Transcription

Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Le Bignon, 05 août 1774

au Bignon Ce 5 aout 1774

J'ai reçu, mon cher Saconai, votre lettre du 27 Juillet, y
jointe votre petite épitre de Lausanne qui est fort jolie et
fort sensée. il y a bien quelques fautes de style, mais il n'y
en a point qui ne puissent être souffertes, si ce n'est dans
le dernier verset. là où les bons voyent un pere, n'est ni
vers ni prose. Cela est aisé à corriger en mettant,
où les bons pensent voir un pere. Le second vers qui est
aussi de meme 2 mots écriture mesure que les autres pourroit être changé
ainsi, tu dois subir ton jugement. vous voyés mon ami
1° que je vous écris du bain où l'on ne fait rien si
l'on ne rabache 2° que je pense à la manière dont vous
me recommandés ces vers, qui D'ailleurs sont fort sensés
et fort jolis, que vous vous interressés à l'auteur.

Vous savés maintenant mes encombres; et ce que vous
me dites de tout ce que vous me prépariés seroit capable
d'augmenter mon chagrin, si l'objet principal d'icelui
n'etoit d'être privé pour le présent de voir votre
aimable et respectable famille. je vais beaucoup mieux
au moyen de 3 heures de bain tous les matins, et Je
commence à bien marcher, quoi que le rein gauche me
pese beaucoup encore. Du Saillant, fier Comme artaban,
et qui croit àla vertu des eaux du mont d'or comme le
portier de la cathédrale de Rheims croyoit dans le 12e
siecle à celle de la ste ampoule, m'amene triomphant, et
moi grognant, disputant et renitant, car vous ne sauriés
<1v> croire ce que c'est que cette vilaine traversée de six lieues
de clermont au mont d'or, les infames cloaques du mont
d'or
où il faut passer 16 jours complets au moins, aulieu
d'être a Bursinel à rire de contes saugrenus, à causer
de bonne amitié, à se promener de l'oeil et du pied, à
faire bonne chere et gaye, et a raisonner oeconomie
politique dans la quelle entre toujours le compte de la
chere et tendre humanité. C'est bien là le cas de dire
que l'homme propose et Dieu dispose. au fond c'est bien
moi qui le laisse faire en ceci, et je n'ai qu'un point
qui me console, c'est que dans la crise où sont mes
fatiguantes affaires, sur tout celle de Provence, dont le bruit
la gaucherie, les reflets et les embarras procéduriers
sont immenses, un voyage de plaisir auroit pû paroitre
étrange, et par cela meme m'eut quelque fois fait reproche;
aulieu que l'année prochaine il faudra bien que tout
à peu près ait pris son aplomb.

Vous nous avés, je crois, entendu souvent parler de M.
Turgot. En ce cas vous savés qu'il étoit de notre école; je
ne sais mème si vous ne l'avés pas vû chez moi une de
nos dernieres assemblées. En ce cas vous aurés été bien
aise d'apprendre qu'on lui a donné le département de la
marine. Peu importe pour les arsenaux; quoi qu'il importe
toujours d'avoir un honnete homme; et celui là est un des
plus ferrés que je connoisse. mais le commerce extérieur, mais
les échelles du Levant, mais les Colonies, ce sont là de ces objets
ou un tenant religieux de la liberté pourra faire de grands
biens si jamais il peut sortir des brassieres d'une grande place
<2r> après un rhumatisme sur les reins, je ne connois rien qui
rende plus impotent qu'un département autour d'une charrue
mal attelée. il faut attendre tout du tems et de la patience
et en attendant se bien garder de se targuer d'un oeconomiste
en place. Dieu vous en préserve, quand même j'y serois; et
puis le mieux est d'être au Bignon qui est tant gentil
et qui le devient chaque jour davantage, quoi qu'il y
tombat hier de la grele grosse comme un oeuf de dinde
mais tant éparse et mélée de pluye, qu'elle n'a point
fait de mal; ou bien d'être à Bursinel et non pas au
mont d'or. Toutes fois on m'amene lundi, ainsi si avant
la fin d'aout vous avés quelque chose depressé à m'écrire
adressés à clermont en auvergne pour le mont d'or.
sinon écrivés toujours ici ou toutes mes lettres m'attendent.

adieu cher ami, tout le monde ici vous salue remercie
et embrasse; ainsi fais-je de tout mon Coeur.

Mirabeau


Enveloppe

a monsieur

Monsieur de Saconai en
son chateau de Bursinel près Berne
Par Pontarlié


Etendue
intégrale
Citer comme
Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Le Bignon, 05 août 1774, Collection privée. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: https://lumieres.unil.ch/fiches/trans/348/, version du 26.03.2018.
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