Transcription

du bignon le 30 juin 1773

je reçois votre lettre du 18 mon cher amy et comme vous
me demandés prompte réponce j'y mets la main.

je n'ay point d'idée du tout d'avoir reçu le livre de M^r
le c^te gorani et si je l'avois reçu je m'en souviendrois
certainement, quelque vielle et cahotée que soit ma tète
et qui plus est je n'aurois assurément pas manqué de l'en
remercier. ce qui brouille quelque méfiance dans ma tète
c'est que je me rapèle que des oéconomistes me sont venus
dire que son ouvrage ne l'etoit point du tout, mais je
crois qu'ils parloient de son ouvrage sur le luxe, dont on
a fait une traduction françoise, et qui en effet se redresse
souvent. je vous prie de luy dire que je dois a sa personne, a
son honnèteté et a sa confiance je ne suis point capable
de manquer a ce que je dois a sa personne, a son honnèteté
et a sa confiance.

je ne suis point a portée de m'informer si M^r de diespack
est encore a paris; je n'ay point aporté la lettre ou vous me
donniés son adresse. voudriés vous bien mon cher amy, luy faire
écrire, que s'il ne vient pas, il vous fasse passer le paquet
qu'il a pour vous? cest bien de la peine que je vous donne
mais vous sentés qu'il est injuste de faire attendre un imprimeur
qui a des fonds considérables en soufrance, et je ne veux pourtant
pas qu'il débite mon ouvrage, qu'il ne soit complet; pardon, mais
<1v> ce contretemps me met dans un cas qui ne m'est point du
tout ordinaire, car je suis l'homme du monde le moins inquié=
tant pour les libraires.

c'est une vraye charge pour votre canton, pour les moeurs et
pour tout que cette fantaisie parisienne qui s'est jettée de votre
coté. le fait est que la manie des voyages a gagné nos femmes,
que la fureur de se divertir qui a détruit la faculté de s'amuser
etant un hydropisie, il on a toujours soif de variété; que l'impost
indirect toujours croissant a rendu la vie si chère a paris, que cela
devient comme en angleterre et par la mème cause, et qu'on gagne
a se dépaÿser; spâ, l'italie, l'angleterre, et puis vous, deviennent
des étapes françoises, et comme les mascarille sont tout autrement
boute en train que les Rosbiffs, les manieres françoises et le mal
françois vous en demeureront pour les gages.

mes respects je vous prie a M^es vos soeurs, M^e de pailly a reçu icy
une lettre de M^e de watteville, qui a la bonté de loger M^e de ligne.
de toutes les baguettes des fées je ne voudrois que celle qui a la vertu
de la translation. adieu cher amy je vous embrasse de bon coeur

Mirabeau

a monsieur

Monsieur de Saconai en
son chateau de Bursinel
Par Berne Geneve en Suisse