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Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 13 février 1774
de paris le 13e fr 1774
pour le coup mon cher amy, vous me croyés bien plus heureux
que je ne suis ny ne fus, puisque vous imaginés, que puisque
vous croyés que touts les discours emblématiques mais pour=
tant très sérieux que je vous ay successivement adressés, peuvent
trouver leur solution dans le fait d'un procès ordinaire mis
sur le bureau. quoyque cette erreur soit douce a votre amitié, je
ne scaurois vous la laisser, parce qu'elle est trop distante de la
vérité aussy et que tost ou tard il faudroit bien vous en désabuser
dans les circonstances ou nous sommes respectivement. hélas
que seroit un procès ordinaire pour moy qui vous ay mandé
avoir eu le bonheur d'en finir 60 en cinq semaines de temps
en 1770.
et bien aprenés donc que non seulement ce que vous craigniés
est dans le fait très urgent, puisque dans le temps de mon voyage
volontaire d'ou je vous ay écrit, j'ay eu une lettre dexil pour ce
Mr pour le soustraire a ses créanciers, et n'osant le faire enfermer
a cause de sa femme; que dans le cours de 15 mois il a comblé
la mesure des folies, tout vendu tout engagé, contracté des dettes
immenses en lettres de change; que quoyque je visse venir cela de
loin, j'ay été obligé de le laisser aller jusques lâ pour qu'il me
retombat dans la main, qu'il mit tout le monde contre luy, et
qu'une famille assés gauche pour le prendre malgré ce que j'en
avois dit, ne le fut au point de le deffendre; qu'a présent il faut
que je pousse a la roue des formalités et convictions, pour ame=
ner les parents a le f concourir avec moy pour le faire interdire
afin de sauver mes petits enfants; que tout cela enfin dans
certains temps de bons exemples multipliés en tout genre, ne
se fait pas aussy aisément qu'il s'écrit.
<1v> cecy vous paroitra quelque chose, et bien ce n'est encore qu'inci=
dent de detail auprès d'une autre affaire. ce fol mon cher amy eut
une mère qui l'est encore plus que luy. après avoir soufert 20 ans
dans l'interieur tout ce qu'il est possible, parceque chacun doit porter
sa charge, j'apris tout a coup que je ne devois plus cohabiter; elle
partit subito pour la province; je sacrifiay tout quand au pécu=
niaire pour l'y tenir; aidé de la providence je parvins a la faire
concourir a un très bon mariage pour sa fille; bientost elle dispersa
tout, et les parents en corps écrivirent et signèrent pour qu'elle
fut détenue dans un couvent. comme les fols sont de difficile gar=
de, les plaintes furent telles que de maison en maison elle alloit
se précipiter en prison de force absolue. la prudence d'une part
n'ayant encor qu'un enfant de placé, la miséricorde de l'autre me
déterminèrent a prier un ministre msien parent de vouloir bien
s'entremettre, de paroitre la soutenir et d'apuyer un compromis
que je dictay, par lequel elle choisit une retraite promit de s'y tenir
pension convenue, et ministres garands. passons sur les details
courants d'inquietudes, de dettes, du métier enfin de gardien des
fols. je plaçay les autres enfants, cet été une fille richement
mariée auprès auprès de grasse cest a dire a l'autre bout du royaume
tète aussy méchante mais plus suivie, et foncièrement corrom=
pue, est venue chez sa mère, a engagé son mary très riche et
demeuré sans père trop jeune, a prèter dequoy venir tout a coup
me plaider.
