Transcription

Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Le Bignon, 05 juillet 1774

du bignon le 5e juillet 1774

je n'aurois pas attendu mon cher amy votre lettre du 28, que
je viens de recevoir pour vous prévenir a bursinel, n'etoit un vilain
rhumatisme sur les reins qui m'a empoigné dernierement a mon
bureau, et qui me faisoit tenir tout de travers et encor soufrant
a toute attitude si ce n'est au lit sans bouger, ce qui seroit le pire
des régimes pour ce mal. au moyen de quoy j'ay passé de sottes
journées, ne pouvant rien faire, pas mème lire, car debout je m'y
clouois et ne pouvois plus bouger, assis il n'etoit plus question de
se lever, et promener des reins rompus est chose fatiguante. j'en
suis mieux et j'écris en ce moment ma premiere lettre depuis et a
genoux auprès de ma table qu'on a relevée.

nous voyions et contions avec plaisir que vous aviés beau temps
et disions le bon homme chemine gaillardement. il y a plaisir cher
amy de vous avoir vu, car on scait que vous etes heureux, et de la
seule façon dont on puisse s'aproprier le bonheur, c'est a dire par
vous mème, quod quaeris intus habes a ton dit il y a longtemps,
et c'est chose bien vraye, et vous l'avés trouvée.

quand a la belle légende de compliments que vous nous faites
tout le monde y répond amplement a la réserve de la pauvre
saillanette qui dit qu'en recompense elle vous feroit enrager. la
pauvre femme a eu depuis vous des rages de dents terribles qui
alloient jusques aux convulsions; nous l'avons fait saigner; ce
qui luy a oté le plus fort et insoutenable, le reste tenant a son
etat. au vray toute notre caze vous aime bien, et convient en effet
que vous ètes fort aimable. vous serés quand il vous plaira vénérable
<1v> mais j'opine que d'icy lâ il passera beaucoup d'eau soux le pont, et plus que dans
votre estomac.

nos nouvelles d'icy sont que ma vigne est toute échalassée; qu'on
mure actuellement la haute porte du jardin d'en haut, ny laissant
qu'une porte batarde; que le plan de votre écurie est changé. Me de
pailly, fut toiser et projetter, et elle a trouvér qu'il n'en couteroit
pas plus, et moins, de faire le corps de logis, depuis la ferme, jusques
au batiment des remises, en embrassant la porte de la bassecourt. je
crois qu'elle se trompera dans son calcul, mais il est très vray quen
faisant l'autre, la bassecourt etoit encore imparfaite, au lieu qu'avec
celuy lâ, tout sera fait.

je vous assure mon cher amy que je me flatte toujours de pouvoir
faire le voyage et vous aller embrasser chez vous, vous et les votres
et voir ces beaux lieux ou je fus n'aguères si bien traité. comme
dieu m'a mesuré le vent selon mon humeur pénible et sédentaire
et a vous selon votre sagesse douce et joviale, jespère que vous
ne conterés pas avec moy, et vous tenant pour dit que pour qui
que ce soit au monde, si ce n'est affaires de devoir stricte, je ne
bougerois, vous me récompenserés au futur de ce qui fera mon
plaisir et ma joye.

le bailly et Me de pailly vous disent bien des choses. je les allon=
gerois, mais j'ay changé trentefois d'attitude en écrivant cecy,
et cet exercice m'épuise. adieu j'attends tout a coup mon bon
curé de neuville. adieu très cher et très bon amy, mille tendres
Respects a toute votre maison, Mes vos soeurs, Melle votre fille
après Me son ainée, jespere que je leur baiseray la main; en
attendant je vous embrasse pour moy et pour touts

Mirabeau


Enveloppe

a monsieur

Monsieur de Saconai en son
chateau de Bursinel, près Berne

Par Pontarlié


Etendue
intégrale
Citer comme
Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Le Bignon, 05 juillet 1774, Collection privée. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: https://lumieres.unil.ch/fiches/trans/345/, version du 26.03.2018.
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