonne compagnie dont vous faites mention,
et qui se souvient bien tendrement de vous, je n'ai ici que le
mis du saillant qui vous remercie et qui s'y ennuie
passablement pour la recompense d'avoir été le principal
embaucheur du mont d'or. adieu, mon cher ami, je vous
aime et embrasse de tout mon coeur. mes respects à
toute votre maison.
Mirabeau
a monsieur
Monsieur de Saconai, en son
chateau de Bursinel près Berne
Par Pontarlié