je viens icy au commencement de 9bre avec ma fille et son amie
pour ce déménagement; je tombe grièvement malade, et ma pauvre
fille, toujours en mesure craint a toute heure de voir cette folle
entrer dans ma chambre. l'activité, l'amitié et l'entente uniques
de mon amie pressent le déménagement pour pouvoir mander la
famille et une maison de 25 personnes qui arrivent le 23. on
m'entoure, on previent tout le monde pour que j'ignore, on négotie
et comme les fols font cohorte et que voyant qu'on recule ils de=
viennent fiers, la menace de venir avec un huissier a ma porte
demander habitation, fait qu'enfin on me dit tout. je demande
4 heures dans mon cabinet, je les employe a écrire aux deux
ministres garands, a mes amis, et moyens; je passe un bail de la
maison soux seing privé a mon frère pour qu'il puisse répondre
<2r> en cas de semonce, et prévoyant que les garands répondront aux
reproches, qu'elle plaide et qu'alors l'authorité ne peut intervenir
j'ordonne en sortant que ma voiture soit prète pour le lendemain
et pars en effet le six xbre pour ma 1ere sortie, pour que ma fam=
ille put dire que je rendois les choses égales et qu'une insensée
n'etoit pas propre a faire valoir sa cause. je vais donc chez un
magistrat exilé, et cest de lâ que je vous écrivois que de maniere ou
d'autre je me raprocherois de vous. en effet tout le monde fit feu
après mon départ, ce qui me fut de mauvais augure, car le feu fran=
çois ne dure gueres; ensuitte cela tourna en négotiation. quand
je vous écrivis j'etois résolu s'ils échouoient, d'envoyer ma procu=
ration pour suivre au sérieux un procès dont le terme imman=
quable seroit de luy faire subir la plus rigoureuse loy, et c'est de
cela qu'on est fort, parce que l'extrémité est trop grande. mais
mon plan etoit en mème temps de m'eloigner, j'avois sans qu'on
le scut mon passeport dans la poche et vous m'auriés vu tomber
a berne au moment ou assurément vous y pensiés le moins. mon
respectable hôte me fit changer d'avis, il me dit que jetois en mau=
vaises mains, qu'on traitoit tout cela de pair tandis que les distances
differences &c etoient si grandes; que je devois revenir moy mème
et me montrant poussé a bout, paroitre aller tout de bon. au pis
aller ajouta t'il un homme de bien ne quitte point son poste le
poste d'un pere de famille est d'en faire justice; peu a peu les fols vous
fouleroient aux pieds et retomberoient sur la societé qui vous rendit
garand de leurs écarts. comme cet homme est fort doux autant
qu'éclairé je l'en crus, je revins et trouvant négotiation vivante
paroles donnée disoit on si je voulois faire encor des sacrifices, je les
voulus tout mettre au pied du mur; je n'ay encor avancé que de cela
mais les délais se passent et bientost j'auray mon tour.
voila donc mon cher amy, dans quelle passe je suis d'un coté, et de
l'autre les détails lointains et raprochés pour faire interdire ce fur=
ieux de la bas, et tout cela concurremment. jugés a l'escentiel du
peu que je vous en dis, ce que ce doit etre que les détails; combien
tout cela porte sur le démanchement des biens, de la fortune, des frais,
de la réputation, si elle etoit attaquable auprès des gens sages, et si
l'opinion des imbécilles et des fols, me faisoit quelque chose. jugés
de la sorte de vie que seroit la mienne pour un philosophe, si l'habi=
tude de longue main contractée de mettre toujours les devoirs
avant tout, ne m'avoit depuis 30 ans désaproprié de mon libre
arbitre, jugés enfin de ma présente disponibilité
<2v> de tout cela mon cher amy résultera til, qu'ayant pris touts vos
arrangements pour venir voir et embrasser votre plus ancien amy
et vous reunir pour un temps a luy et a la partie saine de sa famille
vous mettre au fait et au courant enfin de son existence, vous vous
en désistiés parce que la providence veut qu'il soit au moment peut
etre le plus critique de sa vie interieurement agitée. non je ne le
croiray après. arrivés, vous ne dérangerés aucunement Me de pailly
et luy ferés au contraire grand plaisir, et quand a moy, indépen=
demment de ce que vous m'etes et serés je mène dans paris la vie
la plus résidente, surtout depuis ces incidents cy, je trotte a pied le
matin pour mes affaires et demeure chez moy l'après midy. ce sera
chez vous; vous verrés une famille unie et ravie de vous avoir
et peutètre au moment ou je me crois le plus enfoncé dans le dédale
trouveray l'issue de ce coupegorge plus facilement que je ne l'avois
espéré. adieu mon très cher saconay, je vous embrasse de tout mon coeur
Mirabeau